Crise et Légion

Posté le mercredi 17 juin 2020
Crise et Légion

En ces temps de pression migratoire latente venant s’ajouter à une agitation sociale et une délinquance endémique dans les cités et banlieues à forte densité d’immigrés, récents ou plus anciens, il devient presque naturel de chercher où pourraient bien se nicher des contre-exemples démontrant la réussite harmonieuse du mélange des nationalités, des races et des religions.

 

Comme ce type de mixité heureuse ne court pas les rues, le seul exemple qui tombe sous la main des traumatisés de l’insécurité est la Légion étrangère. Cette légendaire subdivision d’arme devient l’exemple à suivre, le modèle indépassable, la garantie d’une intégration réussie. Une belle photo de nos képis blancs défilant assortie d’un commentaire acidulé, et la démonstration est faite : la France soignerait tous ses maux en imitant la Légion. Dans les quartiers en proie aux trafics, dans les manifestations émaillées d’exactions, contre les bandes rivales qui règlent leurs comptes à coups de batte de base-ball : « Faites donner la Légion ! » voit-on fleurir sur internet ! Cette vénération de la Légion, pour flatteuse qu’elle soit, est plutôt insensée et pourrait s’avérer perverse. Mais elle a quand même un intérêt.

 

Il n’est pas certain que les Français apprécieraient de vivre dans une « société sans classe fortement hiérarchisée », selon la définition, admise par tous, qu’en a donné le général d’armée Michel Guignon[1]. Cette définition s’applique à une collectivité dont le but ultime est de faire la guerre et non à une sorte d’ONG chargée de recueillir une part de la misère du monde. Dans cette « société sans classe », les fêtes, les joies, les épreuves et les douleurs se partagent à cœur ouvert. Dans les engagements opérationnels, le galon ne protège pas celui qui le porte. Au contraire, il l’expose autant sinon plus que le simple légionnaire. Tel est le sens de cette première partie de la formule. Quant à la « forte hiérarchisation », elle repose sur la valeur du chef, du « père Légion » au dernier promu des chefs d’équipe. Commander à la Légion, autant sinon plus qu’ailleurs, c’est devenir responsable de la vie comme du bien-être de ses hommes. Tout chef sait « qu’un légionnaire isolé est un légionnaire à risque »[2]. Il en est solidaire. Son autorité ne provient pas d’une élection, d’un sondage ou d’un coup de force, mais de sa compétence et de son expérience appuyée sur l’exemple qu’il donne, le courage dont il fait preuve et la confiance qu’il inspire. « L’amour du chef, l’obéissance sont les plus pures traditions »[3].

 

Tous ces étrangers ont une patrie, qui n’est pas la France. Quelle qu’en soit la raison, souvent restée à jamais mystérieuse, ils l’ont quittée, sans la renier, et se sont engagés. La France les accueille, leur fait confiance, les incorpore et leur affecte une arme, en exigeant d’eux de ne l’utiliser que contre ses ennemis. C’est pourquoi ceux qui appellent la Légion au secours des banlieues commettent un contre-sens total lourd d’un potentiel préjudice à l’endroit des soldats qu’ils vénèrent. En contrepartie, ces étrangers acceptent de servir la France partout où le « devoir fait signe », et de verser leur sang pour elle. C’est beaucoup.

Au quartier comme en opération, le légionnaire, bien que déraciné, ne sert pas dans une collectivité dépourvue d’idéal et sans âme. En coiffant le képi blanc, il est en même temps devenu membre de sa nouvelle famille : « Legio patria nostra ». Nanti de ce capital de confiance, de respect et de fraternité d’arme, le légionnaire sait où il va et ce qui l’attend. Il l’a accepté une fois pour toutes. Le cadre est fixé, les règles comprises, les devoirs intégrés au quotidien comme dans les plus exceptionnelles circonstances. Il sera désormais interdit au voleur de voler, à l’arnaqueur d’arnaquer, au tricheur de tricher, au menteur de mentir et au frappeur de frapper sous peine de voir la « société fortement hiérarchisée », à son corps défendant, s’en mêler. En revanche, tous pourront s’épanouir dans une « société sans classe » où les efforts et les savoir-faire de chacun convergent vers la réussite de tous, en opération, au combat comme ailleurs, pour la gloire de la « patria nostra ».

