DEFENSE : accélérer la loi de programmation militaire pour relancer l'économie (7/10)

Posté le mardi 19 mai 2020
DEFENSE : accélérer la loi de programmation militaire  pour relancer l'économie (7/10)

Dans le but de permettre à la base industrielle et technologique de défense de contribuer à la sortie de crise et aux plans de relance français et européen, le groupe de réflexions Mars* souhaite partager, dans une série de tribunes, les réflexions qu’il mène notamment autour des sujets de la souveraineté et de l’autonomie, du sens donné à l’Europe de la défense et la place réservée à la défense dans un "plan Marshall" européen, des enjeux macroéconomiques et des enjeux industriels et d’innovation dans la défense.
L'objectif du groupe de réflexions Mars est de trouver des solutions pour sécuriser les budgets de défense à court et à moyen terme.

Lors de la crise de 2008, la France avait décidé d'un plan de relance de 26 milliards d'euros. Sur les 4 milliards consacrés à l'investissement, la défense a reçu 1,6 milliard, soit 40%. C'était tout à fait cohérent : la défense est le premier budget d'investissement de l'État.Ce supplément d'acquisitions, irrigant une industrie ancrée dans les territoires et non délocalisable, avait permis de répondre aux priorités des armées. L'armée de Terre, fortement engagée en Afghanistan, avait bénéficié de véhicules supplémentaires, la marine d'un troisième bâtiment de projection et de commandement (BPC) et l'armée de l'Air de deux Rafale en plus. Ces matériels ont tous été produits sur le sol français et leur fabrication a donc eu l'effet d'entraînement recherché sur l'économie française.

La défense a toute sa place dans le plan de relance

Douze ans plus tard, il semblerait que, dans le soi-disant "nouveau monde", certains aient oublié les leçons de l'ancien monde. Il est étonnant qu'aujourd'hui l'évocation de la participation de la défense au plan de relance soit peu audible. Le plan de relance de 2008 avait été piloté par un ministre dédié, Patrick Devedjian, directement rattaché au Premier ministre. Manquons-nous aujourd'hui d'une vision d'ensemble quand il s'agit de booster l'économie française et son industrie en particulier ? Le plan de relance global s'élabore à Bercy, via les Comités Stratégiques de Filière (CSF). Raisonner en silos, dans une logique comptable, serait une erreur qui négligerait une des industries les plus compétitives et innovantes de notre pays.

Si la défense peut bénéficier d'effets de bord au travers des comités de l'aéronautique, du naval et des industries de sécurité, aucun plan ne paraît lui être spécifiquement dédié alors qu'elle représente 200 000 emplois. La défense est pourtant idéale pour une relance économique puisqu'elle repose quasi exclusivement sur du "Fabriqué en France". Par ailleurs, le secteur a largement prouvé sa contribution à la résilience de la nation lors de crise du coronavirus, comme l'a illustré l'action efficace de la direction générale de l'armement (DGA) pour certifier des masques et faire émerger via l'Agence de l'Innovation de Défense (AID) des innovations permettant de lutter contre le Covid-19.

Enfin, la crise n'a pas éteint les rivalités internationales dans des domaines clefs duaux, comme le cyber, l'intelligence artificielle et le spatial. Un supplément d'investissement aurait des effets bénéfiques dans ces domaines, à la fois pour la défense et pour renforcer la compétitivité de l'économie française. L'industrie de défense irrigue de nombreux secteurs et le plan de relance global doit en tenir compte.

Isolement du ministère des Armées

La première leçon de la situation est donc l'isolement du ministère des Armées dans le dispositif gouvernemental alors qu'il est le premier investisseur industriel du pays et un pilier de l'innovation via son budget de recherche-développement, le premier également en France. Afin d'augmenter la cohérence de la stratégie industrielle et d'amplifier les synergies entre filières, ne faut-il pas que la défense ait son propre comité stratégique de filière à Bercy ? Ou que le Ministère de l'Économie soit impliqué dans le comité de politique industrielle de défense?

Amener d'autres ministères à s'impliquer dans le comité de politique industrielle pourrait leur passer l'envie de couper le budget de la défense. L'exemple du précédent plan de relance le démontre : les autres acteurs ne sont pas forcément hostiles au budget de la défense, à condition qu'ils aient la ferme volonté d'une politique industrielle souveraine.

