DEPART. Conseil franco-allemand : L’adieu à MERKEL  

Posté le mercredi 02 juin 2021
DEPART. Conseil franco-allemand : L’adieu à MERKEL   

Le 31 mai, Angela Merkel a participé, en visioconférence, à son dernier conseil des ministres franco-allemand. Jacques Chirac et Gerhard Schröder avaient inauguré en 2003 l’usage de ces rencontres entre une dizaine de ministres des deux pays, alternativement à Berlin ou à Paris. Les deux hommes avaient, après un début difficile, trouvé un compromis – Gerhard Schröder, un social-démocrate (SPD), prenait la suite en 1998 du chrétien-démocrate (CDU) Helmut Kohl, politiquement plus proche du président français. « Les deux premières années furent émaillées de conflits » convenait sans barguigner Gerhard Schröder dans une tribune donnée au Figaro en septembre 2019 après la disparition de Jacques Chirac (1). « Un véritable conflit s’est produit lors du sommet européen de Nice en 2000 (…). Mais cette dispute eut également une conséquence positive, une sorte d’effet purificateur (…). Nous avons surtout réalisé tous les deux que l’Union européenne ne pouvait progresser que si l’Allemagne et la France se mettaient d’accord et trouvaient des compromis permettant d’obtenir un soutien majoritaire dans tous les pays de l’UE, en particulier parmi les petits pays. Cette idée est toujours valable pour le présent et l’avenir de l’Europe ».

Et de rappeler que les mots s’incarnaient dans des actes : « Sans cette dose de confiance mutuelle, la fronde de certains pays européens contre la funeste guerre d’Irak déclenchée en 2003 par George W. Bush n’aurait pas été possible. Aujourd’hui, nous savons que cette action militaire a été une cause décisive de conflits et de guerres civiles au Moyen-Orient, et est notamment à l’origine de l’émergence de l’État islamique ». La confiance entre les deux hommes a effectivement régné un moment : « Alors que je devais participer à un vote au Bundestag, Jacques Chirac me représenta à un sommet européen en 2003 et vota à la place de l’Allemagne ». Inimaginable aujourd’hui.

La tradition de ces rencontres entre ministres allemands et français perdure au-delà de leurs mandats. C’est Angela Merkel qui prend la suite de Gerhard Schröder en novembre 2005. Les temps vont changer. Nicolas Sarkozy l’éprouve lorsqu’il réunit à Paris le 4 octobre 2008, en pleine tourmente financière (crise dite des « subprimes » ouverte aux Etats-Unis), le britannique Gordon Brown et Silvio Berlusconi avec une Angela Merkel qui ne voit pas la nécessité d’une réunion et nie alors la gravité de la situation des banques allemandes – jusqu’à son retour à Berlin, le soir même (2). Elle hésite, elle est désemparée.
Il lui faudra du temps pour comprendre que les Allemands « avaient eux-mêmes un problème et que ce n’était pas une externalisation du problème français » résumait une source proche du dossier. « Le 12 octobre, un sommet des chefs d'État et de gouvernement de toute la zone euro, cette fois-ci, adopte un long communiqué en cinq pages déclinant l'ensemble des mesures à prendre pour calmer le jeu ». La chancelière est toute là – obligeant le président français, Nicolas Sarkozy, qui jouait le rôle d’aiguillon, à la patience. « Sa vrai force a souvent été sa faiblesse » résumait l’ancien secrétaire général de l’Elysée, Xavier Muscat. « La chancelière nous disait : ‘'À supposer même que je fasse ces choses que je ne trouve pas totalement raisonnables, quelqu'un fera un recours devant la Cour constitutionnelle. Il gagnera et à ce moment-là, qu'est-ce qui se passera ?" ».

Ses relations avec François Hollande, dont elle ne souhaitait pas la victoire en 2012 (elle avait refusé de le recevoir à Berlin pendant sa campagne), sont à son avantage, le président français se montrant hésitant à imposer sa volonté, cinq ans durant. Et ce malgré sa promesse de campagne – réorienter l’Europe et mettre un terme aux politiques d’austérité quand il disait vouloir rééquilibrer la relation franco-allemande. Mais, constatait en 2017 Nicolas Barotte pour le Figaro (3), « finalement c'est François Hollande qui renonce et qui ratifie le Pacte de stabilité, inscrivant dans le marbre la limite des 3% de déficit ». À la fin de son mandat, « le déséquilibre entre la France et l'Allemagne n'a pas été résorbé. Angela Merkel apparaît comme la principale dirigeante européenne».

