CORONAVIRUS : Ces moyens que les armées ont en réserve

Posté le vendredi 03 avril 2020
CORONAVIRUS : Ces moyens que les armées ont en réserve

Les missions militaires engagées dans l'opération Résilience pourraient être décuplées. Revue des troupes, sur terre, sur mer et dans les airs.

Depuis le début du confinement en France, les armées ont lancé des actions en soutien de la lutte contre le coronavirus. Logiquement, en situation de crise majeure, les attentes de la population sont énormes vis-à-vis des militaires, attendus comme des sauveurs. Mais les armées n'ont plus les moyens qu'elles avaient du temps de la conscription et ont commencé par quelques actions ponctuelles.

Dans le cadre de l'opération Résilience, le Service de santé des armées (SSA) a par exemple installé un « hôpital de campagne » ( il s’agit plus exactement d’un élément militaire de réanimation constitué pour des besoins spécifiques, car l’armée française ne dispose plus d’hôpital militaire de campagne- Note de l’ASAF) à Mulhouse, alors que des avions, des hélicoptères et un navire ont transféré des malades des zones les plus touchées vers des hôpitaux moins chargés.

Dans le même temps, des dizaines de missions locales ont été menées, ici pour distribuer des masques et du gel hydroalcoolique, là pour installer des lits picot. Mais si utiles soient-elles, ces actions restent aujourd'hui modestes. À titre de comparaison, un TGV médicalisé, comme celui qui a évacué jeudi 26 mars vingt patients de Strasbourg vers les Pays de la Loire, a fait plus que trois vols d'A330 Phénix, un avion qui peut accueillir six patients Covid par trajet.

« Aujourd'hui, l'engagement des militaires n'est pas massif, nous pourrions faire beaucoup plus si cela devenait nécessaire », concède un haut gradé, qui rappelle que les soldats ne peuvent agir que sur réquisition de l'exécutif. Toutefois, les 200 000 militaires (trois fois moins qu'au début des années 1990) ne pourront pas être la solution à tout. Alors, quels moyens les armées ont-elles en réserve ?

 

I – Le SSA, déjà à plein régime

 

Sonné par des coupes budgétaires radicales ces deux dernières décennies et malgré une modeste remontée en puissance depuis 2019, le Service de santé des armées (SSA) ne peut pas faire beaucoup plus que ce qu'il fait déjà contre le coronavirus :

- participer au service public hospitalier, y compris pour des patients touchés par le Covid-19, via ses huit hôpitaux d'instruction des armées à Bordeaux, Brest, Clamart, Lyon, Marseille, Metz, Saint-Mandé et Toulon, et le personnel détaché dans des hôpitaux civils ;

- armer « l'hôpital de campagne » installé à Mulhouse avec 30 lits de réanimation (beaucoup plus équipés et surveillés que des lits classiques d'hôpital) ;

- convoyer les patients lors de transferts par avion, bateau ou hélicoptère.

La mission première du SSA reste d'assurer le soutien médical des forces armées, dont les missions ne s'arrêtent pas toutes pendant la crise. « Nous ne pouvons pas nous permettre de remplir nos capacités à 100 % et de ne pas pouvoir réagir à un événement impliquant des soldats français en opération extérieure ou sur le territoire national », nous explique un porte-parole, précisant par exemple que « les anesthésistes réanimateurs de l'opération Barkhane [dans la bande sahélo-saharienne, NDLR] restent à Barkhane ». Concrètement, le SSA se doit de garder la capacité d'assurer toutes les chances de survie et de rétablissement aux blessés, par exemple si un blindé français sautait sur un engin explosif improvisé (IED) au Mali ou au Niger.

Le SSA fait appel à ses réservistes, mais « beaucoup sont aussi soignants dans le civil » : ils sont donc déjà dans la bataille contre le Covid-19, précise-t-on au SSA. Côté humain comme côté matériel, il n'y a pas, ou presque pas de marge de manœuvre : le SSA tourne déjà à plein régime.

L'ouverture d'un second hôpital de campagne comme celui installé à Mulhouse est peu probable, car il faudrait dépouiller une nouvelle fois les hôpitaux militaires d'une partie de leur personnel soignant et de leurs équipements, notamment de précieux respirateurs pour les lits de réanimation.

Même raisonnement pour la réouverture, évoquée par la presse mais « aujourd'hui pas envisagée » selon le SSA, de l'ancien hôpital parisien du Val-de-Grâce, fermé en 2016. Les bâtiments sont quasiment vides : attenants au Musée du SSA et aux bureaux de la directrice centrale du SSA, ils accueillent rustiquement quelques militaires de l'opération antiterroriste Sentinelle. « Si le Val-de-Grâce devait être rouvert, ce serait en mode très dégradé et avec des moyens qui relèveraient plus du mouroir que d'un vrai hôpital », nous confie une autre source. La nouvelle structure pourrait ainsi s'approcher de ce que les Chinois ont construit en hâte à Wuhan, ou de ce que les Espagnols ont ouvert en plein cœur de Madrid dans le Palais des expositions.

