DEMOCRATIE : Puis-je m’exprimer librement au sujet de… la liberté d’expression

Posté le mardi 27 octobre 2020
DEMOCRATIE : Puis-je m’exprimer librement au sujet de… la liberté d’expression

La liberté d’expression est le fondement de toute démocratie. Elle  est un droit humain fondamental énoncé à l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 qui dispose que « Tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considération de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit. »

De même que la liberté d’information et la liberté de la presse, la liberté d’expression pose la base de tous les autres droits. Ainsi, chacun a le droit d'avoir son opinion, ses idées et de les exprimer par n'importe quel moyen et sous n'importe quel format

L’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme  réaffirme la liberté d'expression en disposant que « Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. »

La Convention ayant valeur supra législative, elle prime les lois nationales, y compris constitutionnelles, chaque État devant adapter sa législation interne aux exigences européennes. En droit français, la liberté d'expression est formulée aux termes de l’article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et a donc valeur constitutionnelle. Il s’énonce ainsi : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme, tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. »

Aujourd’hui, le droit français distingue l’expression des idées et la protection des personnes. C’est la raison pour laquelle, dans notre pays, cette liberté est encadrée par la loi qui lui fixe des limites : la diffamation, l’injure, la provocation à la haine qui comprend le racisme et l’antisémitisme ou encore l’apologie du terrorisme.

Mais en dehors de ces premières limites, que l’on pourrait qualifier de « constitutionnelles » et donc fondamentales, la liberté d’expression n’est toujours pas un absolu. Elle est affectée de bien d’autres restrictions touchant soit au statut particulier des personnes, soit à la nature des informations concernées.

Relativement aux personnes est d’abord posé le principe du devoir de réserve. Dans la fonction publique française, le devoir de réserve « interdit au fonctionnaire de faire de sa fonction l’instrument d’une propagande quelconque »... Il s'agit d'une application du principe de neutralité du service public,  néanmoins balancé par les droits syndicaux. Les fonctionnaires doivent exprimer leurs opinions de façon prudente et mesurée, de manière à ce que l’extériorisation de celles-ci, notamment politiques, soit conforme aux intérêts du service public et à la dignité des fonctions occupées. Plus le niveau hiérarchique du fonctionnaire est élevé, plus son obligation de réserve est sévère. Ce devoir n'est pas inscrit dans la loi mais est consacré par la jurisprudence.

 

Se pose ensuite la question de la nature des informations détenues par les individus et qui, dans certains cas, ne peuvent être divulguées. Il s’agit là de la longue liste des secrets : secret médical, secret de l’instruction judiciaire, secret de la confession, secret défense voire  le secret professionnel ou le secret des affaires.

Si la reconnaissance de ces « secrets » est à peu près admise par tous, il peut toutefois y avoir parfois des « sorties de route ». Ainsi, en 2015, deux journalistes du magazine Le Point et un « plumier » du Canard Enchaîné ont été condamnés à une amende de 3 000 € pour « avoir porté atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation en révélant l’identité réelle d’un agent secret »[1].

Mais, cependant, alors que les choses apparaissent ici relativement claires, il peut en être très différemment relativement à la définition précise des limites fondamentales de la liberté d’expression à travers des termes comme diffamation ou injure.

Ne pas tenir de propos diffamatoires : la diffamation se définit par toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personne ou du corps auquel le fait est imputé. Il est possible, pour se défendre d’une accusation de diffamation, d’invoquer l’exception de vérité, c’est-à-dire de rapporter la preuve de la vérité de ses propos.

Mais où sont définies les notions d’honneur et de considération ? Quand Charlie Hebdo , le jeudi 28 novembre 2019, publie cinq dessins mettant en scène treize militaires tués trois jours plus tôt  au combat, au Mali, dans un accident d’hélicoptères en parodiant une campagne de recrutement de l’armée de Terre et où l’on voit un cortège funéraire ou un cercueil  décoré avec ces phrases : «  Je protège mon pays, je progresse dans ma vie » ou « Je suis tourné vers les autres et mon avenir », sommes-nous toujours dans le domaine de la liberté d’expression ?

Quand d’autres caricatures prêtent à des représentants d’une religion, quelle qu’elle soit, des pratiques sexuelles qui heurtent les règles  morales communément admises ou sont en opposition totale avec les préceptes prônés par ladite religion, n’y a-t-il pas injure ou manque de considération ?