Peut-être y a-t-il maldonne entre la France et l’Allemagne, entre ce qu’imaginent l’un de l’autre les deux voisins.

C’est ce que plaide l’historien Edouard Husson, excellent connaisseur de l’Allemagne, qui se penche dans un ouvrage paru en 2019 (Paris-Berlin, la survie de l’Europe) sur le « moment extraordinaire et paradoxal qu’aura été la période passée par Angela Merkel à la chancellerie » (4). Au Quai d’Orsay, dit-il, on parle d’Europe puissance et on attend de la première économie européenne qu’elle tienne son rôle. En Allemagne, au ministère des Affaires étrangères, « on aspire à la fin des conflits, on rend la recherche de l’équilibre des forces responsable des deux guerres mondiales et l’on rêve d’une prospérité tranquille établie grâce à des règles que toute l’Europe serait prête à partager ».
Dans ce contexte, la chancelière, née à l’Est et tout imprégnée « de son éducation en pays communiste » est une femme qui « pour cette raison, n’a jamais aimé le débat ni la formulation explicite de conceptions politiques » - c’est le moins qu’on puisse en dire. Au début de son mandat, elle rêve de persuader ses compatriotes que rester à l’écart de l’histoire est possible, « que leur pays pouvait se tenir loin des turbulences, qu’il était suffisamment solide pour traverser le gros temps sans encombre ; la chancelière apparaissait garante des règles qui font la force de l’Allemagne et qui auraient vocation, selon Berlin, à faire de l’Europe un espace de prospérité protégé ». Mais il y a la réalité, avec 2008, la crise de l’euro (2010-2012), l’afflux de migrants à partir de 2011 avec un apogée en 2015, le Brexit, l’arrivée de Donald Trump en 2016.

« L’Esprit du monde, comme aurait dit Hegel, s’est réveillé ».

Dès 2017, malgré sa popularité personnelle, elle est en décalage avec l’opinion des électeurs allemands – revers électoral aux législatives, six mois pour constituer un gouvernement, percée de l’AfD (Alternativ fur Deutschland) à droite, revers aux européennes en 2019 – alors qu’elle « avait emmené, entre 2005 et 2015, les chrétiens-démocrates vers le centre gauche de l’hémicycle », le balancier se déplace vers la droite.
Elle est confrontée à une situation qu’elle ne domine pas. « Les tensions politiques qui traversent l’ensemble des pays occidentaux jouent outre-Rhin selon une double radicalisation : un glissement vers la droite, dont la percée de l’Alternative für Deutschland est la manifestation la plus évidente mais non la seule ; et une exacerbation « individualiste » opposée, dont témoigne aussi bien la montée en puissance des Verts que le retour d’une extrême gauche peu nombreuse mais influente (…). La crise est moins spectaculaire mais non moins réelle que les bouleversements que connaissent les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France ou l’Italie ». Et elle bouscule aussi, à gauche, les sociaux-démocrates (SPD).

Voilà qui ne convient pas à Emmanuel Macron, « le président français le plus adepte du fédéralisme européen depuis les années 1970 ». Il « avait placé ses espoirs, pour que sa politique de réformes s’accompagne d’un progrès de l’intégration monétaire européenne » dans une chancelière qui ne répond plus aux sollicitations françaises. Pire, elle le laisse sans soutien face à la crise des Gilets jaunes puisque, contraint de laisser le déficit français se creuser il a été en « rupture de ses engagements ». Pas sérieux, dit-on outre-Rhin. Il parvient certes à signer en janvier 2019 le traité d’Aix-la-Chapelle (5). Mais on est loin l’ambition du président français (refaire le traité de l’Elysée signé en 1963 par le général de Gaulle) : « on ne trouve pas grand monde parmi les dirigeants d’outre-Rhin qui y voie autre chose qu’un simple accord Macron-Merkel, loin d’une vision partagée par les classes politiques des deux pays ».
Et lorsque Emmanuel Macron plaide en mars 2019 pour un renforcement de l’Union, la chancelière laisse « Annegret Kramp-Karrenbauer (AKK), nouvelle présidente (éphémère) de la CDU et candidate à sa succession, lui adresser une fin de non-recevoir, par un éditorial dans le quotidien Die Welt, le 10 mars 2019 » - nous l’avons évoqué ici (6). AKK « a dit explicitement ce qu’Angela Merkel n’avait jamais formulé : le parti dominant d’Allemagne ne souhaite ni renforcement de la gouvernance économique européenne, ni mutualisation des dettes, ni européanisation de la protection sociale ou du salaire minimum ».
Mais elle dit en revanche souhaiter un partage européen du siège permanent français au Conseil de Sécurité de l’ONU. En 2020, Berlin accepte néanmoins le plan de relance européen – l’Allemagne a besoin de l’UE pour ses marchés.