 

L'Armée de terre peut faire plus 

 

Pour le moment, les moyens de l'armée de Terre sont assez peu utilisés, mais « si la crise devait durer et si par exemple des services de l'État devaient défaillir, faire appel à l'Armée de terre deviendrait évident », nous confie un haut gradé, rappelant que les soldats sont déjà sollicités pour mener des dizaines d'actions locales, depuis des bases réparties sur l'ensemble du territoire. Un autre officier prévient : « Il n'y a ni rétention de capacités ni stocks cachés, il faudra faire avec ce que nous avons. »

Les missions déjà réalisées vont du convoyage de matériel médical (respirateurs, masques, gel hydroalcoolique, etc.) à la sécurisation de sites sensibles pour soulager les forces de sécurité intérieure (police et gendarmerie), extrêmement sollicitées pour faire respecter le confinement et qui pourraient avoir à gérer d'éventuels débordements. La marge de manœuvre de projection hors du territoire est minime, mais en France (en métropole comme dans les outre-mer), l'armée de Terre a de quoi mobiliser des bras.

Les réservistes doivent se « tenir prêts »

L'armée de Terre comprend 90 000 personnes, dont environ 5 000 sont déployées en opérations extérieures (notamment dans l'opération Barkhane, en bande sahélo-saharienne), 4 000 sont déployées en force de souveraineté dans les territoires ultra-marins (Antilles, Guyane, océan Indien, Nouvelle-Calédonie et Polynésie française), et 2 400 sont prépositionnées à l'étranger (Sénégal, Gabon, Côte d'Ivoire, Djibouti et Émirats arabes unis).

Le chef d'état-major de l'armée de Terre a par ailleurs envoyé un message aux 24 000 réservistes le 26 mars, leur demandant de se « tenir prêts », car l'armée « aura certainement besoin de toutes les énergies disponibles ».

Les hélicoptères de l'Armée de terre médicalisés

L'aviation légère de l'armée de Terre (ALAT) opère des centaines d'hélicoptères. Mais seule une poignée d'entre eux est à la fois disponible et capable de transporter des malades touchés par le Covid-19. Des NH90 Caïman, modernes et pouvant accueillir à chaque vol deux patients intubés et ventilés, ont déjà assuré plusieurs rotations vers la France et des pays frontaliers. Entre le 28 mars et le 1er avril, les appareils du 1er régiment d'hélicoptères de combat de Phalsbourg ont ainsi convoyé 24 patients en 12 rotations.

Ils vont probablement continuer d'assurer des transferts de patients cruciaux pour alléger les hôpitaux les plus touchés au fur et à mesure de la progression de la pandémie dans chaque région, en complément des avions et hélicoptères de l'armée de l'air et des TGV médicalisés notamment. En parallèle, des hélicoptères pourront être sollicités pour des missions de transport de matériel ou de projection de forces de sécurité intérieure (police ou gendarmerie), ou de militaires pour les soutenir.

 

La Marine nationale, attendue mais limitée

 

Tout en continuant d'assurer ses missions, de dissuasion nucléaire et de souveraineté notamment, la Marine nationale a déjà contribué à l'évacuation de patients d'Ajaccio vers Marseille, grâce à une mission du porte-hélicoptères amphibie (PHA) Tonnerre. Elle déploie en ce moment ses deux autres « couteaux suisses flottants », mais le gouvernement a prévenu mercredi 1er avril qu'ils ne seraient pas utilisés comme hôpitaux flottants, douchant les espoirs des outre-mer auxquels ils sont destinés. Une fois sur place, ces navires seront plutôt exploités comme héliports et comme plateformes logistiques, avec du fret sanitaire.

« Les hôpitaux de bord des PHA sont armés même en contexte non-Covid, mais pas forcément avec toutes les spécialités nécessaires à l'opération Résilience, notamment les spécialités infectieuses », précise-t-on au service de santé des Armées. « Il ne faut pas voir le PHA comme le messie », prévient pour sa part le porte-parole de la Marine nationale, le capitaine de vaisseau Éric Lavault, qui rappelle toutefois que « les marins savent toujours s'adapter ».