Respecter la LPM et répondre aux besoins immédiats

Le ministère des Armées bénéficie d'une loi de programmation militaire (LPM) de manière constante depuis le milieu des années 1970. Certes, leur mise en œuvre a pu être erratique, en particulier dans l'après-guerre froide. Cependant, il s'agit d'un outil de stratégie industriel précieux, car il permet de mobiliser l'ensemble des acteurs de l'armement autour d'un projet pensé, structuré et financé. C'est ainsi que, sur quatre décennies, la France a pu rebâtir une industrie d'armement à partir de la fin des années 1950 quand elle devait encore quémander des armes aux États-Unis. Le maintien de cet outil depuis la fin de la guerre froide a été essentiel pour maintenir notre autonomie stratégique.

Aujourd'hui, le ministère des Armées met en œuvre la LPM 2019-2025. Cette loi a été savamment pesée. Elle répond à des enjeux géostratégiques que la réalité internationale n'a fait que confirmer. La première chose à faire pour relancer l'économie est de continuer comme avant, en mettant en œuvre la LPM. Elle constitue la force du secteur, elle est un outil efficace qui offre de la visibilité et elle doit être scrupuleusement respectée. La LPM, toute la LPM : la première direction est donnée.

Au-delà du respect strict de la LPM, comme en 2009, le plan de relance peut aider à mieux équiper nos troupes fortement engagées sur différents théâtres d'opération. Ces engagements amènent à une usure accélérée des matériels et à des besoins accrus. Alors que le remplacement de véhicules de l'Armée de Terre via le programme Scorpion a été lissé dans le temps pour étaler les dépenses, ne serait-ce pas l'occasion de l'accélérer ? En évitant la coexistence de véhicules différents, les économies réalisées seraient certaines notamment dans le soutien des matériels.

De même, comme le BPC en 2009, la Marine n'a-t-elle pas besoin de navires de surface supplémentaires avec le programme de Frégate de défense et intervention (FDI) récemment lancé ? Le chef d'état-major de l'armée de l'Air a lui-même insisté en audition parlementaire sur l'acquisition des avions MRTT (Multi Role Tanker Transport), le remplacement des hélicoptères Puma et la modernisation accélérée des Rafale. Par ailleurs, pour l'industrie, accélérer certains programmes permettrait de compenser une baisse prévisible des commandes à l'exportation puisque beaucoup de pays vont rapidement réduire leurs budgets de défense en raison de la crise économique.

La clef de la relance est sa capacité à engendrer rapidement des retombées économiques tout en faisant un bon usage des deniers publics. La défense, en planifiant des achats, est le secteur idéal pour maximiser les retombées nationales des dépenses publiques : tous les projets sont déjà "sur étagère". Enfin, au-delà des grands projets, les petites opérations d'armements ont longtemps été négligées alors qu'elles bénéficient aux PME et ETI. Ne pourraient-elles pas être amplifiées pour rattraper le retard des dernières années ? Le secteur du NRBC (Neurologique, Radiologique, Bactériologique et Chimique) a prouvé son utilité à la résilience du pays lors d'une crise sanitaire, c'est le moment idéal pour le développer. Les besoins matériels et les possibilités sont là : il suffit de choisir et de les financer.

Utiliser la clause de revoyure pour accélérer la LPM

Comme pour le plan de relance en 2008, le gouvernement pourrait accélérer le plan de rééquipement des armées en engageant dès maintenant des dépenses prévues plus tard dans la LPM. Le budget d'équipement des armées devait passer progressivement de 20,8 milliards d'euros en 2020 à 31,5 milliards en 2025 pour lisser la dépense : accélérons le tempo car les besoins sont identifiés et planifiés. L'actualisation de la LPM prévue en 2021 pour prendre en compte "la situation macroéconomique" et définir la trajectoire de dépenses jusqu'en 2025 est la fenêtre d'opportunité idéale. Utilisons cette clause de revoyure pour accélérer les investissements !

Au-delà des besoins immédiats, la LPM 2019-2025 s'inscrivait dans une "Ambition 2030". Le besoin d'autonomie stratégique nécessitait selon cette ambition de mettre l'accent sur le renseignement, la capacité à prévenir les crises internationales, la présence dans les "nouveaux espaces de confrontation" et l'innovation. Les pistes d'investissement à long terme sont donc déjà identifiées et nous savons où la France peut décider d'investir dès aujourd'hui. A cette fin, l'Agence de l'Innovation de Défense (AID) pourrait bénéficier de moyens supplémentaires. Elle possède encore des marges de manœuvre limitées, puisque son budget résulte essentiellement du regroupement d'activités antérieures à sa création. Il était de 720 millions d'euros en 2019 et devrait atteindre 1 milliard en 2022.

