DEFENSE : La France se dote de nouvelles capacités de surveillance spatiale

Posté le jeudi 16 décembre 2021
DEFENSE : La France se dote de nouvelles capacités de surveillance spatiale

Dans un entretien au ­Figaro, le ­général Michel Friedling, commandant de l’espace (CDE), et André-Hubert Roussel, président exécutif d’Ariane Group, expliquent les ­enjeux de la surveillance spatiale et de la détection des menaces en ­orbite, afin d’assurer la protection des satellites militaires.

 

LE FIGARO.- Le ministère des Armées signe, ce 16 décembre, un contrat avec Ariane Group portant sur la surveillance de l’espace. De quoi s’agit-il exactement ?

 

Général Michel FRIEDLING. - Le ministère des Armées renouvelle sa confiance dans Ariane Group en lui achetant non pas une infrastructure mais un service de données de surveillance spatiale optique, basé sur son système GEOtracker. Grâce à ce service, nous pourrons « voir » tout ce qui se passe en orbite géostationnaire (GEO, à 36 000 km de la Terre, NDLR) afin de protéger nos actifs spatiaux militaires. Il s’agit d’un enjeu de souveraineté et d’une priorité de notre stratégie spatiale de défense, qui reconnaît que l’espace est devenu un milieu de confrontation possible. Depuis 2019, l’espace est d’ailleurs reconnu également par l’Otan comme le 5e domaine d’affrontement, au même titre que la terre, la mer, les airs et le cyber­espace. L’Otan a même déclaré lors de son dernier sommet, en juin 2021, qu’une agression spatiale déclencherait l’article 5 impliquant l’assistance de l’Alliance à l’État agressé. Dans ce contexte, la capacité de ­surveillance spatiale dont la France se dote est absolument stratégique.

André-Hubert ROUSSEL.- Ce nouveau contrat pluriannuel élargit ­celui de 2017, qui a permis au CDE d’évaluer les capacités du service. Le CDE bénéficiera des améliorations de GEOtracker, dont les capacités d’observation sont amplifiées, en particulier grâce à l’apport de ­l’intelligence artificielle qui démultipliera la quantité, la fiabilité et la pertinence des données fournies. GEOtracker a été développé dès 2008, après la destruction d’un satellite chinois par la Chine ayant généré de multiples ­débris à longue durée de vie par un missile tiré depuis la Terre. Ariane Group a construit un réseau de surveillance optique basé sur le déploiement de neuf télescopes dans six pays amis, qui offre une couverture permanente à 360 degrés de l’arc GEO. D’ici à 2025, ce réseau comptera trente stations dans le monde, ce qui en fera la première infrastructure européenne privée dotée d’un catalogue répertoriant plusieurs milliers d’objets.

 

La capacité de surveillance relève-t-elle des attributs de la puissance spatiale ?

M. F.- Oui, au même titre que la capacité de développer, construire, lancer et opérer des ­satellites en toute autonomie. La surveillance spatiale et la neutra­lisation des menaces en orbite sont stratégiques pour les armées françaises et occidentales. L’enjeu est également économique. Les acti­vités spatiales ont généré des revenus de 400 milliards d’euros en 2020, ce sera près de dix fois plus à l’horizon 2040. Militaires et civils sont devenus dépendants de l’espace. Être capable d’identifier et de suivre les objets, de détecter des manœuvres hostiles ou irresponsables et de les neutraliser est facteur de sécurité pour les opérations économiques et militaires. Car nous sommes entrés dans un triptyque de compétition, de contestation et d’affrontement, une perspective, hélas, très probable.

 

L’Europe est-elle souveraine dans la surveillance spatiale ou dépend-elle des États-Unis ?

M. F. - Pour la surveil­lance de l’espace, la France et l’Allemagne sont les deux États en Europe à disposer de capacités significatives. Mais elles sont insuffisantes et nous dépendons encore trop des informations fournies par nos partenaires américains, qui sont, aux ­côtés de la Russie et de la Chine, les seuls à disposer d’une capacité pleinement souveraine. Nous avons donc une feuille de route pour ­devenir plus autonomes dans ce ­domaine. Elle prévoit, d’une part, le renouvellement de nos capacités telles que le radar de surveillance de l’orbite basse Graves, développé par l’ONERA, et, d’autre part, de signer des contrats de services de surveillance spatiale avec des opérateurs de confiance, dont Ariane Group. Nous avons en effet besoin de beaucoup de données complé­mentaires, issues de différents capteurs, afin de mettre à jour en temps quasi réel notre situation spatiale sur toutes les orbites.

A.-H. R. - Notre enjeu, c’est de garantir aux armées la détection de l’exhaustivité des objets sur toutes les orbites et des trajectoires anormales. Nos moyens détecteront bientôt les objets de moins de 10 cm dans un espace de plus en plus encombré, notamment par des débris.

Quel est l’état des menaces ?

M.  F. - Les opérations cyber, de brouillage, d’écoute, d’aveuglement de satellites et de harcèlement sur les positions orbitales sont bien connues. Nous voyons aussi des opérateurs, sous pavillon privé, mener des manœuvres suspectes, et demain potentiellement hostiles, en orbite. Enfin, il y aura dans l’espace des « avions spatiaux » pouvant rester plusieurs mois en orbite, changer d’orbite et potentiellement embarquer des charges utiles militaires. Le X-37 américain, qui n’est encore qu’un prototype, ou le ­Shenlong chinois expérimenté en 2020 en sont deux précurseurs.

A.-H. R. - Face à ces nouvelles ­menaces, c’est aussi le rôle d’Ariane Group de développer, pour le ­ministère des Armées, des solutions innovantes pour protéger ses satel­lites de souveraineté et d’anticiper les ruptures technologiques à venir, comme les planeurs hypersoniques.

La France pourrait aussi répliquer ?

M. F. - Oui. C’est un des axes de la stratégie spatiale française présentée par la ministre des ­Armées, ­Florence Parly, en juillet 2019. La France assume de défendre ses ­intérêts spatiaux, qui ne se limitent pas aux moyens militaires ou français. La France se dotera de moyens de ­défense active avec ­notamment des satellites capables de neutraliser des objets spatiaux agresseurs et de ­surveiller l’environnement des ­satellites les plus sensibles, avec des satellites patrouilleurs. Un démonstrateur de patrouilleur GEO, développé par le CDE, le CNES et la DGA, doit effectuer un premier vol en 2024. D’ici à 2030, l’armée de l’air et de l’espace disposera de ­satellites patrouilleurs pleinement opérationnels.

L’espace est aussi un business. Le service GEOtracker pourrait-il être vendu à l’international ?

A.-H. R. - Bien sûr. Les moyens de surveillance et de gestion du trafic en orbite deviennent ­majeurs pour les opérateurs privés de satellites et de constellations. GEOtracker ­intéresse déjà des clients privés et des forces armées alliées. À ce titre, être l’opérateur de confiance du CDE constitue une ­reconnaissance de la qualité de notre service et un atout.


Propos du général Michel FRIEDLING et
André-Hubert ROUSSEL
recueillis par
Véronique GUILLERMARD
Le Figaro
16 décembre 2021

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Source : www.asafrance.fr