LIBRE OPINION du colonel (ER) Gilles LEMAIRE : Election présidentielle et Défense nationale.

Posté le jeudi 23 février 2017
LIBRE OPINION du colonel (ER) Gilles LEMAIRE : Election présidentielle et Défense nationale.

La sécurité du pays qui fonde les devoirs régaliens de l’Etat semble recueillir l’attention des postulants à la présidence de notre pays, et par là même à la fonction de chef des armées. Dans le contexte présent, la majorité d’entre eux s’accorde pour constater que les deux registres, tant  sécurité intérieure qu’extérieure, nécessitent un effort substantiel de la part de l’autorité publique pour restaurer une situation devenue inquiétante après des lustres d’abandon.

Cependant, si les projets s’attardent sur les réponses concernant la dégradation de la sécurité publique, sur ce qui parait devoir corriger les faiblesses des forces de police et de l’appareil judiciaire (augmentation des effectifs, des places de prison, etc.), peu s’aventurent sur le registre de la Défense et de la sécurité extérieure. Celui-ci paraît hermétique à une classe politique qui s’investit peu pour éclairer le débat. Tous évoquent une nécessaire mais bien hypothétique Europe de la défense pour éluder toute réponse. La tyrannie de l’immédiateté sévit encore, alors que la Défense résulte d’une lente et patiente construction.

 

Or, le moment est critique. Les menaces persistent, d’autres se font jour. Le front de la lutte contre l’islamisme radical s’inscrit dans la durée tandis que des bruits de bottes résonnent en Europe de l’Est, que des tensions persistantes sont ressenties dans la zone du Pacifique-Ouest, tandis que le champ de conflits inédits s’ouvre dans les domaines de la cyberdéfense et celui du spatial. Ces derniers nécessitent des efforts substantiels se surajoutant au dispositif du moment. Bouleversements inattendus qui nous rappellent que l’histoire est un chaos qui nous promène de surprises en surprises. Dernier avatar : l’Amérique semble vouloir se départir du rôle de protecteur qui lui était dévolu depuis la fin du dernier conflit mondial et la montée de la guerre froide. L’Europe droguée à la protection quasi-gratuite, se voit maintenant fermement invitée, après les semonces réitérées de son grand allié, d’assurer le coût de sa défense dans une Otan renouvelée. Chaque membre se voit fermement invité à y consacrer 2 % de son PIB.

 

Une bonne part des candidats à l’élection présidentielle fait allégeance à ce chiffre. Celui-ci était déjà implicitement mentionné depuis l’arrêt des coupes budgétaires consécutif à nos récentes interventions dans les conflits ouverts au Proche-Orient et en Afrique subsaharienne. Le réaménagement en 2015 de la loi de programmation freinant la diminution des effectifs[1] marquait une inflexion dans ce sens. Si tous semblent d’accord pour relever les dépenses de sécurité du pays, certains diffèrent cependant cette échéance à 2025. Peu signalent quels sont les domaines sur lesquels il faudra porter effort. Le halo nimbé de promesses sociales toujours plus exaltantes les unes que les autres noie cette partie du discours et annonce les futurs et trop habituels renoncements. Les espoirs fondés sur la récente inflexion à la hausse risquent bien d’être déçus.

Il serait donc pour le moins responsable d’annoncer ce qui justifie la poursuite de cette inflexion, en soulignant son aspect prioritaire, en évitant de faire référence à une loi de programmation déjà dépassée dans le contexte international sus-signalé. « Le costume est déjà taillé au plus juste » selon le général de Villiers, notre actuel chef d’état-major des armées[2].

A ceci doit être signalé que le chiffre de 2 % requis concerne les pays membres non pourvus d’une dissuasion nucléaire autonome et donc uniquement de moyens conventionnels, comme notre voisin allemand par exemple. Pour notre pays, il s’agit donc d’atteindre le chiffre requis, auquel il faudrait ajouter et non inclure le coût de notre dissuasion nucléaire. Bien évidemment, nous en sommes bien loin.

 

Constat à produire : ce chiffre sera difficile à tenir au regard des prochaines échéances de renouvellement de ladite dissuasion. Il va falloir de nouveau investir. Celle-ci coûte actuellement entre 3 et 4 milliards par an sur un budget devant évoluer de 31,4 à 34 milliards d’Euros de 205 à 2019, selon la loi de programmation en cours. Il est difficile de chiffrer ce coût car, par exemple, le porte-avions Charles de Gaulle ou les appareils de l’armée de l’air dédiés à cette fonction sont largement utilisés pour les missions plus conventionnelles de l’intervention extérieure. Ils sont en double emploi. En outre, les charges d’entretien varient chaque année. Pour l’heure, ces chiffres sont ceux d’une période de non-investissement. Avec le renouvellement, nous risquons fort de retomber aux 5 milliards minimum que nous dépensions antérieurement dans les phases de développement et de montée en puissance de nos FN[3]. Il manquera donc au minimum 1 à 2 milliards annuellement par rapport au budget actuel, et il faut cependant faire face à la modernisation de nos forces conventionnelles. Ce débat du maintien ou non du niveau de notre dissuasion, cœur de notre dispositif de Défense, est rarement abordé[4] !


Dernier point peu relevé : notre marine (qui n’a toujours qu’un seul porte-avions) a-t-elle des moyens suffisants pour assurer la sécurité de notre immense espace maritime qui constitue incontestablement un champ d’expansion économique signalé par beaucoup[5]? Devons-nous brader cet héritage au constat de note incapacité à en assurer la sécurité comme cela a failli être le cas récemment pour une de nos dépendances de l’Océan Indien[6] ? Obnubilés par la guerre de faible intensité menée contre les organisations terroristes de l’Islam radical, nos gouvernants semblent vouloir ignorer que la guerre est aussi imprévisible que multiforme et qu’il faut se préparer à bien pire. Cela ne s’improvise pas, comme il en a été pour les derniers coups de pouces donnés par l’administration descendante au budget Défense, autant par surprise que contrainte et forcée, et au total insuffisamment.

 

La crédibilité des candidats à l’élection présidentielle exige la prise de conscience de cette part essentielle du plan de charge de la gouvernance à venir. Bien évidemment ce plan de charge implique des choix qui s’avèrent douloureux sinon difficilement tenables face aux discours populistes de tous bords. Celui-ci doit être défendu autrement que par des allusions mais par des arguments fondés et chiffrés, avec la conviction que nécessite cette « ardente obligation » face aux rêves éveillés proposés par certains rhéteurs, dont la compétence relève du monde du spectacle et de l’illusion.   

 


Gilles LEMAIRE
Colonel (ER)
Contributeur à la revue ENGAGEMENT de l’ASAF
(
www.asafrance.fr)

 


[1] Sans pour autant stopper cette diminution.

[2] Cf. audition à l’assemblée nationale du CEMA, le général de Villiers, 15 octobre 2016, qui insiste pour accélérer ce processus

[5] Cf. l’article récent de Nicolas Baverez in « Le Point » n°2319 du 16-02-17, « La mer, trésor national méconnu ».

[6] Voir la récente affaire du traité de l’île de Tromelin, promise de fait à être cédée à Maurice. http://www.lefigaro.fr/international/2017/01/16/01003-20170116ARTFIG00140-le-destin-de-l-ile-francaise-de-tromelin-entre-les-mains-des-deputes.php

 

Pour télécharger la lettre de l'ASAF 16/07  " La France doit avoir une armée forte" , cliquez ici

Pour télécharger la lettre de l'ASAF 16/09 " Ambitions nationales et capacités militaires " , cliquez ici

 

Source : ASAF