DIPLOMATIE : Des questions bien françaises

Posté le mercredi 03 novembre 2021
DIPLOMATIE : Des questions bien françaises

« La mini crise diplomatique après la rupture du contrat entre la France et l’Australie portant sur plusieurs sous-marins a suscité un intérêt médiatique soudain pour la politique internationale » écrit le Monde diplomatique qui ouvre, sous une forme originale, l’une de ses archives de 2013 en accès libre (1). La question de ce que Philippe Leymarie évoque, à propos « de la gifle diplomatico-industrielle infligée à la France » dans l’affaire australienne comme « un inquiétant déclassement stratégique » du pays (2) n’est plus seulement une affaire d’experts. Pourquoi vient-elle à la une des journaux quand les politologues nous disent que la politique étrangère est traditionnellement de peu de poids en période électorale ? Parce que l’époque est en outre percutée par l’actualité - G20, dispute avec le Royaume-Uni pour la pêche, COP26, Liban, Sahel, immigration… Impossible au futur électeur, même distrait, d’échapper aux titres, aux images, au bourdonnement des remarques de commentateurs contraints d’ouvrir une fenêtre sur l’agitation d’un monde qui s’invite dans le quotidien.

Et que les débats de la campagne présidentielle qui débute s’en font l’écho, avec, en fil d’Ariane, ce que Lucie Robequain, qui commente pour les Echos l’ouvrage d’un ancien ambassadeur conseiller à l’Institut Montaigne, Michel Duclos, appelle « la place de la France dans le monde » (3). En effet. « L'interminable crise actuelle a ravivé les interrogations qui taraudent nos compatriotes » écrit-elle. « Que reste-t-il du poids de la France dans le concert des nations ? Est-elle toujours capable de défendre ses intérêts ? Peut-elle encore se faire entendre ? Peut-elle encore écrire l'histoire ?
Les statistiques apprennent aux Français qu'aux plans économique, démographique, militaire, technologique, leur pays paraît dépassé, donc déclassé 
». Questions éloignées du quotidien de Français, au moins dites sous cette forme ? Pas si sûr. Par exemple au travers d’un point qui ne peut leur avoir échappé : « Malgré l'héritage de Pasteur et une industrie pharmaceutique faisant partie des fleurs économiques du pays, la France n'a pas trouvé, jusqu'à la mi-2021 au moins, un vaccin anti-Covid, alors que le Royaume-Uni, les Etats-Unis, la Russie, la Chine, l'Allemagne y sont parvenus ».

Ajoutons l’affaire australienne et la manière dont la presse a reçu la réponse de Joe Biden à Emmanuel MacronCe que nous avons fait était maladroit et n’a pas été fait avec beaucoup d’élégance ») – et oui, des questions se posent à tout un chacun. Un exemple ? Dans Ouest France (près de 640 000 exemplaires quotidiens) : « Crise des sous-marins : Nicolas Sarkozy dénonce « une forme de trahison » des Etats-Unis » (4). L’ancien président ajoutant : « Maintenant, il faut tourner la page. Tourner la page mais ne pas oublier ». Ou encore, toujours dans Ouest France, le 21 septembre, sous la plume de Philippe Chapleau : « Crise des sous-marins : l’Union européenne s’indigne… mais pas trop ». En effet, « ni l’Espagnol Borell ni le Belge Michel n’ont dénoncé le coup de Trafalgar australien (…). Dans cette affaire, malgré l’indignation européenne (qui s’est exprimée au bout de trois jours), la France reste donc isolée. Une fois le tumulte apaisé et l’indignation retombée, la petite voix française risque d’être inaudible ». Après les discours ronronnants sur une Amérique amicale revenue avec Joe Biden et sur « l’Europe qui rend plus fort », voilà de quoi déstabiliser les moins attentifs.