 

Tout à son rêve fédéral, isolé en Europe, Emmanuel Macron cherche à forcer une porte fermée – au risque même des intérêts français, avant le départ de la chancelière (6). Le 31 mai, il couvre – jusqu’en la tutoyant - Angela Merkel de louanges, auxquelles elle ne répond pas (voir la vidéo). Par le dialogue, « cela a toujours été enrichissant de parvenir à des accords en commun, grâce auxquels nous avons trouvé des solutions plus sages » dit-elle sans emphase. « Le bilan, nous le ferons plus tard ». L’avenir n’est pas lisible – avec ou sans les Verts, en tête dans les sondages. Sauf qu’une page se tourne en Allemagne.

 

Et que l’adieu à Merkel ne signifie pas la fin des malentendus.

 

Hélène NOUAILLE

Source phot : cliquez ici

 

Vidéo :

Conseil des ministres franco-allemand : conférence de presse conjointe avec la Chancelière  (31 minutes)
https://www.youtube.com/watch?v=jKV4MNNPxoA

 

Infographie :

Le parcours d’Angela Merkel (Source Deutsche Welle)
https://pbs.twimg.com/media/Dty1AQ7X4AAYzGZ?format=jpg&name=small

 

Notes :

(1) Le Figaro, le 26 septembre 2019, Gerhard Schröder, « Hommage d’un Allemand à un Français qui défendit l’intérêt de son pays et de l’Europe »
https://www.lefigaro.fr/vox/monde/hommage-d-un-allemand-a-un-francais-qui-defendit-l-interet-de-son-pays-et-de-l-europe-20190926

(2) La Tribune, le 22 mai 2013, Florence Autret, Qui est vraiment Angela Merkel ? (4/4): Le choc de la crise financière
https://www.latribune.fr/actualites/economie/union-europeenne/20130520trib000765448/qui-est-vraiment-angela-merkel-44-le-choc-de-la-crise-financiere.html

(3) Le Figaro, le 15 mai 2017, Nicolas Barotte, Chirac, Sarkozy, Hollande, Macron : les présidents de Merkel
https://www.lefigaro.fr/international/2017/05/15/01003-20170515ARTFIG00099-chirac-sarkozy-hollande-macron-les-presidents-de-merkel.php

(4) Edouard Husson, Paris-Berlin, la survie de l’Europe, 2019, Gallimard
https://livre.fnac.com/a13706914/Edouard-Husson-Paris-Berlin-la-survie-de-l-Europe

 

(5) Voir Léosthène n° 1351/2019, du 30 janvier 2019, Traité d’Aix-la-Chapelle : une ambition supranationale ?

Pourquoi autant de bruit et de rumeurs autour du nouveau traité de l’Elysée signé le 22 janvier dernier par Emmanuel Macron et Angela Merkel à Aix-la-Chapelle, Aachen en allemand, ancienne capitale du Saint-Empire romain germanique ? Peut-être parce que, relève le journaliste Jean-Michel Quatrepoint, « une partie de nos élites est convaincue que la France seule ne peut plus rien et que son avenir passe par un rapprochement de plus en plus étroit avec l’Allemagne. Une sorte de fédération franco-allemande, avec un alignement sur les normes allemandes. Qu’il s’agisse de l’organisation du territoire – des grandes régions aux pouvoirs étendus – ou du modèle économique et social autour de l’ordolibéralisme »Ou autre chose ? Mais rien n’est dit clairement. Analyse.

 

(6) Voir Léosthène n°1554/2021 du 17 avril 2021, Avion du futur SCAF : marchandage sur la sécurité nationale ?

 

 Rediffusé sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr
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Source : www.asafrance.fr