EQUIPEMENT : « Nous sommes largement au-delà des missions prévues par le Livre blanc » (Amiral Pierre Vandier)

Posté le samedi 03 juillet 2021
EQUIPEMENT : « Nous sommes largement au-delà des missions prévues par le Livre blanc » (Amiral Pierre Vandier)

Dans une longue interview accordée à La Tribune, le chef d'état-major de la Marine nationale, l'Amiral Pierre Vandier, évoque la plupart des programmes d'équipements de la "Royale" (frégates, Rafale, porte-avions, sous-marins, patrouilleurs...) et des nouvelles technologies disruptives. Il constate que les missions se multiplient dans un contexte qui se durcit, mais le format actuel de la marine demeure.

La Tribune : Le format de la marine nationale ne semble plus adapté aujourd'hui à toutes ses missions. Elles se sont multipliées en raison d'un contexte géopolitique qui s'est durci. Faut-il augmenter le nombre de frégates ? Quelle est votre analyse et votre sentiment ?

Amiral Pierre Vandier : Le Livre blanc de 2013 indique à la page 96 que la Marine nationale doit être en mesure de déployer ses forces sur deux ou trois théâtres permanents. Nous héritons de ce format, qui est le résultat de l'analyse géopolitique de 2012. Puis, en 2017, la revue stratégique actualise le contexte mais pas le format. L'actuelle loi de programmation militaire, portée par Florence Parly, est une LPM (Loi de programmation militaire 2019-2025 - note de l’ASAF)  de réparation et une LPM « à hauteur d'hommes ». Elle a fixé de nouvelles priorités opérationnelles urgentes, comme le spatial, le cyber... La question, que vous posez, est une question post 2022, voire post 2025. D'autant que sur le plan industriel, à la demande de la ministre, Naval Group doit produire les trois premières frégates FDI (frégate de défense et d’intervention - note de l’ASAF) tous les neuf mois. Difficile de faire mieux. Et puis, il faudra peut-être rajouter la construction de frégates gagnées à l''export, notamment en Grèce à qui on propose des FDI, dont une produite à Lorient. Cette question mérite d'être pleinement auscultée par ceux qui président à la constitution du format des armées, à savoir l'adéquation entre l'ambition et les ressources.

 

Mais quelle est votre analyse du contexte opérationnel ?

Nous constatons une multiplication des engagements. Nous sommes largement au-delà de ce que le Livre blanc prévoit. Nous sommes engagés de manière permanente en Atlantique, en Méditerranée centrale, en Méditerranée orientale, dans le golfe Persique. Et on souhaiterait que nous assurions une présence permanente dans l'Indo-Pacifique. Dans cette région, les forces de souveraineté ont très bien assuré, pendant 25 ans, ces missions et elles le font encore très bien. Mais, aujourd'hui, nous devons répondre à d'autres enjeux militaires pour lesquels les forces de souveraineté ne sont pas dimensionnées.

 

On en revient donc à la question du format pour assurer une présence plus forte du canal du Mozambique à la Nouvelle-Calédonie...

... Non, c'est plutôt au niveau de notre militarité. Aujourd'hui, nous effectuons des missions de souveraineté en patrouillant dans l'immensité de notre ZEE (zone économique exclusive). Nous sommes aussi aidés par des satellites et des avions de surveillance, dont la flotte va être renouvelée. On pourrait se poser cette question : faut-il plus d'avions, plus de navires armés ou plus de patrouilleurs pour assurer toutes nos missions ? Mais le nombre ne change pas la donne. Ce qui change la donne, c'est que nos partenaires, qu'ils soient Indiens, Australiens, Japonais, Américains, sont montés eux d'un cran en termes de militarité. Ils aspirent donc à ce que nous coopérions avec eux à un niveau supérieur. Si vous arrivez avec une 2 CV à un Grand Prix de formule 1, dès le départ de la course, cela va être très, très compliqué. Le niveau moyen des bâtiments, qui sont dans la zone Indo-Pacifique, a beaucoup augmenté.

 

Quelle est la solution ?

Il faut probablement remilitariser notre présence en Indo-Pacifique. Si nous voulons échanger avec nos alliés au même niveau en termes de renseignements, de guerre électronique, de guerre anti-sous-marine, de connexions de systèmes d'armes, etc. nous devons remplacer nos frégates de surveillance, dont le système d'armes est obsolète sur le plan militaire. Pour une frégate de surveillance, c'est sa dimension « legal finish », qui fait sa force. Son système d'armes est le pavillon français. Mais je ne vous dis pas qu'il faut dix FREMM de plus dans notre flotte pour augmenter notre présence en Indo-Pacifique.

Est-ce une demande officielle de la marine nationale ?

Non parce qu'on ne me l'a pas demandé. Ce qui est certain, c'est qu'il y a en préparation un programme européen, qui s'appelle European Patrol Corvet, dont on voit qu'une partie des fondamentaux pourrait correspondre à cette problématique en Indo-Pacifique. Des bateaux qui s'apparentent un peu à la classe des corvettes Gowind ; des bateaux polyvalents capables de tout faire. Ces bateaux doivent être connectables aux liaisons de données, des liaisons 22 (standard OTAN, ndlr), ont un radar tridimensionnel, un sonar... Ils peuvent se voir confier des missions militaires utiles. Si vous n'avez pas de sonars pour écouter ce qu'il y a sous l'eau dans cette zone alors que la Chine construit de nombreux sous-marins, vous ne servez à rien.

(…)

Propos de l’Amiral Pierre VANDIER
chef d’état-major de la Marine nationale
recueillis par Michel CABIROL (extraits)
Date : 1er Juillet 2021
Source photo : Ministère des Armées

 

Rediffusé sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr
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Source : www.asafrance.fr