ESPACE : « Nous devons définir des normes de comportement responsable »

Posté le samedi 03 juillet 2021
ESPACE : « Nous devons définir des normes de comportement responsable »

Le général Michel Friedling, commandant de l’espace depuis septembre 2019, et le général James Dickinson, Space Commander, depuis août 2020 dirigent chacun les opérations dans l’espace de la France et des États-Unis.

 

LE FIGARO.- La prochaine guerre commencera-t-elle dans l’espace ?

Général James DICKINSON.- Regardez où nous en sommes aujourd’hui. Nos compétiteurs, en particulier la Chine et la Russie, développent des capacités et militarisent l’espace exoatmosphérique (entre 200 et 36 000 km d’altitude, NDLR). Est-ce que la prochaine guerre commencera ou finira dans l’espace ? Je ne peux pas le dire. Mais je sais que nous sommes tous les jours en compétition. L’espace jouera un grand rôle dans le prochain conflit. Espérons que celui-ci ne survienne pas. La mission du Commandement de l’espace est de dissuader nos compétiteurs. Mais s’il le faut, d’être préparés.

Général Michel FRIEDLING.- L’espace est un lieu de menaces émergentes. Ce que nous observons et suivons, depuis trois ans maintenant, ne fait que confirmer la stratégie spatiale voulue par le président de la République, et élaborée sous la direction de la ministre des Armées. Les doctrines militaires de certains pays sont claires : elles disent vouloir neutraliser les capacités spatiales de leurs adversaires avant tout autre action. Il s’agit pour eux de rétablir ainsi une forme de symétrie dans les autres champs d’affrontement en cas de conflit. Un conflit entre deux puissances majeures aurait très certainement des implications immédiates dans l’espace, qui est ainsi devenu le cinquième domaine de confrontation, après l’air, la terre, la mer et le cyber.

Le rapport de force s’égalise-t-il entre les États-Unis et la Chine ?

J.D.- La Chine développe des capacités militaires et commerciales. Mais à ce stade, il n’y a pas d’égalité. Les États-Unis et leurs grands alliés comme la France ont toujours l’avantage. Nous devons conserver et même accroître cette supériorité.

M.F.- L’intérêt de tous est que l’espace demeure un environnement de paix. L’espace irrigue tous les secteurs de l’activité humaine. Il ne doit pas devenir une sorte de Far West, pour reprendre le mot de la ministre. Et personne n’aura à gagner quoi que ce soit d’un conflit spatial. Mais ceci étant dit, il faut bien prendre en compte les menaces et être capables d’y répondre. Et pour cela, il faut d’abord être capable d’observer tout acte irresponsable ou hostile dans l’espace de manière précise et en temps réel. Nous devons ensuite être en mesure de décourager ces comportements.

Comment définir un acte hostile ?

M.F. - Tout dépend si vous êtes au-dessus du seuil d’un conflit ou en dessous… Il faut étudier les situations au cas par cas. Il n’y a pas de définition commune à ce jour d’un acte hostile dans l’espace. Mais nous y travaillons avec nos alliés. De la même façon, nous travaillons également à définir des normes de comportement responsable, une sorte de code de bonne conduite. La France a d’ailleurs soutenu un projet de résolution britannique aux Nation unies en décembre sur ce sujet. C’est une façon pragmatique, concrète et immédiatement applicable d’aborder les enjeux plutôt que de promouvoir des traités d’interdiction au champ imprécis, dont il serait impossible de vérifier l’application et que la France respecterait tandis que d’autres ne le feraient pas.

J.D.- Il faut regarder ce qui s’est passé en mer ou dans les airs. Des normes ont été établies pour qualifier des comportements hostiles, inacceptables ou irresponsables. Il faut traiter l’espace exoatmosphérique de la même manière, même si évidemment les conditions physiques y sont différentes. Pour la mer ou les airs, cela a pris des années. Nous n’avons pas autant de temps pour l’espace où le développement des enjeux commerciaux est très rapide.

Quels types d’activités hostiles avez-vous observés récemment ?