 

On commence à percevoir comment la Légion pourrait servir de modèle à notre chancelante démocratie républicaine qui regarde sans le comprendre le monde militaire, se contente de discours et se perd dans l’inaction. À la « société sans classe fortement hiérarchisée » s’oppose en France une « société sans cadre fortement gangrenée » par les nouvelles idéologies telles le racialisme ou les théories du tout diversitaire imaginées par des associations racisées qui tiennent le haut du pavé, auxquelles s’ajoute une voyoucratie régnant dans les zones de non droit. Faire se tenir droit un État qui s’abandonne à cette multitude de groupes de pression, d’associations bigarrées et de bandes organisées, craint les relais intellectuels, artistiques et médiatiques qui les soutiennent, et jette en pâture à la populace vindicative ses forces de police et de gendarmerie en attendant de les remettre avec jubilation entre les mains pas bien propres d’une justice aux ordres n’est plus, depuis longtemps, dans le domaine du possible. Face aux désordres des banlieues, son credo est la repentance, sa politique le laisser-faire et son offre idéologique le versement de prébendes et subventions. Les vieux piliers de notre société-famille, éducation, civisme, patriotisme ont été jetés aux orties comme relevant d’un conservatisme ringard et dépassé voire toxique. L’avenir est à l’exaltation des minorités, à la déconstruction de notre identité, au refus de la loi et de l’ordre et à la recherche d’une revanche sur notre glorieux passé conquérant et civilisateur, quand ce n’est pas son effacement réclamé à cor et à cri en exigeant le déboulonnement de ses statues.

 

Face à cela, la Légion avance en serrant ses rangs colorés, pour relever les défis qui lui sont lancés. À la déconstruction, qui éructe des slogans dénonçant un présent raciste fondé sur un passé esclavagiste et colonialiste repris en chœur par de hauts personnages brandissant l’étendard de la débandade, elle oppose « More majorum », c’est-à-dire « À la manière des anciens », en référence à la gloire passée de ceux qui sont tombés sur les champs de bataille à travers le monde. Chez elle, pas de race. Sa multitude de nationalités est revendiquée, mais sa langue unique est le français, qui est enseigné en interne. Sa religion est celle de ses morts, et elle l’assume, avec ses aumôniers courageux et fervents. Les modèles à suivre se lisent dans les plis de ses drapeaux ou dans les paroles de ses chants. Après Camerone, sa plus belle fête est celle de Noël, avec ses concours de crèches, ses veillées, ses cadeaux, ses chants de tradition ou de bivouac. Chaque régiment a sa fête, tiré de sa geste guerrière. C’est dans ces moments particuliers où se mêlent la mémoire du passé et la vie présente que se forge l’« esprit de corps » qui se perpétuera dans les nombreuses amicales d’anciens. La Légion, avant de développer ses muscles, a musclé son âme. C’est avec elle que les légionnaires partent en mission, et quand il le faut au combat.

 

L’État, peu enclin au soin des âmes et encore moins à celui des vertus du passé, chaque jour, inflige des camouflets à son peuple, traité ici de « Gaulois réfractaires », ailleurs de « fouteur de b….l » mais qui pourtant, à l’occasion de la crise sanitaire, lui a donné maintes preuves de son inépuisable courage et de son sens du devoir, notamment parmi ses citoyens les plus obscurs et les plus mal payés. Il donne sa préférence à n’importe quelle autre communauté, pourvu que cette préférence ramène le calme et fasse taire les manifestants, fut-ce en immolant l’innocence et donnant raison au dernier des brigands. À l’opposé, la Légion « suit sa route et sans peur de tomber »[4], fière de ce qu’elle est, symbole de rigueur et de discipline. Sa légende s’est ancrée dans l’imagerie populaire pour ne plus en sortir. Tous ces étrangers attendent de la France, en échange de leurs sacrifices dans les combats, qu’elle les reconnaisse comme ses fils. Elle l’a fait, dans la plus pure tradition de ses anciennes valeurs, avec la loi de naturalisation « Français par le sang versé ». Nous sommes à des années-lumière de ces voyous de banlieue, retranchés derrière la couleur de leur peau, qui se sont donnés la peine de naître pour devenir, malgré eux, français par le droit du sol et crachent au visage de celle qui les protège, les éduque et les soigne.

 

Les faits sont là. La Légion est un modèle d’intégration réussie. Mais on voit bien que la première condition pour se lancer dans le défi de l’imiter est que l’État se redresse, regarde en face les réalités qui l’accablent, et change de « logiciel ». Or, pour reprendre une formule vulgarisée par notre actuel et provisoire gérant de la boutique « France », l’État est « en état de mort cérébrale ». Ce n’est pas la Légion qui pourra, à elle seule, par son exemple, assurer sa résurrection. Les armées tout entières, qui partout donnent de la France une digne et valeureuse image, ne le pourront pas davantage.

Et peut-être qu’un jour, l’étranger se demandera si la France vaut encore que l’on vienne mourir pour elle : « Ô France, mon beau tombeau ! »[5] ; ce sera fini.

 

Jean-Jacques NOIROT
Colonel (er)
Membre de l’ASAF

 

[1] Ancien des 1er REP, 1er RE, 2e REI, 2e RE/GOLE et chef de corps du 2e REP.

[2] Lieutenant Ohnleiter, officier à titre étranger.

[3] Paroles du chant de la 13e DBLE

[4] Paroles françaises d’un vieux chant allemand.

[5] Légionnaire et écrivain Blaise Cendrars, La main coupée.

 

Diffusé sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr

 

Source : www.asafrance.fr