Pourquoi inattentifs ? Peut-être parce que, comme le résume l’ancien diplomate Michel Duclos, aucun des successeurs du général de Gaulle n’a remis explicitement en cause les fondamentaux qu’il avait définis en matière de politique étrangère pour se dégager de l’enserrement des deux blocs de la guerre froide – avec la volonté de dépasser Yalta. Chacun peut se penser encore dans le même monde, avec des intérêts partout, de l’Amérique latine (Guyane) à l’océan Indien (la Réunion), de l’Afrique au Pacifique où vivent, sur plusieurs territoires, 1,4 million de concitoyens. Or, ajoute-t-il, la fin de la guerre froide et l’effondrement du bloc de l’Est ont déréglé la boussole stratégique du pays. « La France, puissance mondiale rattrapée par de nombreux concurrents, s’est retrouvée de plus en plus isolée sur la scène internationale, entre mondialisation "à marche forcée" et actes manqués vis-à-vis de la Chine et la Russie ». On pourrait évoquer aussi bien sûr la construction européenne, avec une UE bien différente de l’Europe des nations voulue par le général de Gaulle et dont la solidarité est en défaut. Michel Duclos appelle donc à admettre que « les doctrines de politique étrangère héritées du passé ne correspondant plus aux réalités actuelles ». Et à « réévaluer les priorités » de nos actions à l’international.

Soit. Justement, certains des candidats à la présidence, déclarés ou non, se sont emparés du sujet quand d’autres souhaitent se concentrer sur la gestion interne du pays. Pour les premiers, la priorité est la même : éviter le déclassement, retrouver une voix entendue dans le monde – les moyens pour y parvenir étant juste à l’opposé entre reconquête d’une autonomie plus grande de la nation et une intégration plus grande dans l’ensemble européen, des trajectoires radicalement différentes. Sans que, pour l’heure – mais nous sommes au tout début de la campagne, des réponses soient construites très précisément autour de ces « interrogations qui taraudent nos compatriotes ». 

Auxquelles il ne pourra être donné des réponses qu’après avoir pris, en tout premier lieu, acte de ce qui ne marche pas – au-delà de la présidence actuelle, qui n’est pas notre sujet. François Heisbourg l’écrivait déjà en 2007, il y a presque quinze ans (L’épaisseur du monde). Le monde du XXIe siècle ? « Hégémonie improbable, anarchie possible ». Le conseiller à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) voyait se dessiner un monde « sans maîtres », « mobile et visqueux » en lieu et place du « monde américain » qui régnait depuis la guerre. Pour lui, il ne s’agissait pas « de prédire un « déclin » de la puissance américaine, mais plutôt d'analyser la fin de la capacité américaine « à structurer le système international » (5). Belle prescience, nous y sommes. Et c’est justement ce que nous n’avons pas vu venir. La liste est longue des déconvenues : voir dans les Etats-Unis de Barack Obama des amis bénévolents après l’Amérique de George Bush, recommencer avec Joe Biden après la rudesse de Donald Trump. Sans comprendre qu’entre « conduire le monde » et « America First », le projet était le même. Que la guerre froide terminée, le continent européen intéressait moins les Américains que l’Asie – la bascule date de Barack Obama. Sans comprendre encore que dans ce contexte, l’OTAN n’intéressait Outre-Atlantique qu’aligné sur les intérêts américains. La France comprise, revenue dans le commandement militaire intégré de l’Organisation à contretemps, en avril 2009.

La « mort cérébrale de l’OTAN » (Emmanuel Macron) actée, rien n’est fait – rien n’est faisable : « Rentrer dans le rang pour viabiliser une défense européenne (…), témoigne d’un curieux penchant pour les cercles carrés. Neuf Européens sur dix ont pour stratégie l’absence de stratégie » écrivait en mars 2013 Régis Debray à Hubert Védrine alors chargé par François Hollande de tirer le bilan du retour de la France dans le commandement militaire intégré de l’OTAN (6). Déconvenue encore quant à l’Union européenne : non, « plus d’intégration » ne fait pas l’unanimité, non, le colosse économique et financier n’est pas, et pour Renaud Girard « ne sera jamais une puissance géopolitique », parce que « les pays de l’Union européenne ne se sentent pas appartenir à une communauté de destin ». D’ailleurs, écrit-il encore, « l’absence d’existence géopolitique de l’UE fut déjà exposée au monde entier, lors de l’invasion anglo-saxonne de l’Irak de 2003. Alors que la France, l’Allemagne, la Belgique et le Luxembourg, avaient préconisé la prudence face aux folies néoconservatrices de Washington, la Pologne, l’Italie et l’Espagne s’étaient précipitées pour envoyer leurs soldats entre le Tigre et l’Euphrate » (7). Brisons là, sans compter même le problème de l’immigration, nous n’avons pas vu le monde changer.

