CORONAVIRUS. Confinement : Les conseils d’un ancien de commandant de sous-marin nucléaire

Posté le samedi 21 mars 2020
CORONAVIRUS. Confinement : Les conseils d’un ancien de commandant de sous-marin nucléaire

Confinement : sport, promiscuité, solitude…
Les conseils d’un ancien de commandant de sous-marin nucléaire



Vincent Larnaudie-Eiffel, livre son expérience à bord du Téméraire, un sous-marin nucléaire lanceur d’engins. Jusqu’à 80 jours de promiscuité, dans quelques dizaines de mètres carrés pour un équipage de 113 hommes. 

 

Des missions longues, de 70 à 80 jours, en immersion complète et en pleine autonomie, dans un espace restreint : tel est le cadre de vie d’une patrouille (113 hommes) servant à bord d’un sous-marin nucléaire lanceur d’engins (SNLE). Une comparaison est-elle possible avec le confinement actuel ?

Sans doute. En tout cas, je me demande si les réflexes acquis pendant ces années de mission vont me servir aujourd’hui dans mon appartement parisien ! Le premier défi, c’est la gestion du temps. Confiné, on n’en a plus la même perception. La veille paraît semblable au lendemain. Il est pourtant très important de jalonner et rythmer ses journées, de ne pas subir ce temps. Mais aussi de ne pas se laisser aller, de maintenir une activité sportive une heure par jour. J’ai pu avoir à reprendre des hommes qui devenaient un peu nonchalants, faisaient leur boulot mais pas plus.

S’imposer des règles, c’est transformer une contrainte en acte volontaire. A bord, tout cela est évidemment facilité par le rythme des quarts. Quand le sous-marin plonge, on sait qu’on part pour une course de fond et une aventure humaine. A cet égard, le film Le Chant du loup, au scénario certes très poussé dans la fiction, restitue bien l’ambiance à bord et les relations de confiance entre les hommes.


Le manque d’espace, la promiscuité viennent aussi à l’esprit…

Un SNLE, c’est quelques centaines de mètres carrés, une chaufferie nucléaire, une mini-base de Kourou avec des lanceurs de missiles et un mini-village. La promiscuité peut vite devenir pesante, irritante. Surtout quand vous devez passer cinq fois par jour devant un type qui étale ses jambes devant lui malgré l’exiguïté… La recette ? Un surcroît de politesse et de patience. On prend des gants même si on bout intérieurement. Des efforts qui doivent être fournis 24 heures sur 24 pendant toute la mission. Bien sûr, tout cela se passe mieux quand les échanges sont faciles. Le commandant est au sommet de la hiérarchie mais il discute avec tout le monde, du jeune second maître au commandant en second.


Des personnalités, des traits de caractère se révèlent-ils dans ces circonstances ?

Les services psychologiques ont existé dans la Marine nationale bien avant qu’ils se multiplient en entreprise. Bien entendu, ils savent ce qui fait la richesse d’un équipage : surtout pas un profil type mais les différences de milieu social, de régions d’origine, d’âge. Les plus jeunes ont à peine 20 ans, la moyenne est inférieure à trente ans et le commandant a entre 42 et 44 ans.

On peut aussi avoir des surprises dans le recrutement. Un jour, je vois arriver un nouvel embarqué qui quittait l’armée de Terre où il avait servi dans les chars et me déclare : « Je suis claustrophobe. Je ne supportais plus d’être confiné dans la tourelle. » J’étais perplexe… Et il s’est parfaitement adapté. En revanche, il ne faut pas se fier aux habitudes. Cela peut très bien se passer pour onze patrouilles et, puis, brutalement on ne supporte pas la douzième.

La clé est aussi de ne pas s’isoler, de participer aux activités de groupe. Il arrive que des hommes errent comme des âmes en peine, repliés sur eux-mêmes. C’est ce qu’on essaie tout de suite de corriger par le collectif. De joyeux drilles peuvent prendre les choses en main, organiser un « défilé » pour le 14 juillet ou une élection présidentielle fictive le jour du scrutin. A l’inverse, une hyperadaptation au confinement doit sembler suspecte.


Quelle place prend le danger à bord ?

En patrouille, on peut effectivement avoir à l’affronter : une avarie, un incendie, une situation opérationnelle tendue, un problème nautique. Une alarme incendie qui se déclenche, une odeur de brûlé, c’est évidemment du stress. Ce peut être aussi des inquiétudes que l’on a emportées avec soi : quel danger court ma famille ? Comment gère-t-elle telle ou telle situation sans moi ?

Pour ne pas augmenter ce stress, on trie les informations qui viennent de la « terre ». Celles des familles – brèves, d’une quarantaine de mots – ne sont transmises qu’après être passées par le filtre du commandant. A l’inverse, les hommes ne communiquent pas avec l’extérieur. Après les attentats du World Trade Center, un commandant de SNLE a ainsi attendu d’être sûr qu’aucun membre de l’équipage n’avait de proches parmi les victimes avant d’annoncer les attentats. Cet « amortissement » des informations, nous ne l’avons pas aujourd’hui avec le coronavirus.

Et quand approche la fin de la mission, c’est l’euphorie qui gagne l’équipage ?

Oui bien sûr, mais attention aux fausses joies. C’est pour éviter cette euphorie, et un certain « relâchement ​» qui peut l’accompagner, qu’on ne donne jamais la date de fin de patrouille. On ne la connaît pas à bord. Elle n’est communiquée que quelques jours avant l’échéance par le commandant qui choisit quand l’annoncer à l’équipage. Et là, on revient soudain dans le temps court. Tout le monde se prépare, range le bateau et… rase sa barbe.

 

 Propos de Vincent LARNAUDIE-EIFFEL
recueillis par
Marie-Amélie LOMBARD-LATUNE
Texte transmis par
le Capitaine de vaisseau (h)  Xavier GUILHOU
Président départemental et Administrateur national
Fédération Nationale des Combattants Volontaires



* Vincent Larnaudie-Eiffel, 60 ans, aujourd’hui dans le privé (industrie navale), a servi dans la Marine pendant trente ans. Au cours de sa carrière, il a commandé le sous-marin nucléaire lanceur d’engins (SNLE), Le Téméraire. Il a également commandé l’escadrille des sous-marins nucléaires d’attaque.

 

Rediffsué sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr

Source : www.asafrance.fr