Pourquoi ne pas profiter de la revoyure de la LPM pour accroître son budget et ainsi lui permettre de prendre son envol ? Cette action serait d'autant plus salutaire que les entreprises risquent de réduire leurs investissements de R&D, les capacités d'autofinancement étant amoindries. Donnons à l'AID plus de crédits pour lancer des démonstrateurs et des études amont pour répondre aux besoins de nos soldats et stimuler l'écosystème de l'innovation afin de faire émerger cette "startup nation" promise par le président de la République.

Relocaliser à la bonne échelle

Enfin, cette crise met de manière criante en évidence les limites des choix faits dans l'industrie, avec une dépendance vis-à-vis de fournisseurs étrangers pour de nombreux composants et équipements. Si les masques étaient considérés jusque-là comme un enjeu non-stratégique et civil, force est de constater que même les militaires en ont besoin. Cette crise peut être l'occasion d'enclencher la Loi de Programmation des Moyens Souverains (LPMS), qui entamerait la relocalisation de productions stratégiques mais souvent peu prises en compte car en dehors du périmètre strict de l'armement. Dans le cadre de son plan de relance, le Japon offre des aides à la relocalisation industrielle, notamment vis-à-vis des entreprises japonaises installées en Chine. Pourquoi ne pas faire la même chose ?

La relocalisation d'activités industrielles pose aussi la question de la bonne échelle pour la mettre en œuvre. Étant donné le coût des futurs équipements ou des volumes de production nécessaires pour avoir une base industrielle viable et innovante, l'Europe semble être le bon niveau pour envisager un certain nombre de ces relocalisations. La France doit étudier ses faiblesses et choisir ses dépendances, c'est-à-dire les secteurs et les partenaires avec qui elle choisit d'avancer. On peut être Européen à 27 comme à 2 : l'important est que les pays impliqués construisent ensemble une autonomie stratégique, qui réponde à des ambitions partagées dans un domaine donné. Il faut penser en amont pour ne rien se voir imposer. La crise du coronavirus et ses conséquences économiques sont l'occasion unique de réduire la dépendance française aux importations.

Tandis que Bercy prépare sa relance, la Commission européenne prépare également la sienne. Les sommes évoquées sont importantes et les priorités sont claires : "Green Deal", transformation digitale et autonomie stratégique. N'est-ce pas l'opportunité pour les Armées d'accélérer leurs recherches sur des technologies respectueuses de l'environnement, comme les propulsions hybrides, tout en gardant en priorité leur attention sur les besoins opérationnels ? Alors que les imprimantes 3D ont prouvé leur utilité pendant la crise du coronavirus comme en opérations extérieures, n'est-ce pas le moment d'en doter plus massivement les armées et l'industrie ? Les fonds européens ne pourraient-ils pas abonder des dispositifs français de la DGA finançant des entreprises locales ? Les opportunités liées au plan de relance européen seront nombreuses et il conviendra certainement d'optimiser les complémentarités.

La crise économique provoquée par le coronavirus sera un test pour l'exécutif : respectera-t-il sa parole et gardera-t-il le cap de la LPM ? Le précédent de 2009 a donné en partie la bonne formule pour une relance : accélération des acquisitions, anticipation de l'avenir, relocalisation. La voie est tracée. 

 

Groupe de réflexions Mars*

 

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* Le groupe Mars, constitué d'une trentaine de personnalités françaises issues d'horizons différents, des secteurs public et privé et du monde universitaire, se mobilise pour produire des analyses relatives aux enjeux concernant les intérêts stratégiques relatifs à l'industrie de défense et de sécurité et les choix technologiques et industriels qui sont à la base de la souveraineté de la France.

 

Légende et source photo : "Le chef d'État-major de l'Armée de l'Air a lui-même insisté en audition parlementaire sur l'acquisition des avions MRTT (Multi Role Tanker Transport), le remplacement des hélicoptères Puma et la modernisation accélérée des Rafale. (Le groupe de réflexions Mars*) (Crédits : Armée de l'air) 


Rediffusé sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr

 

Source : www.asafrance.fr