DEFENSE : La France se prépare à « endurcir l’armée de terre »

Posté le jeudi 18 juin 2020
DEFENSE : La France se prépare à « endurcir l’armée de terre »

Le général Thierry Burkhard présente mercredi soplan stratégique face aux affrontements du futur, « Etat contre Etat » et regrette le carcan bureaucratique qui a entamé le moral des troupes.

 

Une armée de terre française « endurcie », munie de toute la panoplie, armes cyber, drones, canons, chars. Pour quoi faire ? Son nouveau chef d’état-major, en poste depuis juillet 2019, le général Thierry Burkhard, s’en est expliqué pour la première fois devant la presse. Son « plan stratégique » pour les dix ans à venir a été rendu public mercredi 17 juin.

Légionnaire parachutiste, le général Burkhard, 55 ans, est un opérationnel, pragmatique. Il a commandé la 13e demi-brigade de la Légion étrangère, mais aussi le centre de conduite des opérations de l’état-major central. Il évoque l’engagement occidental en Afghanistan dans les années 2010 comme « la période où nous avons redécouvert la guerre de façon brutale ». Les talibans ne représentaient certes « pas une menace vitale, existentielle » pour la France. « Mais on a retrouvé quelqu’un qui voulait nous tuer, et cela nous a ramenés à une efficacité opérationnelle significative. » A l’époque porte-parole de l’état-major des Armées, le colonel Burkhard répondait chaque semaine ou presque aux questions soulevées par la mort de soldats français au combat.

Aujourd’hui, selon lui, ce cycle de conflictualité dominé par la contre-insurrection s’achève. L’armée attend de nouveaux affrontements, « symétriques, Etat contre Etat ». La guerre en Libye, avec le partage du terrain qu’ont organisé la Russie et la Turquie, démontre qu’ils peuvent arriver plus vite que prévu, et ce non loin de la France. L’Europe, juge le général, « est cernée » par « la militarisation sans complexe du monde »« Nos adversaires nous testent de plus en plus durement, sans craindre d’aller à l’incident. » Or, a-t-il expliqué à ses troupes dans une vidéo interne, « le moindre incident peut dégénérer en escalade militaire non maîtrisée ».

L’armée française épouse les analyses de l’OTAN. « Le combat futur avec la Russie ne procédera pas d’une invasion, mais peut-être d’une erreur de calcul qui nous entraînera », assurait ainsi un cadre de l’organisation, il y a quelques mois, à Paris. Dans ce contexte, avait estimé l’expert, « l’armée de Terre française devra se concentrer sur ses capacités de dissuasion, toujours se tester et innover sous la pression, développer ses feux, son interopérabilité et ses défenses antimissiles, mais aussi sécuriser ses systèmes de commandement ».

« Endurcir l’armée de terre »

Pour dissuader la Chine de planter son drapeau sur les îles Glorieuses, à l’entrée du canal du Mozambique, ou de grignoter les intérêts français du Pacifique, il faudra montrer que le commandement français de la zone a les moyens de riposter au besoin, illustrent les généraux. Une étude de l’Institut français des relations internationales, commandée par les états-majors, a montré, début 2020, les fragilités des bases avancées françaises. Des véhicules de l’avant blindé seront bientôt positionnés en Nouvelle-Calédonie.

La situation géostratégique exige donc d’ici à 2030 « d’endurcir l’armée de Terre pour qu’elle soit prête d’emblée à des engagements plus difficiles », énonce son chef. « Cela ne veut pas dire se préparer à refaire mai 1940. Car il faudra mieux combiner les nouveaux effets cyber, et informationnels. » Selon lui, « l’information et la désinformation sont devenues des armes extrêmement puissantes. Ceux qui les maîtrisent sont des pays désinhibés qui ont forcément un temps d’avance ».

Dans ce cadre, la complication viendra du fait que les combats « asymétriques » contre des guérillas ne sont pas près de cesser. Le général veut « être prêt à la haute intensité tout en continuant à faire Barkhane », la principale opération extérieure française, avec 5 100 soldats, qui affrontent des djihadistes en sandales, dépourvus d’armes sophistiquées.

