ÉNERGIE : Le pétrole, toujours le pétrole …

Posté le samedi 12 mars 2016
ÉNERGIE :  Le pétrole, toujours le pétrole …

L’objectif stratégique des USA est, en particulier, d’empêcher d’autres états  de  faire ombre à son hégémonie. Tous les moyens sont utilisés :

Les moyens militaires US et ceux de l’OTAN, après une période de stagnation, ont recommencé à encercler le territoire russe (radar anti missiles en Pologne, admission des pays ex satellites au sein de l’OTAN, renforcement des contingents américains dans les ex-pays de l’Est, etc.)
Les traités commerciaux avec l’Asie, transatlantique, etc. ont aussi parmi leurs objectifs de réduire les échanges économiques entre la Russie et son principal débouché, qu’est naturellement l’Europe et en particulier l’Allemagne. (Cela a été le point de départ de l’affaire ukrainienne).

Parmi les leviers possibles pour atteindre cet objectif, il y a l’arme du gaz et du pétrole.

Cette arme a été clairement utilisée il y a plus de 30 ans par le Président Reagan qui a eu l’intuition que l’exportation du gaz et du pétrole en Europe fournissait à l’URSS les devises lui permettant de renforcer son outil militaire, et donc la menace contre l’Occident. J’ai expliqué dans mon livre « Farewell – conséquences géopolitiques d’une grande opération d’espionnage », comment les renseignements obtenus de Farewell et fournis aux Etats – unis par le président Mitterrand, avaient permis aux Etats-Unis :
- de participer au sabotage des travaux du gazoduc sibérien ;
- de convaincre les Européens (et en particulier la France, à la source de ces renseignements) de limiter leur échanges technologiques et économiques avec l’URSS ;
- de renforcer les règles du Cocom, renforçant ainsi les difficultés d’approvisionnement de l’URSS.
Le gouvernement US avait même pensé à cette époque à rouvrir des mines de charbon qui aurait été proposé à l’Europe à bon prix pour remplacer les sources d’hydrocarbures soviétiques.

Plus de trente ans après, cette arme reste sans doute un des leviers employé par les USA pour empêcher la Russie de Poutine de vendre son gaz et son pétrole à l’Europe ; l’économie de la Russie, son niveau de vie, les réformes entreprises, restent très dépendantes de la vente du gaz ; le boycott et la baisse des prix mondiaux ont porté un rude coup aux prévisions de développement. Les difficultés pour traverser l’Ukraine ont renforcé ces difficultés.

La Russie a essayé de contourner ces obstacles :

En proposant le projet Southstream (pour contourner l’Ukraine) ; ce projet (déjà en cours) a dû être abandonné, la Bulgarie refusant sous la pression américaine l’autorisation de traverser son territoire (et abandonnant ainsi une source de profits évidents).
La Russie a alors proposé et négocié avec Erdogan de dévier le projet Southstream par le territoire de la Turquie. Ce qui avait été accepté. Mais là encore, les Etats-Unis veillaient : en provoquant des troubles (essai de révolution orange) dans les pays issus de la guerre des Balkans que ce gazoduc aurait pu traverser.
Simultanément, la Russie négociait avec la Chine de très gros contrats pour la livraison de gaz via un gazoduc à construire, donc à long terme.
Cette guerre du gaz et du pétrole est également en cause  parmi de nombreux autres motifs ou casus belli (tous les intervenants dans ce conflit ayant leurs propres centres d’intérêts et objectifs particuliers)  dans la genèse de la crise en Syrie, guerre civile provoquée de l’extérieur.

L’avocat Robert Kennedy junior, neveu de l’ancien président américain John F. Kennedy, a révélé les véritables causes de la guerre en Syrie.

La racine du conflit armé en Syrie, provient en grande partie du refus du président syrien Bachar al-Assad du passage d’un pipeline de gaz du Qatar vers l’Europe.

