ENTRAINEMENT OPEX : Avec les militaires qui se préparent pour « Barkhane »

Posté le samedi 23 novembre 2019
ENTRAINEMENT OPEX : Avec les militaires qui se préparent pour « Barkhane »

AU SAHEL, ils ne se seraient jamais arrêtés là sans appréhension : aux pieds de collines parsemées d’arbres, le long d’une piste… L’endroit est exposé, dur à protéger. Mais pour le bien de leur exercice et parce que parfois ils n’ont pas le choix, c’est là, sur le vaste plateau calcaire du camp militaire de Canjuers dans le Var, que la première compagnie de combat du 2e régiment étranger d’infanterie a établi son camp. Les véhicules se sont installés en forme de cercle fermé, « comme la caravane dans Lucky Luke », sourit le capitaine Stanislas, numéro deux de l’unité. C’est le meilleur dispositif pour se prémunir contre une attaque par des véhicules contre leur cible ou contre des tirs directs, deux des principales menaces au Sahel. Il s’agit du type d’attaque subie par une unité de l’armée française il y a quelques mois au Mali, là où le 2e REI va bientôt se rendre.

Ce soir-là, ces 187 hommes rattachés à la Légion étrangère achèvent leur préparation avant d’être projetés en janvier dans le cadre de « Barkhane ». La moitié d’entre eux ont déjà servi au sein de l’opération engagée depuis la fin de « Serval » en 2014. Celle-ci avait permis de stopper l’offensive djihadiste vers Bamako. Aujourd’hui, « Barkhane » mobilise 4 500 hommes pour une mission de longue haleine : contenir la menace jusqu’à ce que les forces armées maliennes (FAMa) soient en mesure d’assurer seules leur mission. En attendant, « Barkhane » patrouille sans fin dans l’immense théâtre.

Avant de partir, les militaires passent par une « mise en condition finale » qui dure une semaine. Elle doit permettre aux soldats de réviser leurs réflexes, de répéter leurs missions, de tester leur réaction au stress en grandeur nature. « Tous les scénarios joués reprennent des cas de figure qui se sont produits », explique un instructeur du « détachement d’adaptation opérationnel » : évacuation de blessés, menaces d’engins explosifs improvisés, qui bloquent les convois et qui sont à l’origine de la plupart des blessés, ou encore attaques « complexes » impliquant des échanges de tirs. Il n’est pas question ici de mettre en doute la stratégie militaire, mais de se préparer à toutes les éventualités.

La nuit tombe sur la base opérationnelle avancée temporaire du 2e REI à Canjuers, et seule la pleine lune permet d’y distinguer des ombres. Les trois véhicules clés de l’unité sont stationnés au centre du cercle de la caravane : deux véhicules de l’avant blindé (VAB), l’un pour le poste de commandement l’autre pour le poste de soins sans lequel il n’y a pas de mission, et le véhicule léger du capitaine. Le commandant de l’unité, le capitaine Bastien, y centralise les informations. À quelques centaines de mètres de là, d’autres soldats ont installé, pour l’exercice, une base des forces armée maliennes. Sur le terrain aussi, les deux groupes se seraient sans doute séparés, malgré les risques. « Ils préfèrent rester entre eux », confie un soldat. La faiblesse de l’armée malienne est l’un des principaux défis au Sahel.

Les hommes s’affairent à l’extérieur comme à l’intérieur : il faut sécuriser le périmètre et aussi tendre les bâches sous lesquelles passer la nuit. Au Sahel, les sentinelles des groupes terroristes seraient déjà en train d’observer les va-et-vient. « L’ennemi regarde notre routine », dit le capitaine Bastien, le commandant de l’unité. Les pilotes des VAB, des Masstech et des GBC inspectent pour leur part leurs 21 véhicules. « C’est la deuxième vie du pilote », poursuit le capitaine. Au Mali, la chaleur et le sable mettent les engins à rude épreuve : « Les matériels sont rincés. »

Dans son « bureau », le capitaine Bastien termine sa « mission brief », ses ordres pour la journée suivante. L’officier est en contact avec l’état-major pour définir ses objectifs. En cas de rupture de liaison, il peut se fier aux directives établies avant son départ : « l’effet majeur » recherché, c’est-à-dire les grandes lignes stratégiques. Puis il retrouve son équipe rapprochée dans le véhicule de transport de troupes, qui sert de salle de réunion. Une carte schématisée de la zone est étendue sur le sol, éclairée par les lampes frontales.

La compagnie aura pour mission de capturer un chef terroriste dans un village voisin. Le capitaine Bastien pose ses pions sur la carte et donne ses instructions. « Discrétion, discrétion, discrétion », répète-t-il. L’action devra être précise pour être efficace. Le hameau sera encerclé. L’ennemi repéré et identifié, avant l’intervention des troupes, dit-il avant de déplacer la carte figurant la section. Quelqu’un s’inquiète de la présence d’engin explosif improvisé sur la route. Le chef calcule le risque : il est peu probable que les terroristes aient piégé leur propre voie d’accès. Un coup de feu. Le capitaine et ses hommes interrompent le briefing. Un véhicule a été détecté sur la piste. Malgré la sommation, l’engin ne s’est pas arrêté. Il est aussitôt devenu suspect. Le capitaine donne l’ordre de contacter les FAMa non loin. La réunion reprend quelques minutes avant que de nouveaux échanges de tir se fassent entendre. Le camp malien a été attaqué.

Dans l’obscurité, le premier danger est celui de la confusion. Les informations sont parcellaires. À l’extérieur du camp, on entend des appels à l’aide. Des militaires des FAMa paniqués se sont repliés vers la base française. Mais en uniforme, le visage masqué comment les reconnaître? « Des terroristes pourraient chercher à pénétrer dans le camp », dit-on. Au pied des VAB, les soldats ferment l’entrée, le temps de procéder aux contrôles.

Un projecteur transperce la nuit pour permettre à une équipe des « forces d’appui » de repérer la zone à pieds. La menace a été neutralisée, mais trois Maliens sont touchés, dont deux grièvement. L’un d’eux est inconscient. Pour les évacuer, un VAB se met en mouvement. L’opération prend quelques minutes interminables. Puis l’équipe médicale prend le relais. Le temps est désormais compté. Un hélicoptère est censé évacuer les blessés. « Hélico dans quatre minutes », annonce le médecin chef Julien, tandis que les infirmiers posent des garrots et stabilisent les soldats.

La piste d’atterrissage potentielle avait été définie auparavant. Là encore, il faut sécuriser le parcours d’une centaine de mètres avant que l’équipe médicale ne soit autorisée à s’éloigner. À l’heure dite, une voiture simulant l’hélicoptère s’arrête pour prendre en charge les blessés. L’exercice se termine.

Les instructeurs ont observé ­chaque décision et chaque mouvement avec attention. Même si l’opération s’est déroulée sans faute, il faudra tout débriefer pour tout améliorer. Mais pour l’instant, les soldats resteront tranquilles : la nuit sera calme. « L’idée est d’entraîner les hommes, pas de les épuiser », murmure un officier. Les militaires du 2e REI n’en savent rien cependant. Ils devront rester sur le qui-vive jusqu’au bout.

Nicolas BAROTTE
(envoyé spécial à canjuers)
Le Figaro

 
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