DIPLOMATIE : Le village planétaire et la politique de la canonnière, entre possible et impossible.

Posté le vendredi 10 septembre 2021
DIPLOMATIE : Le village planétaire et la politique de la canonnière, entre possible et impossible.

Au XVIème siècle Thomas More propose son programme philosophique de société parfaite dans son ouvrage imaginaire l’Utopie. Plus près de nous, en 1969, le canadien Mc Luhan invente l’idée de village planétaire en présupposant que la paix remplacerait la guerre et conduirait au bonheur mondial. La fin de la guerre du Vietnam, la chute du mur de Berlin et l’attentat terroriste du 11 septembre 2001, dont c’est le triste vingtième anniversaire, ont apporté un démenti à cette nouvelle utopie qui plaide pour un modèle de société parfaite ouverte, sans frontières, dirait-on aujourd’hui. C’est dans la continuité de ces approches philosophiques que l’on parle aujourd’hui, au XXIème siècle, de « la fin de l’Histoire », de la révolution numérique de la mondialisation économique qui se voudrait unificatrice de la culture et de la politique. Après le traumatisme actuel de l’échec américain et occidental en Afghanistan et, même si d’aucuns prédisent la fin du « grand Satan », on observera que l’universalisme pacifique et radieux reste une théorie face aux multiples conflits armés récents ou en cours qui fragmentent le monde ; Mali et zone du Sahel, Yémen, Libye, Ethiopie, Somalie, Syrie et tant d’autres territoires souvent oubliés des médias… C’est pourquoi il faut s’interroger sur la capacité de la France et de l’Europe à tirer des enseignements et définir ses ambitions en matière de sécurité pour les années à venir fac à la réalité du terrorisme, aux multiples formes de régimes politiques voire de dictatures et de fragmentations nationalistes diverses.

L’expression, « politique de la canonnière », rappelle à quel point, autrefois, la diplomatie armée occidentale était active pour récupérer les dettes financières des Etats et porta le symbole de la projection de puissance jusqu’au début du XXème siècle. Elle a été abolie par la convention de la Haye en 1907. Pour autant, par la suite, la doctrine Roosevelt du « Gros Bâton » a permis aux américains d’user d’une diplomatie offensive pour défendre leurs intérêts à l’étranger par la menace ou l’usage de la force. Aujourd’hui, la constitution d’une défense européenne autonome suscite toujours les craintes de certains Etats membres de l'Union Européenne, qui redoutent une influence dominante de Washington et que certaines décisions industrielles, notamment en matière d’armement, soient motivées par des intérêts nationaux. Les pays occidentaux sont en effet enclins à parier sur le marché planétaire et des valeurs universelles sous les auspices du libre commerce, des interdépendances multiples, des réseaux sociaux qui veulent imposer une diplomatie de l’instantané pour devancer le risque de replis identitaires. En outre, nos pays promeuvent la flexibilité et le dynamisme des échanges, des mouvements et des identités « woke », et autres modernités discutables. Dans ces conditions, certains pensent que le retrait de la France de l’opération Barkhane, annoncée par le président de la République, s’inscrirait dans le réalisme géopolitique. Cependant, il faut sans doute plutôt parler d’une réarticulation stratégique des forces françaises afin de tenter d’associer d’autres états européens à la lutte contre la menace terroriste islamiste qui demeure une réalité. Et on rappellera également que, sur notre sol même, le dispositif Vigipirate est toujours en vigueur et nos militaires arpentent inlassablement et avec une abnégation remarquable le territoire national en permettant aux Français de vivre en sécurité.

Entre possible et impossible, entre chimère et réalisme les vingt-sept états membres de l’Union Européenne ont décidé, en mai puis confirmé ce 3 septembre 2021, lors d'une réunion informelle du conseil des ministres de la Défense qui s’est tenue en Slovénie, de valider un accord sur les contours d'une future « force de première entrée », que certains appellent force d’intervention rapide, d'environ 5 000 hommes qui serait constituée dès mars 2022… A cette date la France assurera la présidence de l'Union Européenne et l’on peut y percevoir la conjonction des temps avec les annonces du président de la République concernant Barkhane. D’autant qu’en ce moment la pénétration terroriste islamiste diffuse visiblement davantage au Sahel à la faveur du coup d’état au Mali et d’agitation des pays du Maghreb, notamment depuis la rupture par l’Algérie de ses relations diplomatiques avec le Maroc. Il ne nous appartient pas de préjuger de l’avenir car le terrorisme est, par essence, imprévisible. Mais ne rien faire est irrationnel et serait contraire aux intérêts fondamentaux de la France. Aussi en toute sagesse non partisane nous pourrons conclure avec la citation prêtée au général de Gaulle : « entre possible et impossible, deux lettres et un état d’esprit ».


Dominique BAUDRY

Colonel (h) et membre de l’ASAF

 
Diffusé sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr
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Source : asafrance.fr