ENTRETIEN avec général Jean-Pierre BOSSER, chef d’état-major de l’armée de Terre : Les valeurs de l'armée de Terre.

Posté le jeudi 17 janvier 2019
ENTRETIEN avec général Jean-Pierre BOSSER, chef d’état-major de l’armée de Terre : Les valeurs de l'armée de Terre.

Les jeunes sont zappeurs, souvent sans but, manquent de volonté ou de discernement. Voilà des phrases entendues à tant de reprises et pourtant... 

Ces mêmes jeunes se sont sacrifiés dans la vallée d’Uzbeen. Aujourd’hui ils combattent sans faillir dans le désert malien, par 50°C avec des charges de plus de 40 kg. Massivement, ils sont nombreux à avoir répondu à l’appel de leur pays après les attaques de novembre 2015, en rejoignant les rangs de l’armée de Terre. Sur le terrain, les militaires alliés au contact des troupes françaises font tous le même constat : « Leur comportement individuel et collectif en opérations est remarquable, et posent souvent la même question : comment font-ils pour obtenir un tel résultat ? » .

À travers la qualité de la formation initiale, le rôle du commandement pour permettre à chacun de progresser, ou encore les témoignages de réussite de certains d’entre eux, Terre information magazine fait le point sur un des ciments de notre armée : l’engagement au service des valeurs de la République, pour le bien commun et avec une pleine acceptation du sacrifice. 

 

 

 

La notion de « valeurs » parle à certains, moins à d’autres. Pour comprendre ce qu’elle implique pour l’armée de Terre, rien de mieux que d’avoir la vision de son chef.

 

Terre information magazine (TIM) : Que vous inspire ce terme de ”valeurs” ?

GÉNÉRAL D’ARMÉE Jean-Pierre BOSSER :
C’est un mot auquel il faut sans doute rendre sa juste place. S’il a parfois été mal considéré autrefois, il court peut-être le risque aujourd’hui d’envahir notre quotidien à tort et à travers. Il faut rappeler que les valeurs sont des idéaux auxquels on adhère au-delà de tout calcul et en sacrifiant parfois son intérêt individuel. Au fond, elles représentent ce qui n’a pas de prix, ou plutôt ce pour quoi on est prêt à payer le prix le plus élevé, c’est-à-dire le prix du sang. S’interroger sur les valeurs, c’est donc se demander ce pour quoi nous sommes prêts à mourir, et c’est sans doute pour cela que l’armée est parfois regardée lorsqu’on aborde ce thème.

TIM : Quelles sont les valeurs propres à l’armée de Terre ?

GA BOSSER : Il y a une équation particulière entre les valeurs de la France et la façon dont elles sont vécues dans l’armée de Terre. L’armée n’existe que par la volonté de la Nation d’assurer sa défense par la force des armes. Elle ne revendique pas l’exclusivité de valeurs qui lui soient propres, mais cultive et pratique au quotidien les valeurs qu’elle a fonction de défendre, c’est-à-dire celles qui fondent la communauté nationale. Prenons par exemple la devise de la République française, « Liberté, égalité, fraternité », inscrite sur les frontons des écoles et des édifices publics. Ce sont trois belles valeurs. Mais les soldats ne peuvent pas se contenter de les admirer de loin ! Ils s’en nourrissent et les vivent au jour le jour. Ils sont liés à la liberté, parce qu’ils sont amenés à combattre ici et là-bas pour cet universel qui vaut d’être défendu partout dans le monde. Les militaires aiment profondément l’égalité, parce qu’ils portent tous le même uniforme, se soumettent à la même discipline et progressent à la seule mesure de leurs mérites et de leurs capacités. Enfin, ils sont unis par une profonde fraternité d’armes, parce qu’ils ont besoin les uns des autres et appartiennent à une communauté humaine forte et confiante, qui ne laisse personne au bord du chemin.

TIM : Comment les plus jeunes parviennent-ils à s’approprier ces valeurs ?

GA BOSSER : Je constate que les jeunes qui entrent dans l’armée de Terre sont en quête de valeurs. Ils utilisent le mot « servir », qui ne leur fait pas peur. Ils ont soif d’idéal, d’engagement, d’une grande cause qui les dépasse. Ils viennent chercher du sens, mais aussi un cadre. Ils cherchent profondément à s’intégrer dans un collectif et dans une dynamique de dépassement de soi. En opérations et au quotidien, ils font souvent preuve d’un courage, d’une discipline et d’une disponibilité qui forcent l’admiration des Français. L’armée de Terre a donc raison de croire en eux et en leur potentiel ; j’ai plus que jamais la conviction que l’on peut encore leur transmettre nos valeurs aujourd’hui.

TIM : Comment ces valeurs sont-elles entretenues au quotidien ?

GA BOSSER : Comme l’y invite le Livre Vert sur l’exercice du métier des armes que l’armée de Terre vient de rééditer, je propose à tout soldat de commencer par regarder et aimer le drapeau ou l’étendard de son régiment. Il y verra d’abord nos trois couleurs, qui lui rappellent que l’armée est au service de la Nation. C’est la Nation qui lui confie la responsabilité de combattre en son nom, d’accomplir sa mission avec énergie et abnégation, y compris au péril de sa vie. Ensuite, il lira l’inscription « Honneur et Patrie », ou « Honneur et Fidélité » dans la Légion étrangère. Existe-t-il un meilleur guide pour l’action ?
L’honneur incite à conserver l’estime de soi et des autres. C’est un aiguillon qui pousse chacun à se surpasser en triomphant de ses faiblesses.
Quant à la Patrie, elle est un territoire à défendre, mais plus encore une manière d’être ensemble, une fidélité à une idée qui rassemble, un sentiment d’appartenance.
Enfin, sur l’autre face de l’emblème, le soldat lira les noms des batailles dans lesquelles le régiment s’est illustré. Ces batailles lui rappellent qu’il est l’héritier d’une lignée glorieuse. Ses aînés se sont battus durement pour conserver à la France sa force et sa grandeur. Du rappel de leur sacrifice se dégage pour chacun une invincible espérance.