J.D.- Regardons l’activité russe l’année dernière : nous avons dénoncé le développement et le test de capacités antisatellites ASAT (un tir depuis le sol, NDLR). Je ne qualifierai pas cela d’hostile mais de comportement irresponsable. Un tir cinétique contre un satellite en orbite basse aurait des conséquences dévastatrices qui ne se dissiperaient pas rapidement. En 2007, la Chine a effectué un tir antisatellite ASAT contre l’un de leurs satellites provoquant des milliers de débris. Nous vivons encore aujourd’hui avec les conséquences de ce tir et nous vivrons avec des années encore.

M.F.- Mme Parly avait révélé fin 2018 l’activité d’un satellite russe qui s’était approché très près d’un satellite militaire franco-italien. Bien que licite du point de vue du droit international, c’était un acte clairement inamical, et même un acte d’espionnage. Beaucoup d’autres événements préoccupants ont eu lieu depuis sur toutes les orbites. Ils démontrent la montée en puissance de ces capacités militaires que développent certains pays tout en prétendant vouloir les interdire.

Pour leurs opérations, les armées dépendent-elles de l’espace ?

J.D.- Nous dépendons de l’espace pour pouvoir projeter globalement nos capacités. Mais nous nous entraînons pour le cas où nous n’aurions plus totalement accès à l’espace. Une de mes missions est aussi d’assurer la défense active de nos capacités spatiales pour assurer la préservation de nos moyens.

M.F.- Absolument. Communiquer, voir, entendre, cibler, renseigner, naviguer, frapper un objectif : tout cela est permis par l’espace pour nos 17 000 militaires déployés sur 30 sites différents autour de la planète, que ce soit en forces de souveraineté, de présence ou en opérations. L’espace appuie toutes les opérations militaires depuis le niveau stratégique jusqu’au niveau tactique en fournissant de l’aide à la décision par l’imagerie ou le renseignement, des communications sécurisées haut débit et des services de navigation et de positionnement précis et sécurisés. Et cela va devenir encore plus important à l’avenir avec les systèmes de combat en développement où toutes les plateformes seront connectées entre elles : l’espace y jouera un rôle essentiel dans la collecte et la distribution de l’information en temps réel.

Comment coopérez-vous ?

J.D.- Ma priorité, en tant que commandant de l’espace, est de développer nos capacités de « Space Domain Awareness ». En d’autres mots : savoir ce qui se passe dans l’espace. C’est un sujet que nous pouvons approfondir avec la France. L’enjeu est de pouvoir coordonner nos actions dans l’espace. Avec le développement de mégaconstellations (rassemblant plusieurs centaines de satellites, NDLR), cela va devenir de plus en plus important. L’ouverture du prochain centre d’excellence de l’Otan sur le spatial à Toulouse nous donnera une opportunité de renforcer encore notre relation avec la France comme avec les autres nations spatiales. Nous procédons aussi à un échange d’expertise entre les États-Unis et la France.

M.F.- Avec les États-Unis, nous avons tout d’abord une réelle convergence stratégique concernant l’espace. Notre coopération est structurée depuis plusieurs années avec un accord ministériel, des accords de partage de données pour la surveillance spatiale, des exercices spatiaux conjoints et des réunions bilatérales bisannuelles. Nos échanges se sont intensifiés ces deux dernières années. Ils ont pour objectif de faciliter la coordination et la mise en œuvre de nos politiques spatiales de défense ainsi que l’échange d’informations et d’analyses lors d’évènements spatiaux. Nous avons également l’ambition d’augmenter notre capacité à opérer ensemble dans l’espace. Cela concerne nos capacités, notre interopérabilité, nos concepts et beaucoup d’autres sujets. Au bilan, nous sommes le partenaire le plus capable des États-Unis dans le domaine spatial mais également sans doute le plus exigeant. Et nous le resterons.


Propos des
généraux  James DICKINSON 
et Michel FRIEDLING
recueillis par Nicolas Barotte
Source : Le Figaro
Date : 2 juillet 2021

 Rediffusé sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr
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