ENTRAINEMENT : L’armée de terre s’entraîne à la guerre informationnelle

Posté le vendredi 09 octobre 2020
ENTRAINEMENT : L’armée de terre s’entraîne à la guerre informationnelle

L’état-major veut réinvestir la lutte contre la manipulation de l’information, notamment sur les réseaux sociaux.

Sur les réseaux sociaux, l’armée de Terre communique à tout rompre. C’est une démonstration de force, de transparence, de crédibilité alors qu’elle est constamment confrontée à un enjeu de recrutement. Jeudi, comme chaque année à la même époque, elle présentait ses « capacités », lors d’une démonstration organisée sur le camp de Satory, près de Versailles. C’est un grand show. Des véhicules, des hélicoptères ou des hommes surgissent sur le terrain en pleine puissance, le scénario joué pour l’occasion illustre un conflit de « haute intensité » face à un adversaire robuste : le Kuban qui veut étendre son influence sur un petit État voisin en crise et divisé. La France va intervenir pour restaurer sa souveraineté.

Le spectacle grandeur nature illustre les performances de l’armée, notamment celles du combat « infovalorisé », c’est-à-dire connecté, et des nouveaux blindés multirôles Griffon. Le message est limpide, celui du « durcissement des armées ». La mise en scène est soignée avec de vrais faux journalistes pour poser les questions.

« Un nouveau cycle de conflictualité va s’ouvrir », résume le chef d’état-major de l’armée de Terre, le général Burkhard, en rappelant l’affaiblissement du multilatéralisme, l’accroissement de la puissance, « l’emploi plus insidieux de la force sous le seuil de la conflictualité ». « Nous devons nous préparer à l’inconfort opérationnel », dit-il après avoir prévenu : « La vraie rupture se trouve dans le champ informationnel. »

« Avec quelques tweets ou quelques images, un État ou un groupement peuvent créer du discrédit dans un monde où l’émotion devient prépondérante, poursuit le général. La propagande est à la portée de tous. » « Sachons répondre aux stratégies indirectes. Réinvestissons des champs que nous avons délaissés : la ruse, la déception ou la désinformation », suggère-t-il. La manipulation de l’information n’est effectivement pas nouvelle dans l’art de la guerre. Mais à l’âge des réseaux sociaux et de la post-vérité, elle prend une autre ampleur.

À côté des chars qui se disputent des positions ou des forces spéciales qui démontrent leur savoir-faire, la guerre immatérielle s’est glissée sur le terrain, comme un acteur invisible. Pour obtenir un avantage, l’armée de Terre veut elle aussi agir sur les perceptions. Dans l’exemple fictif présenté, le Kuban a déployé ses forces. Mais « de fausses informations sont diffusées sur les réseaux sociaux pour amener l’ennemi à déplacer ses troupes », explique le commentateur : il s’agit de lui faire croire en « une manœuvre de débordement ». Les chars ennemis font demi-tour. « La manœuvre de déception a fonctionné », dit-on. Aucun coup de feu n’a été tiré. Les pions français peuvent prendre position. Le combat se poursuit. « Nous valorisons nos résultats sur les réseaux sociaux, ils sont repris dans les médias », expliquent les interlocuteurs interrogés par les vrais faux journalistes. « Cela permet d’atteindre le moral de l’ennemi. »

Dans une autre séquence de la démonstration, la guerre informationnelle touche les réseaux français. « Des images manipulées et légendées cherchent à discréditer les forces, explique le commentaire, avec des conséquences au niveau national sur la légitimité de l’intervention. » Le sujet dépasse le champ de l’armée de Terre et relèverait alors du débat politique. La question est laissée ouverte. Mais sans soutien de l’opinion publique, les actions extérieures de la France sont éminemment plus difficiles à conduire. Les exemples existent déjà : en Centrafrique ou au Mali, le sentiment antifrançais a été relayé sur les réseaux sociaux pour remettre en cause la présence militaire de la France. La manipulation des images à l’extrême perfection, à travers la technologie des deep fake, inquiète autant que les menaces cyber.

Les limites de la guerre informationnelle sont difficiles à cerner. Elle ne relève pas seulement de l’armée de Terre qui « n’en est qu’un acteur » parmi d’autres, souligne le général Burkhard. Mais elle « doit être capable d’aller dans ce champ-là et de s’en protéger », dit-il en détaillant quelques actions concrètes : produire des informations, avoir des stratégies de communication, appuyer des actions cinétiques avec une action informationnelle. On peut ajouter la détection des fausses informations. Il faut aussi former les soldats à résister à cette lutte d’influence. L’enjeu est d’abord éducatif pour s’appuyer sur des hommes stables psychologiquement et émotionnellement. Il est ensuite organisationnel. « La première ligne de défense réside dans la confiance des soldats en leur chef », explique le général. Elle se construit bien avant le déclenchement d’une crise.

 

Nicolas BAROTTE
Le Figaro


Source : 
Photo issue d'un film de présentation du Ministère des Armées

Rediffusé sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr

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Source : www.asafrance.fr