ESPACE : L’Amérique se découvre un rival dans la nouvelle guerre des étoiles

Posté le samedi 10 avril 2021
ESPACE : L’Amérique se découvre un rival dans la nouvelle guerre des étoiles

La création d’une force spatiale par les États-Unis, en décembre 2019, témoigne d’une volonté d’organiser leur défense dans un espace de plus en plus militarisé.

Sortis vainqueurs de la guerre froide en partie grâce aux dépenses de leur guerre des étoiles, ce programme de défense spatiale qui avait entraîné l’Union soviétique dans une course aux armements dépassant ses capacités économiques, les États-Unis ont longtemps bénéficié dans l’espace d’une avance technologique telle qu’il leur était difficile d’imaginer être jamais rattrapés.

Quelques décennies plus tard, Washington voit cette avance se réduire avec l’essor d’un nouveau rival. Dotée de moyens financiers et techniques largement supérieurs à ceux de la défunte URSS, la Chine s’est équipée d’une puissante industrie spatiale qui menace à présent directement l’hégémonie américaine. Au cours des trois dernières années, la Chine a lancé plus de fusées dans l’espace que tout autre pays, ainsi que des missions vers la Lune et vers Mars.

Plus préoccupant encore, Pékin ne se contente pas de rivaliser sur le plan technologique avec les Américains. Il développe des systèmes d’armement spatiaux capables de menacer les nombreux satellites, militaires et commerciaux, dont les États-Unis sont de plus en plus dépendants.

La Chine s’est déjà dotée d’un arsenal considérable de missiles antisatellites, dont les programmes ont été lancés dans les années 2000. Mais les Américains soupçonnent aussi Pékin de développer d’autres systèmes d’armes, incluant des lasers basés sur terre, des robots orbitaux antisatellites, et des moyens électroniques et cybernétiques visant à mettre hors service les systèmes spatiaux adverses.

La Chine a aussi achevé de déployer son réseau de 35 satellites de navigation, complétant ainsi un système destiné à donner à son armée une nouvelle précision dans la conduite des frappes terrestres.

Vingt ans après la mise en garde du secrétaire américain à la Défense Donald Rumsfeld, qui avait évoqué en 2001 la possibilité d’un Pearl Harbor spatial, une attaque surprise qui priverait les États-Unis de leurs capacités satellitaires n’apparaît plus comme relever de la science-fiction.

La création d’une force spatiale, en décembre 2019, par un décret de Donald Trump, devenue la sixième branche des forces armées américaines (avec l’armée de Terre, la Marine, l’aviation, les Marines et les gardes-côtes), et la formation d’un commandement opérationnel indépendant témoignent de l’intention des Américains d’organiser leur défense dans une guerre spatiale de moins en moins hypothétique.

Dans ce domaine comme dans d’autres, l’Administration Biden s’est inscrite dans la continuité de celle de son prédécesseur et devrait poursuivre un effort spatial que les Américains identifient dorénavant comme l’une de leurs priorités en matière de défense.

« Les activités spatiales de la Chine et de la Russie représentent des menaces sérieuses et croissantes pour la sécurité nationale des États-Unis », a annoncé le nouveau secrétaire américain à la Défense, Lloyd Austin, lors de son audition par le Sénat en janvier dernier. « Les doctrines militaires chinoises et russes indiquent également qu’elles considèrent l’espace comme essentiel à la guerre moderne et envisagent l’utilisation de capacités antisatellites comme un moyen de réduire l’efficacité militaire des États-Unis et de gagner les guerres futures », a souligné le nouveau chef du Pentagone. « Si la Russie est un adversaire de premier plan, la Chine est une menace grandissante. »

Austin a aussi identifié d’autres risques pour les intérêts américains dans l’espace. « Bien qu’elles ne soient pas du même ordre de grandeur, les menaces spatiales de l’Iran et de la Corée du Nord, telles que le brouillage des communications par satellites et des signaux GPS, sont également en augmentation et mettent en danger les capacités des États-Unis », a-t-il mis en garde. « Ces deux pays conservent également des capacités indépendantes de lancement, qui peuvent servir à tester des technologies de missiles balistiques… »

« La création de la force spatiale marque un changement important dans la réflexion stratégique des États-Unis sur l’utilité militaire de l’espace », explique Peter Hays, analyste à l’Institut de politique spatiale à l’université George-Washington. « Elle devrait accélérer le développement d’une doctrine spatiale et aider à dépasser les analogies avec celles de la guerre navale et aérienne, qui ont souvent servi de modèles, mais dont les limites apparaissent de plus en plus clairement. »

