ENTRAINEMENT : Le chef d’état-major des Armées rappelle les trois menaces principales qui pèsent sur la France

Posté le mercredi 30 juin 2021
ENTRAINEMENT : Le chef d’état-major des Armées rappelle les trois menaces principales qui pèsent sur la France

En 2017, nous avions identifié trois menaces principales : le terrorisme djihadiste, la prolifération des armes de destruction massive et le retour à la compétition stratégique entre grandes puissances. Je constate que ces trois grandes menaces se sont confirmées et même aggravées.

Première menace : Le terrorisme d'inspiration islamiste, malgré son affaiblissement lié à la mort de nombreux cadres des mouvements que nous combattons, poursuit son expansion, son enracinement local et sa dissémination globale, selon un mouvement qui est de nature à nous inquiéter. Les péripéties politiques au Mali et au Tchad posent régulièrement la question de notre engagement au Sahel. Au-delà des réponses immédiates, il s'agit de bien identifier les tendances lourdes de ce terrorisme islamiste.

Certes, au cours des dix dernières années, la relation entre irrédentisme touareg et terrorisme djihadiste algérien a été rompue. Cependant l'irrédentisme touareg s'est étendu dans le sud, en tirant profit d'une mauvaise gouvernance, de la frustration des populations et des tensions ethniques. Il faut donc le reconnaître : nous n'avons pas résolu ce sujet, qui procède autant de questions politiques que de questions militaires. Le danger djihadiste est aux frontières de l'Europe, il s'étend et s'enracine, cette tendance ne fait que se confirmer ces dernières années, malgré notre action pour l'en empêcher.

Ensuite, le retrait d'Afghanistan des États-Unis et de l'OTAN va laisser place à une situation favorable à l'installation de groupes terroristes qui pourront lancer des actions partout dans le monde, y compris sur notre sol. La menace djihadiste s'étend aussi à l'Afrique de l'Est, on le voit au nord du Mozambique avec la création d'une nouvelle wilaya qui rompt l'équilibre des forces en présence. Nous suivons la situation de très près par le biais de nos forces armées stationnées dans la zone sud de l'Océan Indien car il en va de la stabilité de l'ensemble de la région.

Deuxième menace que nous identifiions en 2017, la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs continue et la situation en Corée du Nord, en Iran et au Pakistan ne nous rassure guère, je n'insiste pas.

Troisième menace, le retour à la compétition stratégique entre puissances se confirme. Les États-Unis se focalisent sur la Chine, et dans le vide ainsi créé, des compétiteurs comme l'Iran ou la Turquie s'enhardissent, aspirant à être des puissances régionales, au risque d'un aventurisme militaire qui peut conduire à des escalades inquiétantes. La Méditerranée centrale et orientale est d'ailleurs aujourd'hui un concentré de toutes ces menaces en développement.

Nous constatons que la dégradation des relations internationales s'accélère, avec l'intensification des rivalités entre grandes puissances avec une sorte de continuum contestation-compétition-confrontation qui se traduit par une confrontation dans les zones grises et par une remise en cause des équilibres existants - et plus généralement la contestation de l'ordre d'un monde multipolaire réglé par le droit international. La pandémie de coronavirus a créé une tension supérieure, qui génère des clivages et suscite de nouvelles craintes.

Nous identifions ensuite des éléments de rupture stratégique, en particulier les nouvelles technologies, la généralisation de stratégies hybrides, l'enhardissement des puissances régionales. Dans le stockage et le traitement des données, l'intelligence artificielle, la 5G, l'informatique quantique, l'énergie, apparaissent de nouvelles dépendances en matière de standards, de normes - qui dessinent d'ailleurs un nouveau champ de conflictualité affectant des domaines essentiels de la vie en société - ou d'approvisionnement. Ces nouvelles technologies entraînent l'extension de champs de confrontation, en particulier dans le cyberespace, dans l'espace exo-atmosphérique, dans le champ informationnel ou dans l'espace sous-marin - j'ai confié une mission sur ce dernier thème au chef d'état-major de la Marine.

Des compétiteurs étatiques usent de stratégies hybrides en combinant des modes d'action militaires et civils, directs et indirects, légaux et illégaux, en recourant non seulement à leurs armées mais aussi à des sociétés privées ou des milices, en utilisant des leviers aussi divers et complexes que les flux migratoires, la désinformation, la rétorsion économique, la pression directe sur des acteurs privés. Face à ces stratégies hybrides, nous pourrions être tentés de répondre par une sorte de contre-hybridité : je crois que nous devons résister à cette tentation, car ce serait contraire à nos valeurs et contraire au droit international de plus en plus mis à mal par ces stratégies hybrides ; cependant, nous devons réfléchir aux moyens de contrer ces stratégies, en les identifiant le plus précocement possible.

Nous devons par exemple constamment tenir compte de la désinformation à notre encontre. Nous décryptons ainsi l'affaire de Bounti, au Mali, qui a été l'occasion d'une tentative de déstabilisation de notre action au Sahel et de notre propre information. J'ai constaté récemment, que des propos que j'ai tenus dans un entretien avec un journal français donnaient lieu à des tentatives de désinformation en Estonie - des réseaux prétendant que j'aurais dit que la France se désolidariserait des États-Unis en cas de conflit avec la Chine, ce qui est tout à fait fantaisiste.

 

Général d’armée François LECOINTRE
Chef d’état-major des Armées
Extrait de l’audition devant la Commission des Affaires étrangères,
de la Défense et des forces armées du Sénat
(9 juin 2021)

 Rediffusé sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr
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Source : www.asafrance.fr