ETATS-UNIS : Antony BLINKEN et la diplomatie américaine

Posté le dimanche 24 janvier 2021
ETATS-UNIS : Antony BLINKEN et la diplomatie américaine

« On me dit qu’Antony Blinken serait un pacifiste-faucon », disait Guillaume Roquette (le Figaro), non sans humour, en évoquant le nouveau Secrétaire d’Etat américain. « Il faudra qu’on m’explique ! ». Ses premières explications, celui qui sera en charge de la politique étrangère du pays les a données lors de son audition au Sénat, le 19 janvier dernier (1) – une audition de confirmation devant un Comité des Affaires étrangères du Sénat où il n’est pas un inconnu : il y a travaillé de 2002 à 2008.

 Avant de rejoindre Joe Biden en 2008, pour la campagne présidentielle, puis de devenir (2009-2015) conseiller adjoint à la sécurité nationale auprès du même Joe Biden alors vice-président de Barack Obama, puis secrétaire d’Etat adjoint de 2015 à la fin du mandat Obama. Un proche du nouveau président, donc, et un homme d’expérience. Quoi d’autre ? « Il apparaissait fréquemment à la télévision par câble et sur les réseaux au nom de l'administration Obama » dit la page des archives du Secrétariat d’Etat (2). « M. Blinken a fréquenté l'école primaire et le lycée à Paris, en France, où il a obtenu un baccalauréat français avec mention très bien. Il est diplômé du Harvard College Magna cum Laude et de la Columbia Law School ». 

 En quoi serait-il un faucon ? Bien sûr, il a travaillé sous la houlette de la célèbre Susan Rice, dont le Monde, citant le Washington Post en 2013 (elle était alors ambassadrice à l’ONU), donnait un portrait au vitriol comme étant « le pendant, à gauche, des néoconservateurs de George Bush ». Nommée au poste de conseiller à la sécurité nationale, « elle n'a ni la discrétion ni l'affabilité qui sont généralement l'apanage du poste. "Le président a échangé une berline rassurante contre une voiture de sport plus flashy mais plus impétueuse", résumait le chroniqueur diplomatique du Washington Post, David Ignatius » (3). Comme elle, Antony Blinken s’est prononcé pour l’invasion de l’Irak (2002) et pour le bombardement américain en Libye (2011). Lui souhaite aussi en 2013 l’intervention américaine en Syrie (la Ghouta) et soutient même Donald Trump en 2017 (Bombardement de Khan Cheikhoun) après utilisation d’armes chimiques attribuées à Bachar el Assad. Tout en constance, il cosignait le 1er janvier 2019 une tribune avec le néoconservateur Robert Kagan dans le Washington Post (4).

 Tout s’éclaire.

 « Une politique étrangère responsable cherche à prévenir les crises ou à les contenir avant qu'elles ne dégénèrent. Cela nécessite une combinaison de diplomatie active et de dissuasion militaire ». Mais encore ? « Alors que la concurrence géopolitique s'intensifie, nous devons compléter la diplomatie par la dissuasion. Les mots ne suffiront pas à dissuader les Vladimir Poutine et les Xi Jinping de ce monde ». D’ailleurs, précise-t-il à propos de l’emploi de la force – en s’en félicitant, « dans les années 1990, nous avons chassé Saddam Hussein du Koweït, éliminé un dictateur narcotrafiquant au Panama et apporté la paix dans les Balkans avec un minimum de pertes américaines ; plus tard, nous avons tué Oussama ben Laden ». Alors qu’en Syrie, « nous avons cherché à juste titre à éviter un autre Irak en n’en faisant pas trop, mais nous avons fait l'erreur inverse en faisant trop peu. Sans une puissance appropriée, aucune paix ne pouvait être négociée, et encore moins imposée ». Pas de doute, le diplomate aime le muscle.

 

Mais pour le côté pacifiste ? Accordons-lui qu’il reconnaît, dans la même tribune, que l’invasion de l’Irak voulue par George Bush en 2003 - et qu’il avait soutenue - n’était pas une bonne idée : « les erreurs que nous avons commises en Irak et en Afghanistan - notamment avec de mauvais renseignements, une stratégie malavisée et une planification inadéquate pour le lendemain - ont sapé le soutien à la projection de la puissance américaine ». Et que, s’il est comme son président Joe Biden, tout à fait favorable à ce que les Etats-Unis « conduisent le monde », il ne pense pas que le concept défendu par le président Trump « America First – ou son cousin progressiste, le retrait » soit la meilleure méthode, même si elle est « largement populaire dans les deux partis ». Pourquoi ? Parce que si l’on cherche la paix, il ne faut pas se retirer du monde « sans envisager les conséquences probables, comme nous l’avons fait dans les années 1930. A l’époque, le résultat a été une conflagration mondiale », gigantesque.

Accordons-lui aussi un brin de lucidité. Sur la situation intérieure américaine d’abord. Si l’on veut conduire le monde, il faut être en bonne santé. Or, reconnaît-il, le pays est divisé : « la récente décision de Trump de retirer toutes ses troupes de Syrie et 7 000 hommes d'Afghanistan a été condamnée par les démocrates et les républicains à Washington. Mais il n'est pas du tout évident que les Américains de l'autre côté du Beltway soient tout aussi indignés ». Et puis l’adhésion des Américains pour le « rôle mondial que les Etats-Unis ont adopté après la seconde guerre mondiale a commencé à décliner avec l'effondrement de l'Union soviétique et a été ébranlée par les guerres en Irak et en Afghanistan et la crise financière de 2008. Celui qui gagnera le pouvoir en 2020 aura du mal à s'opposer à une tendance qui a précédé Trump et lui survivra probablement ». Lucidité sur la situation du monde ensuite, « un monde de plus en plus dangereux qui ressemble davantage aux années 1930 qu'à la fin de l'histoire : populisme, nationalisme et démagogie en hausse, pouvoirs autocratiques de plus en plus puissants et agressifs, Europe enlisée dans la division et le doute de soi, démocratie assiégée ».