L’une des caractéristiques de ce nouvel environnement stratégique est d’être presque entièrement nouveau. Si aucun des adversaires n’a de réelle expérience de ce à quoi pourrait ressembler un conflit dans l’espace, quelques caractéristiques spécifiques sont déjà apparues. L’une d’entre elles est la grande intégration entre les niveaux tactiques, opérationnels et stratégiques. La destruction, la mise hors service ou le brouillage d’un satellite peuvent avoir des conséquences politiques et militaires hors de proportion avec le coût d’une attaque. Une autre particularité est le grand degré de dissimulation possible des opérations militaires dans l’espace. « La difficulté d’attribuer des attaques est indéniablement une caractéristique spécifique de l’espace : qu’est-ce qui définit un acte hostile ? », souligne Zhanna Malekos-Smith, spécialiste des questions spatiales au Center for Strategic and International Studies (Centre d’études stratégiques et internationales, CSIS) « Les attaques non cinétiques, avec des lasers ou des brouilleurs ou des intrusions informatiques créent facilement des zones grises qui rendent compliquées d’élaborer une riposte proportionnelle. » Enfin, les opérations spatiales n’entraînent quasiment pas de pertes humaines. Ces particularités rendent évidemment encore plus tentant le recours à une attaque dans l’espace.

« Les prémices de cette nouvelle course aux armements spatiaux remontent à la guerre du Golfe de 1991, sans doute le premier conflit où la dimension spatiale a été déterminante », explique Peter Hays. « La Chine et la Russie ont vu depuis avec préoccupation croître les capacités américaines de positionnement par satellite, notamment pour guider les missiles de croisière ou les bombes, et la navigation des unités, mais aussi celles du renseignement sur le champ de bataille. Elles ont depuis multiplié leurs efforts pour rattraper leur retard dans ces domaines. »

Après que les Américains et les Russes ont testé pendant la guerre froide des armes antisatellites, établissant un certain équilibre dans ce domaine, la Chine a donné en 2007 la preuve de ses nouvelles capacités de guerre spatiale, en tirant un missile contre l’un de ses vieux satellites météorologiques. Cette destruction, causée par la seule force cinétique, projette des milliers de débris en orbite, menaçant des dizaines d’autres satellites ainsi que la Station spatiale internationale, obligeant les contrôleurs au sol à manœuvrer les engins spatiaux pour les éviter. Ces débris sont toujours en orbite, et demeurent un risque pour les satellites actuels.

Les programmes de Pékin ne se limitent pas à développer des armes cinétiques contre des cibles orbitales. De puissants lasers sont aussi à l’étude. La Chine a aussi intégré les attaques cybernétiques à sa panoplie d’armes spatiales : les satellites étant contrôlés par des systèmes informatiques basés sur terre, des intrusions informatiques peuvent permettre leur mise hors service temporaire ou même leur destruction.

Récemment, des analystes ont identifié des sites dans la région du Xinjiang où seraient développés de puissants lasers capables d’aveugler ou de mettre hors service des satellites de reconnaissance américains et leurs fragiles capteurs optiques.

Cette course aux armements se déroule dans un environnement où n’existent que peu de règles internationales. « L’aspect militaire est présent depuis le début de la conquête spatiale », dit Zhanna Malekos-Smith, « et il faut garder à l’esprit que l’espace est un environnement très interconnecté, et où les dimensions civiles et militaires ne sont pas toujours nettement séparées. C’est un domaine qui se prête aussi bien au conflit qu’à la coopération ».

« Il y a aujourd’hui de plus en plus d’acteurs, de plus en plus de satellites présents dans l’espace, et les lois internationales sont peu nombreuses : le traité de 1967, qui prévoit que tous les États ont droit d’accéder à l’espace, prohibe le déploiement d’armes de destruction massive dans l’espace, et interdit les revendications de contrôle, reste la base. Mais il ne définit pas ce que signifie un usage pacifique de l’espace, ce qui laisse une certaine liberté d’interprétation ».

Le risque de voir les conflits terrestres s’étendre jusqu’à un espace de plus en plus important militairement et commercialement n’apparaît plus comme une possibilité théorique, mais devient une quasi-certitude.

« Que l’on croie à la guerre spatiale ou que l’on essaye désespérément de l’empêcher, les conflits dans l’espace se produiront néanmoins », avertissait dans la revue Strategic Studies Quarterly Paul Szymanski, analyste et président du Centre de stratégie spatiale, « car l’espace est trop important pour rester un sanctuaire pendant que les conflits entre grandes puissances feront rage sur Terre. »

Adrien JAULMES
Le Figaro
vendredi 9 avril 2021

Rediffusé sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr
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Source : www.asafrance.fr