Alors ? Lorsque nos voisins allemands s’interrogent sur la place et le rôle de la France sur l’échiquier politique mondial sans complaisance excessive (8), ils listent aussi ses atouts (son vaste réseau outremer avec sa population et ses bases, ses liens avec le Maghreb et l’Afrique y compris au niveau militaire, sa présence culturelle mondiale, sa langue, sa puissance nucléaire et ses armées, etc.). Avec, quelque part, l’idée qu’elle se fait d’elle-même. En ajoutant : « La France n'a pas cherché à jouer un rôle particulier seulement pour elle-même; elle n'a eu de cesse de confronter ses partenaires et ses alliés à des problèmes auxquels beaucoup auraient bien voulu se soustraire : avant tout la question de la finalité de l'unification européenne, de la définition des intérêts particuliers de l'Europe et du rôle de l'Europe dans la politique internationale. La France a ce faisant remarquablement contribué au nécessaire processus de développement d'une propre identité de la communauté européenne. Les responsables politiques français ont du reste toujours été conscients du fossé séparant les ambitions de la réalité, sans pour autant y voir une raison de renoncer à ces ambitions ».

De déconvenues en gifles, les Français s’éveillent à ces questions bien françaises. Et ce sont eux qui voteront les 10 et 24 avril 2022.

 

Auteur : Hélène NOUAILLE
Source : La lettre de Léosthène,
http://www.leosthene.com 
Date : 3 novembre 2021

 

 Notes :

(1) Le Monde diplomatique, octobre 2021, Journal audio, Une archive qui résonne avec l’actualité, Après la crise des sous-marins, la France doit-elle quitter l’OTAN ?
https://www.monde-diplomatique.fr/podcast/2021-10-Apres-crise-sous-marins-OTAN

(2) Le Monde diplomatique, le 14 octobre 2021, Philippe Leymarie, Crise des sous-marins : Paris toujours groggy
https://blog.mondediplo.net/crise-des-sous-marins-paris-toujours-groggy

(3) Les Echos, le 7 octobre 2021, Lucie Robequain, Diplomatie : le bilan Macron
(Recension de l’ouvrage de Michel Duclos, La France dans le bouleversement du monde, ed. de l’Observatoire, octobre 2021)
https://www.lesechos.fr/idees-debats/livres/diplomatie-le-bilan-macron-1352996  

(4) Ouest France/AFP, le 30 octobre 2021, Crise des sous-marins : Nicolas Sarkozy dénonce « une forme de trahison » des États-Unis
https://www.ouest-france.fr/economie/economie-de-la-mer/naval-group/crise-des-sous-marins-nicolas-sarkozy-denonce-une-forme-de-trahison-des-etats-unis-13affa52-398c-11ec-80fb-c03284c5edd3 

 (5) Les Echos, le 1er février 2007, Jacques-Hubert Rodier, Un monde sans maîtres (recension de l’ouvrage de François Heisbourg, L’épaisseur du monde, Stock, 2007).
https://www.lesechos.fr/2007/02/un-monde-sans-maitres-1073509

(6) Le Monde diplomatique, mars 2013, La France doit quitter l'OTAN, par Régis Debray
https://www.monde-diplomatique.fr/2013/03/DEBRAY/48843 

(7) Le Figaro, le 28 juin 2021, Renaud Girard, « L’UE ne sera jamais une puissance géopolitique ! »
https://www.lefigaro.fr/vox/societe/renaud-girard-l-ue-ne-sera-jamais-une-puissance-geopolitique-20210628 

(8) Deutsch-Französische Materialien : La France, puissance moyenne aux intérêts mondiaux
http://www.deuframat.de/fr/europeisation/la-france-et-lallemagne-dans-le-systeme-international/la-france-puissance-moyenne-aux-interets-mondiaux.html

 

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Source : www.asafrance.fr