« La décision américaine d’organiser une campagne contre Bachar al-Assad n’a pas commencé avec les manifestations pacifiques du printemps arabe en 2011, mais en 2009, lorsque le Qatar a offert de construire un pipeline qui traverserait l’Arabie Saoudite, la Jordanie, la Syrie et la Turquie. Ce projet aurait veillé à ce que les pays arabes du Golfe aient un avantage décisif sur les marchés mondiaux de gaz et aurait renforcé le Qatar, un proche allié de Washington dans la région » a déclaré Kennedy junior, .... bien sûr au détriment de la Russie sur le marché européen, d’où pertes des devises nécessaires à son redressement, et sans devises et sans redressement, Poutine pouvait toujours réclamer un monde multipolaire….

« Mais le président syrien Bachar al-Assad, a rejeté le projet au motif que cela nuirait aux intérêts de son allié russe, le plus grand fournisseur de gaz naturel vers l’Europe. »

Immédiatement après le refus du projet initial, les agences de renseignement américaines, le Qatar, l’Arabie Saoudite ainsi que le régime israélien ont commencé à financer l’opposition syrienne et à préparer une révolte pour renverser le gouvernement syrien, rapporte Robert Kennedy, qui citait des données de divers rapports de renseignement auxquels il avait eu accès. »

La CIA a ainsi utilisé les États arabes islamiques (nos alliés)  pour protéger (ce qui est normal) les intérêts des Etats-Unis sur les hydrocarbures et instrumentaliser les forces radicales pour réduire l’influence de la Russie.

On peut penser que tous les gouvernements impliqués dans ces projets et marchandages ont été en permanence au courant des paramètres de ce grand jeu. Et ont pu y ajouter leurs motifs personnels, civilisationnels, religieux et tout bêtement d’ego…

 

Mais les plans n’ont pas évolué comme prévu :

Bachar est toujours en place et c’est toujours lui qui décide de la nationalité des gazoducs et oléoducs qui traverseront son pays.

La Russie est intervenue à la demande de la Syrie pour lutter contre DAESH et défendre ses frontières sud des infiltrations terroristes, pour favoriser le retour de la Paix avec la conviction que le futur du pays est l’affaire des seuls syriens ; on peut logiquement penser qu’ainsi elle espère que ses intérêts énergétiques seront préservés.

La Turquie qui a eu en mains les deux projets, Southstream et le projet Qatari, semble avoir choisi son cheval, très probablement avec des garanties et un important soutien financier : le dollar est beaucoup plus attrayant que le rouble ...

Les Etats-Unis, paralysés par la fin du mandat présidentiel et le flou qui semble régner au sein de l’administration, peuvent espérer rattraper leur mise si le plan B de J. Kerry (au cas où les négociations actuelles échouent) qui vise à un démembrement (remodelage) de la Syrie, se réalise : dans un pays explosé, il devrait être plus facile d’imposer un « bon » tracé.

 

Quant à l’Europe, elle attend sans doute en rêvant l’arrivée prochaine du méthanier Asia Vision. Ce méthanier a chargé la semaine dernière une première cargaison de GNL issue de la production américaine de gaz de schiste. L’opération s’est déroulée au terminal de Sabine Pass, en Louisiane. Parti le 25 février du port américain, l’Asia Vision a d'abord mis le cap vers les Caraïbes pour, normalement, rejoindre le Brésil.

Toutefois, sa destination finale n’est pas sûre, certaines sources estimant que le méthanier pourrait, finalement, se diriger vers l’Atlantique et livrer sa cargaison dans un port européen. Si tel est le cas, l’opération devrait être menée discrètement compte tenu de la polémique en Europe autour des conséquences environnementales de la production de gaz de schiste.  Ce GNL aurait-il vocation à remplacer le charbon envisagé par les conseillers de Reagan il y a 35 ans ?

 

Patrick FERRANT

Source : Patrick FERRANT