Un hélicoptère italien sur le Mistral

Le Mistral, qui était déjà en mission de formation « Jeanne d'Arc » dans l'océan Indien, a ravitaillé en eau et en vivre aux Seychelles fin mars et doit rallier Mayotte le 4 avril, avec la frégate Guépratte qui l'accompagne. Cette dernière, capable de mettre en œuvre un hélicoptère, pourrait rester seule à Mayotte si le Mistral rejoignait La Réunion.

Le porte-hélicoptères est déjà équipé pour des scénarios de crise, mais le seul hélicoptère lourd du bord est un NH90 Caïman italien : des négociations seront nécessaires pour qu'il soit engagé dans des missions opérationnelles (le Mistral embarque aussi deux antiques Gazelle et une pièce de musée, une Alouette III).

Quant au Dixmude, il a été rappelé en urgence à Toulon d'où il doit appareiller le 3 avril, pour rejoindre les Antilles ou la Guyane le 14 avril, une échéance qui sera difficile à tenir puisqu'il faut près de deux semaines pour traverser l'Atlantique. Les pilotes des hélicoptères présents outre-mer, notamment ceux de la sécurité civile et de la gendarmerie, pourront être qualifiés pour apponter sur les PHA si besoin, assure la Marine.

Évacuer jusqu'à 2 000 personnes

Le Mistral et le Dixmude pourront aussi mener d'autres missions, comme la récupération de ressortissants français et européens depuis les régions où ils sont déployés.

Ce type de navire est particulièrement adapté aux missions de soutien aux populations : il dispose d'un petit hôpital de bord pouvant accueillir 69 lits classiques – mais seulement une poignée de lits de réanimation —, et peut emporter 2 000 tonnes de fret, soit l'équivalent d'une centaine d'avions de transport A400M. Après l'ouragan Irma en 2017, le Tonnerre avait livré plus de 1 000 tonnes de fret d'urgence aux habitants de Saint-Martin. Un PHA peut en théorie embarquer 450 passagers lors d'une évacuation, mais en 2006 lors de l'opération Baliste au Liban, 2 000 personnes avaient été évacuées durant un court trajet vers Chypre.

Le Tonnerre bientôt indisponible ?

L'éventualité d'une crise majeure liée au Covid-19 en Afrique amène les militaires à prévoir une évacuation majeure de ressortissants. Pour cela, si le Mistral et le Dixmude sont toujours en mission, il faudra s'appuyer sur le Tonnerre… qui doit entrer en arrêt technique en mai. « Nous étudions actuellement la possibilité de décaler l'arrêt technique du Tonnerre, car ce serait le dernier disponible depuis la métropole », confirme le capitaine de vaisseau Éric Lavault.

Les navires de la Marine ont la spécificité d'être des environnements confinés et leurs équipages doivent être particulièrement prudents. Le pacha du porte-avions américain USS Theodore Roosevelt, actuellement dans le Pacifique avec 4 000 membres d'équipage, dont au moins une centaine sont contaminés par le Covid-19, a lancé le 31 mars un appel inédit au secours à sa hiérarchie pour qu'elle prenne des mesures massives de sauvetage, mettant vraisemblablement ses galons sur la table : « Nous ne sommes pas en guerre, les marins n'ont pas à mourir », a-t-il écrit. Un scénario cauchemar que la Marine doit à tout prix éviter. Côté français, aucun marin du porte-avions Charles-de-Gaulle ou à bord d'un autre navire en mer n'est à ce jour contaminé, nous assure la Marine nationale. Des cas ont en revanche été détectés dans des équipages de bâtiments à quai.

 

L'armée de l'Air face au problème de l'oxygène

 

Les quelques dizaines d'avions de transport de l'armée de l'air sont très sollicitées, à la fois pour la continuité des opérations (il est désormais impossible pour les armées d'utiliser des vols civils pour les opérations extérieures) et pour répondre à la crise du coronavirus. Ils ont déjà été sollicités pour transporter des malades depuis les régions les plus touchées vers des hôpitaux moins chargés : les A330 Phénix, nouveaux ravitailleurs dérivés des A330 civils et pouvant être équipés de kits Morphée pour l'évacuation sanitaire, ont notamment fait plusieurs rotations depuis le Grand Est.

La capacité sanitaire est en cours d'adaptation pour accueillir des patients covid sur d'autres appareils. Outre les A330 Phénix (6 patients), les C135 (4 patients), les A400M (kit développé en urgence opérationnelle pour 4 patients), les Casa (2 patients), les Falcon (2 patients), et les hélicoptères Caracal et Puma (2 patients) peuvent être engagés. De quoi appliquer la deuxième partie de la devise des transporteurs de l'armée de l'air : « combattre et sauver »… dans la mesure de la maigre disponibilité des appareils.