TIM : Pourquoi sont-elles si importantes ?

GA BOSSER : Les valeurs sont essentielles parce qu’elles sont toujours une exigence à reprendre et à remettre en œuvre. Elles exercent un attrait, elles nous mettent en mouvement, elles sont une invitation à l’action. Elles nous apportent finalement plus de terre promise que de terrain gagné ! Clémenceau a dit, lors de la séance du 11 novembre 1918 à l’Assemblée nationale : « Honneur à nos grands morts qui ont fait cette victoire […] Grâce à eux, la France, hier soldat de Dieu, aujourd’hui soldat de l’Humanité, sera toujours le soldat de l’idéal ». Je crois que les soldats de l’armée de Terre sont et seront toujours les soldats de l’idéal.

Une chance pour tous

Dans l’armée de Terre, le terme « escalier social » est une réalité. Par le mérite, la volonté, la manière de servir ou de commander, chaque militaire a la possibilité d’accéder à des fonctions de niveau supérieur. Près de la moitié des officiers et deux tiers des sous-officiers sont issus de la promotion
« L’opportunité de progresser socialement dans notre armée est une vérité historique, affirme le général Marc Conruyt, sous-directeur des études et de la politique de la DRHAT. Notre histoire militaire récente nous offre de nombreux exemples de chefs issus du rang ou du corps des sous-officiers. » Volonté affirmée de la politique de gestion, le recrutement interne pour accéder au corps supérieur est une des priorités de la direction des ressources humaines. « C’est une singularité de l’armée de Terre, insiste le général. En 2018, 50 % de nos officiers sont d’anciens sous-officiers, et plus de 60 % de ces derniers sont issus du rang. Peu d’organisations peuvent s’enorgueillir de favoriser à ce point la promotion interne. »

Accéder à de plus hautes fonctions

Si les chiffres du recrutement interne au sein de l’Institution se maintiennent depuis plusieurs années, la seule volonté individuelle ne suffit pas. Les moyens pour se préparer, la détection des meilleurs potentiels, ou encore l’accompagnement par les différents échelons de commandement sont indissociables de l’investissement personnel. « L’implication des cadres est un acte essentiel de la promotion sociale, mais il implique un sacrifice, souligne le lieutenant-colonel Pascal de la direction des ressources humaines de l’armée de Terre. Il est naturel de vouloir garder ses meilleurs éléments au sein de sa section. Pourtant, l’armée de Terre encourage à les faire évoluer. C’est un abandon personnel au profit du collectif. Les chefs ayant eux-mêmes bénéficié de cet escalier social, auront à cœur de donner leur chance à d’autres après eux. C’est un cercle vertueux. » À l’École militaire interarmes de Coëtquidan, le sous-lieutenant Guillaume en a bénéficié. Engagé volontaire au 3e RIMa en 2009, il a lui-même obtenu la confiance de ses cadres pour accéder à de plus hautes fonctions. « L’armée m’a donné la chance d’exercer mon métier avec toujours plus de responsabilités. Dans deux ans, une fois arrivé en régiment, j’aurai à cœur de conseiller les plus jeunes et de les accompagner dans leur progression. C’est aussi le moyen de rendre à l’Institution tout ce qu’elle m’a donné. »

Des cadres recrutés dans Les rangs

En constante évolution, les parcours proposés aux militaires sont concrets. « Principalement basé sur l’idée de méritocratie, notre système s’appuie sur les valeurs profondes de l’armée de Terre, affirme le général Conruyt : la promotion au mérite fondée sur la seule qualité du soldat, la valorisation des talents de chacun au profit d’un collectif efficace et le crédit porté à l’expérience. Une fois leur formation terminée, le retour en régiment des jeunes sous-officiers semi directs favorise la cohésion et fortifie l’esprit de corps. Tout cela dans le même but : consolider la capacité opérationnelle de l’armée de Terre. »

L’armée de Terre « Au Contact » en remontant le volume de ses effectifs, a souhaité amplifier le recrutement interne de ses cadres. Cette dynamique, loin d’être un effet de mode, s’inscrit dans la durée et permet de maintenir un volume constant de cadres directement recrutés dans ses rangs. « Pendant mon temps de chef de corps, mon commandant en second était un ancien sous-officier, ayant passé le concours des officiers d’active des écoles d’arme et étant devenu officier supérieur, raconte le général Conruyt. Pour son départ, il a défilé juste derrière le drapeau du régiment. C’était pour lui un des moments les plus forts de sa carrière. Cette image est l’exemple même de l’escalier social dont nous parlons si souvent. Gravir les marches une par une au service de la France, fidèle à ses valeurs. »

 

Interview du général Jean-Pierre BOSSER
Chef d’état-major de l’armée de Terre
parue dans la revue
Terre information magazine

 

Rediffusé sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr

Source : www.asafrance.fr