Mais, quoi qu’il en soit, pour que la notion de limite ait un sens, il faut qu’elle soit perceptible par tous de la même façon, à l’instar d’un panneau de signalisation routière limitant la vitesse ou d’une affiche fixant les horaires d’ouverture d’un magasin. Or, l’honneur et la considération sont des valeurs relatives. L’honneur chez Pierre n’a peut-être pas la même dimension intime que chez Paul et, de toute façon, il y a forcément, et par définition, distorsion dans la perception de cette notion entre le diffamé et le diffamateur. En clair apparaît ici une notion de morale qu’aucune loi ne pourra jamais réguler.

Ne pas tenir de propos injurieux : l’injure se définit comme toute expression outrageante, terme de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait.
Un tribunal a condamné l’auteur d’un blog qui avait publié les termes suivants « misérable imbécile », « triste individu », « aussi laid que lui », « énergumène » et « aussi inepte que l’individu lui-même ». On voit que le champ juridique qui qualifie des propos d’injures est pratiquement infini. La difficulté est de savoir où l’injure commence. .Quand une journaliste écrit dans un grand magazine hebdomadaire, à propos de la nomination du nouvel archevêque de Lyon par ailleurs ancien saint-cyrien : « Malgré son passé militaire, l'homme sait également faire preuve d'une certaine modernité », n’y a-t-il pas là une forme d’insulte collective à l’égard de tous les militaires ou, pour le moins, une forme de mépris ?

 

En dehors de tout aspect juridique ou légal, il en est un qui n’est jamais abordé. La liberté d’expression doit-elle s’appliquer à tous de la même façon ? Ne doit-on pas, dans certains cas, et alors même que le devoir de réserve ne nous l’impose pas, se contraindre à limiter sa propre liberté d’expression du fait de sa situation particulière  et de l’impact qu’auraient certains propos tenus sur une partie de la société ? Là encore, cette forme d’autocensure vertueuse rejoint le domaine de la morale. C’est, à l’évidence, ce qu’un ancien président de la République n’a pas compris comme en témoigne un livre intitulé  Un président ne devrait pas dire ça...[2]

 

À l’inverse, et par effet miroir, il faudrait mettre en regard de la liberté d’expression, l’obligation d’expression. En effet, la rétention d’informations ou la délivrance d’informations volontairement incomplètes peuvent être considérées, dans certains cas, comme une altération de  la liberté d’expression dès lors qu’elles s’opposent, pour autrui, à la liberté ou au droit d’en connaître. Cette problématique concerne tout particulièrement les journalistes.

Dans le Code de déontologie du journaliste on lit que « le rôle essentiel du journalisme est de rapporter fidèlement, d’analyser et de commenter le cas échéant les faits qui permettent aux citoyens de mieux connaître et de mieux comprendre le monde dans lequel ils vivent ». Plus loin, il est dit que l’information journalistique doit être « exacte, indépendante, impartiale, équitable, équilibrée et intègre ». Enfin, et c’est là une donnée importante il est aussi écrit que : « les faits et les idées d’intérêt public doivent circuler librement et en tout temps ». Quand des journalistes savent qu’un président de la République entretient aux frais du contribuable une seconde famille clandestine ou qu’il est gravement malade, et ne le disent pas, ils enfreignent en creux la liberté d’expression.

La mission d’information du citoyen propre au journalisme est génératrice de droits et de devoirs, donc d’une responsabilité sociale spécifique. Cependant, qui contrôle l’exercice de cette responsabilité ? Laissée à l’appréciation des seuls journalistes, elle n’est pas définie avec précision  et n’est donc opposable à personne. La liberté d’informer, forme journalistique de la liberté d’expression, ne se voit imposer aucune contrepartie permettant d’assurer la qualité et le caractère responsable de l’information.

 

On prête à Voltaire cette citation sans doute apocryphe : «  Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire. ».  Certes, mais le philosophe des Lumières ne répond pas à la question : est-il toujours dans l’intérêt général de le dire ?

 

Gilbert ROBINET

Diffusé  sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr
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[1] À l'origine du litige, un livre, L'Espion du président, paru aux éditions Robert Laffont en 2012. L'ouvrage était, en grande partie, consacré à Bernard Squarcini, alors directeur de le patron de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), devenue Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI).

[2]Un président ne devrait pas dire ça..., sous-titré Les secrets d'un quinquennat, est un livre des journalistes d'investigation Gérard Davet et Fabrice Lhomme, publié le 12 octobre 2016 par les éditions Stock.

Source photo : cosmovisions.com 

Source : www.asafrance.fr