Morphée ne pourra pas sauver l'outre-mer

Mais même s'ils étaient tous alignés sur le tarmac, ces moyens ne pourraient pas être engagés en même temps. « Nous n'avons pas un nombre illimité de modules médicalisés Morphée, et si nous en installons beaucoup sur l'A330 Phénix par exemple, nous ne pourrons pas en installer beaucoup sur l'A400M ou sur d'autres aéronefs : nos capacités ont été dimensionnées pour le juste besoin », explique le porte-parole de l'armée de l'Air, le colonel Cyrille Duvivier. Et au-delà du problème matériel, le facteur le plus limitant reste la disponibilité des équipes médicales spécialisées des escadrilles aérosanitaires, les EAS, qui ne sont qu'une poignée en France et sont incontournables pour tout vol en haute altitude.

Si le calendrier de l'expansion de l'épidémie se poursuit sur une voie qui permettrait à la métropole d'avoir dépassé le pic de l'épidémie lorsque les outre-mer seront touchés, l'évacuation de patients vers les hôpitaux métropolitains pourrait être décidée. Mais ces convoyages aériens de patients intubés et ventilés sur de longues distances se heurtent à un problème majeur : l'oxygène.

« Ce serait comme embarquer une bombe »

L'embarquement de bouteilles supplémentaires d'oxygène pour des vols en haute altitude présente un risque non négligeable : « ce serait comme embarquer une bombe à bord », résume un ancien pilote de l'armée. Résultat : sauf si l'exécutif décide de prendre ce risque, les patients devront se contenter du réseau d'oxygène du bord, qui peut se révéler insuffisant pour les longs vols.

Les patients Covid requièrent de très grandes quantités d'oxygène : par exemple, lors du transfert de 12 patients par le porte-hélicoptères Tonnerre entre Ajaccio et Marseille, soit une douzaine d'heures de traversée, le navire a utilisé l'équivalent de dix mois de sa dotation d'oxygène. « Pour chaque aéronef, l'oxygène disponible à bord sera l'un des critères déterminants de la décision d'emploi », confirme le colonel Duvivier. Les long-courriers militaires ne pourront donc probablement pas transporter massivement des patients Covid d'outre-mer vers la métropole. Le choix se portera peut-être sur une évacuation vers la métropole de patients non-covid, ne nécessitant pas autant d'oxygène, afin de soulager les hôpitaux locaux.

D'autres avions de l'armée de l'Air sont mobilisés pour le transport de fret sanitaire ou du personnel soignant, notamment des avions de transport C130 Hercules et C160 Transall, ainsi que les avions « blancs » de l'escadron de transport Esterel, qui met en œuvre, entre autres, l'A330 présidentiel.

Ce qui se fait à l'étranger

Les actions menées ou envisagées par les armées françaises sont du même type que ce qui est fait à l'étranger. « L'Allemagne a mobilisé 15 000 hommes et, comme en France et en Grande-Bretagne, ils sont utilisés principalement pour le transport de fret sanitaire ou le soutien médical », nous explique James Fargher, analyste du cabinet Jane's. « L'armée britannique envoie des médecins dans un hôpital de campagne à Londres, et transporte des masques et des bouteilles d'oxygène vers les hôpitaux », ajoute-t-il.

« Toutefois, alors que les armées ont les moyens humains et matériels ainsi que les stocks nécessaires pour aider à faire face à la crise, leur efficacité dépend beaucoup de la coordination et des ordres donnés par les gouvernements civils », précise-t-il, évoquant le cas de 2 000 respirateurs (des équipements en pénurie dans le monde entier, essentiels pour ouvrir des lits de réanimation) fabriqués par le Pentagone, qui dorment dans des hangars car personne dans l'exécutif américain n'a ordonné de les expédier vers des hôpitaux.

Quelles règles pour les interventions des armées ?

L'armée française peut intervenir sur le territoire national sur réquisition de l'exécutif selon la règle des quatre « i », c'est-à-dire si les moyens civils sont inexistants, insuffisants, inadaptés ou indisponibles, pour résoudre n'importe quel problème majeur que les moyens traditionnels ne pourraient contenir : crise sécuritaire, pollution massive, crise sanitaire, etc.

Concrètement, les préfets et les agences régionales de santé transmettent des demandes (précisant non pas les moyens requis mais les effets recherchés, les armées se réservant le choix des moyens) aux commandants des zones de défense : sept « super-régions » en métropole, et cinq zones outre-mer. « Les armées étudient, selon les demandes qui sont formulées par les autorités civiles, quels moyens sont disponibles et comment les adapter afin de les utiliser à leur plein potentiel », nous explique l'état-major des armées.

 

Guerric PONCET
Point.fr
03/04/2020

Rediffusé sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr

 Source photo : Ministère des Armées

 

Source : www.asafrance.fr