CORONAVIRUS : La guerre, le Président et le covid 19

Posté le mercredi 15 avril 2020
CORONAVIRUS : La guerre, le Président et le covid 19

La guerre

Une définition en préalable : la guerre n’est pas seulement un conflit armé entre des groupes sociaux, qu’ils soient étatiques, ethniques ou idéologiques. Elle est plus généralement l’utilisation de la violence, sous toutes ses formes (militaire, économique, idéologique, psychologique) dans l’affrontement des volontés de deux camps, tous deux offensifs, ou l’un offensif et l’autre défensif, chacun considérant l’autre comme l’ennemi ou l’adversaire et cherchant, éventuellement, à se concilier des amis ou alliés. C’est pourquoi l’opposition entre les visions de Hobbes et de Rousseau sur l’origine de la guerre me paraît sans grand intérêt et pour tout dire un peu simpliste.

En revanche, ce qui est commun à toutes les formes de guerre c’est la mobilisation de toutes les forces pour conduire à la victoire, c’est-à-dire la soumission de l’un  ou le renoncement de l’autre, quand ce n’est pas la destruction pure et simple de l’adversaire. C’est le caractère global de cette mobilisation et son but qui faisaient dire à Clemenceau :  «politique  intérieure, je fais la guerre ; politique étrangère, je fais la guerre. Je fais toujours la guerre » ; application de sa sentence « lLa guerre ! C’est une  chose trop grave pour la laisser à des militaires.», signifiant ainsi, au-delà de son antimilitarisme, que la conduite de la guerre requérait la mise en œuvre de toutes les forces de la Nation, en particulier morales, et pas seulement  militaires.

Et face à cette épidémie qui implique tous les secteurs d’activité dont dépend la vie de la Nation, le président de la République (PR) se veut Clemenceau en 1917-18 mais pas Joffre en 1914-15. Reste à savoir si sa posture correspond à la réalité de son pouvoir sur la machine étatique ou n’est qu’une incantation, la bureaucratie et l’inertie administrative contrariant souvent chez nous les meilleurs plans.

Les pouvoirs du PR dans la Constitution

Il est tout à fait vrai que le PR de la Constitution de1958 est chef des Armées comme l’était, ni plus ni moins, celui de la Constitution de la IVe République : il est à leur tête mais ne les commande pas et n’en décide pas  personnellement de l’emploi qui incombe au gouvernement.
En revanche, le Parlement ne déclare pas la guerre, il autorise sa déclaration, sous-entendu à la demande du gouvernement qui en a décidé. Une telle demande ne pourrait être formulée qu’à l’issue d’un conseil de Défense au sein duquel le PR, qui le préside, a une influence prépondérante, non seulement parce qu’il donne l’ordre de mise en œuvre de l’arme nucléaire, mais surtout en raison de l’article 16 – celui qui donne des boutons aux partisans d’une VIe République – qui permet au PR, après simple consultation des présidents des assemblées, de prendre les mesures qu’exige la situation : nul doute que le Président exercerait ce pouvoir exceptionnel la guerre déclarée.
C’est cet article 16 qui justifie la reconnaissance au PR d’une compétence de principe dans la guerre. On peut penser ce que l’on veut de cette disposition de notre Constitution, jusqu’à estimer comme certains qu’elle est une incitation au coup d’État, mais elle fait que, contrairement à ce qu’affirme Jean-Philippe Immarigeon, Macron est beaucoup plus proche de Trump que de Coty, surtout si l’on considère la réalité des rapports entre le Président et le Premier ministre depuis que le quinquennat a transformé l’Assemblée nationale en chambre d’enregistrement : il n’y a plus de gouvernement mais seulement un état-major chargé de mettre en œuvre les décisions du Président. Le régime est devenu présidentiel, non dans la lettre de la Constitution mais dans l’esprit de son application.


La crise du Covid-19

L’interrogation sur notre degré de préparation à faire face à cette épidémie est légitime mais la réponse viendra après la crise car le débat (par nature, il est toujours polémique en France) à ce sujet est propre à saper le moral de la Nation en faisant douter de ceux qui conduisent l’action, en l’occurrence l’opération Résilience : tout chef sait qu’une troupe qui doute devient indisciplinée. Or jusqu’à maintenant, aucune des mesures prises et des annonces faites par le gouvernement ne justifient le terme d’amateurisme, y compris au sujet des masques qui ont provoqué  une véritable et risible hystérie des esprits : il sera bien temps plus tard de discuter (âprement !)  pour savoir qui, dans cette crise, a gagné la bataille de la Marne ou conduit à l’échec de la bataille de France. En revanche on peut assurer dès maintenant que l’après crise devra ouvrir plusieurs chantiers de reconstruction.

D’abord en interne, il s’agira de refonder notre système de gouvernance pour, dans le processus décisionnel, donner aux acteurs de terrain la priorité jusque-là attribuée à la technostructure : cela vaut naturellement pour notre système de santé, mais aussi pour l’ensemble du système de protection sociale et pour le rôle et les attributions au sein de notre mille-feuilles administratif. Quant à notre économie, elle ne pourra être relancée sur le principe du rapport de force qui préside actuellement aux relations entre les acteurs, mais sur celui du consensus. Dans tous ces domaines, la refondation ne réussira que si elle implique tous les acteurs concernés, non pas dans un esprit de simple consultation mais dans celui d’une véritable co-construction.

À l’extérieur, la refondation devra concerner la gouvernance au sein de l’Union européenne et les relations de solidarité entre les États membres. La crise a montré que l’Europe ne pouvait compter que sur elle-même, à condition qu’elle s’en donne les moyens, non seulement financiers mais aussi et surtout politiques : soit elle entend désormais constituer un bloc souverain face aux deux autres, Chine et États-Unis, soit elle éclatera.

Il y a unanimité pour affirmer que l’après devra être très différent de l’avant. Dans la tempête, l’eau a empli le navire : alors, ou on écope ou on le regarde couler.

Christian RENAULT
Officier général (2s)

 
Rediffisuer sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr

Source : www.asafrance.fr