Les entraînements et les moyens de l’armée de Terre devront donc être réorganisés. En 2023, un exercice du niveau d’une division, avec 15 000 à 20 000 militaires, sera organisé sur le territoire, peut-être avec des alliés. Une première depuis la guerre froide. La question de « la masse » revient dans l’expression des chefs militaires français. Ils ont fait remarquer que le canon de 155 mm Caesar a tiré plus de 20 000 coups en trois ans en Irak. Ou encore qu’il a fallu à la coalition internationale une force de 90 000 soldats pour expulser 15 000 djihadistes de Mossoul. L’armée de Terre d’active n’augmentera pas – elle compte 114 000 hommes et femmes, dont 77 000 dans la force opérationnelle. Mais elle devra puiser des forces plus significatives dans la réserve (24 000 volontaires). Le « commandement du territoire national » va réfléchir à l’armer.

Les « biffins » sont aussi appelés à mieux travailler avec les autres forces. « L’armée de Terre doit intégrer mieux les autres moyens, nationaux et alliés », estime son patron. « Nous dépendons de l’armée de l’Air, j’attends qu’elle soit elle aussi complète : supériorité aérienne, défense sol-air, appui feu, transport tactique et largage de parachutistes, domaine où on est moins forts qu’il y a vingt ans. » Demain, les pilotes de Rafale et les officiers du sol désignant les cibles partageront le même écran.

Restent quelques difficultés. Le coronavirus a gelé les recrutements. Le retard – un déficit de 1 000 à 2 000 jeunes sur les 16 000 à trouver en 2020 – ne sera pas entièrement rattrapé. Les entraînements, déjà trop faibles, ont eux aussi pris du retard. « Il est certain que notre armée n’a pas assez d’épaisseur pour faire face à un conflit majeur doublé d’une crise intérieure d’ampleur », en a conclu le général devant les députés, début mai. Autrement dit : « L’employer uniquement à distribuer des masques n’est pas sans conséquences. » Endurcir l’ensemble, défend-il comme son prédécesseur, le général Jean-Pierre Bosser, serait la solution : qui peut le plus peut le moins.

Carcan bureaucratique

Autre problème, l’héritage des réformes menées entre 2008 et 2017. « Les armées sont enfermées dans un excès de normes », juge Thierry BurkhardCe carcan bureaucratique a entamé le moral des troupes. Il s’est combiné avec un modèle de défense inspiré de l’entreprise, vivement dénoncé par les chefs militaires. « L’efficience, c’est l’antirésilience, poursuit-il, car elle dit : Pas de stocks, cela coûtePas la peine d’avoir des camions pour tout le mondeOn pourra acheter des munitions le moment venu”. » La crise sanitaire a mis au jour les dépendances de la France, des masques aux médicaments. « Nos ennemis feront tout pour nous empêcher de compléter nos stocks de munitions et de pièces de rechange », alerte le chef militaire sur ce qui pourrait se passer demain.

Il manque des moyens, surtout des « feux », pour l’armée de Terre. Elle ne dispose que de 77 Caesar, de 109 autres canons et de 200 chars – dont les équipages ont pâti ces dernières années d’un niveau dramatiquement bas de préparation opérationnelle, selon la hiérarchie militaire elle-même. Retrouver les 1 400 chars lourds de la guerre froide n’aurait aucun sens. Mais le chef de l’armée de Terre espère optimiser ses ressources, qu’il sait comptées. « Nous devons identifier nos équipements les plus stratégiques, dont il faudra sécuriser toute la chaîne de valeur », a-t-il déclaré devant les députés le 20 mai.

Le nouveau plan s’accompagne d’une réécriture du code du soldat. Le bréviaire a été recentré sur l’état singulier du militaire par rapport au civil, il devient un « code d’honneur ». Son ancien point 9 – « Il est ouvert sur le monde et la société et en respecte les différences » – est supprimé. Au chapitre du « Combat », le mot « ennemi » vient remplacer celui d’« adversaire », tout en rappelant l’éthique française en la matière, inchangée : « Maître de ma force, j’agis avec humanité et respecte mon ennemi. »

Nathalie GUIBERT
(Avec l’aimable autorisation de l’auteur et du journal Le Monde)

 

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 Pour télécharger l'audition l’audition du général Thierry Burkhard, Chef d’état-major de l’armée de Terre, devant l'Assemblée nationale, cliquez sur le PDF ci-dessous.
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Rediffusé sur le site : www.asafrance.fr

Source : www.asafrance.fr