Bon, dans ces conditions, que propose le diplomate-faucon secrétaire d’Etat depuis le 20 janvier 2021 ? Reprenons son audition au Sénat, le 19 janvier.

Tout d’abord, même s’il faut considérer le passé pour affronter le présent « nous nous impliquerons dans le monde non pas comme il était, mais comme il est ». Et ce avec, comme le veulent la constitution et la tradition américaines, le Congrès. « Ces dernières années, avec les administrations des deux partis, la voix du Congrès en matière de politique étrangère a été diluée et diminuée ». Ce qui affaiblit le pays – et doit cesser. Parce que « vous êtes les représentants du peuple américain ». Soit. Ensuite ? Antony Blinken a répondu aux questions des sénateurs – réponses que la presse a reprises, en détail (5). Qu’est-ce qui changera réellement ? Le retour dans les institutions internationales, pour y tenir sa place « en ne reculant pas et en ne cédant pas » (c’est Joe Biden lui-même qui a annoncé son retour dans l’Accord sur le Climat de Paris, poste confié à John Kerry – mais quid pour le gaz de schiste ? Mystère).
Vis-à-vis de l’Europe ? Un engagement à « ne pas dénigrer nos alliés » - un peu maigre, il faudra attendre les actes.

 

Et pour la dissuasion, chère à notre diplomate-faucon ? Une très bonne nouvelle : il veut « que soient reprises les négociations sur le traité sur les armes nucléaires du New START, qui expire dans quelques semaines ». Poutine y était favorable, Trump non.

 Sur la Chine ? Xi Jinping avait raison d’être sur la réserve. Elle « pose sans aucun doute le défi le plus important de tous les Etats-nations pour les Etats-Unis, en termes d'intérêts pour nous et pour le peuple américain ». Si l’on écarte le bavardage autour des « désaccords » avec le président sortant on comprend donc que « Trump a eu raison » d’avoir « une position plus ferme » à son égard. « Le principe de base était bon ». On va donc changer des virgules pour que rien ne change. Y compris pour Taïwan, « engagement » renouvelé tout en examinant « certains règlements (qui) ont été promulgués par le secrétaire d'État sortant », Mike Pompeo, en dernière minute. Et il faudra continuer à défendre les valeurs qui font la force des Etats-Unis quand « les droits humains sont violés » (Hong Kong ou ce que Trump a révélé du « génocide » des musulmans ouïghours). 

Mais sur les dossiers chauds, l’Iran, Israël, qui avaient valu tant de critiques à Donald Trump de la part des démocrates ?
On rouvre le dossier iranien, certes. Mais « le président élu Biden s'est engagé à ce que l'Iran ne se dote pas d'une arme nucléaire » et il faut rediscuter aussi des missiles balistiques iraniens – motif pour lequel Trump s’était désengagé.
Israël ? Les différences d’avec l’administration sortante sont plus sensibles. Certes, la capitale reste Jérusalem, et Antony Blinken « a fait l'éloge des Accords d'Abraham, qui ont normalisé les relations entre Israël et le Golfe et les autres nations musulmanes ». Tout en accusant Trump d’avoir « contribué à pousser les Israéliens et les Palestiniens plus loin d'un accord de paix qu'ils ne l'ont été depuis des décennies ». Et en préconisant « une solution à deux Etats », qui pour lui « reste la meilleure et probablement la seule façon d'assurer véritablement l'avenir d'Israël en tant qu'État juif et démocratique et, bien sûr, de donner aux Palestiniens l'État auquel ils ont droit ».

Le nouveau secrétaire d’Etat a répondu à bien d’autres questions des sénateurs. Sur la Turquie (« qui ne se comporte pas comme un allié »), sur Cuba, sur l’Afrique, sur le Yémen – sur la pandémie. Nous y reviendrons. Ce que nous retenons de cette première audition ? Guillaume Roquette a sa réponse.
Pour « conduire le monde » selon le vœu de son président, Antony Blinken parlera doucement avec un gros bâton.

Hélène NOUAILLE
La letter de Leosthène 

 

Notes :

(1) CNN, le 19 janvier 2021, Antony Blinken, Statement for the Record before the United State Committee on Foreign Relations
https://edition.cnn.com/2021/01/19/politics/blinken-opening-statement/index.html

(2) US State Department, Archives, Antony J. Blinken, Deputy Secretary of State
https://2009-2017.state.gov/r/pa/ei/biog/236057.htm

 

(3) Le Monde, le 6 juin 2013, Corine Lesne, M. Obama nomme deux de ses proches dans son équipe de sécurité nationale
https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2013/06/06/obama-nomme-deux-de-ses-proches-dans-son-equipe-de-securite-nationale_3425388_3222.html 

(4) The Washington Post, le 1er janvier 2019, Antony J. Blinken, Robert Kagan, ‘America First’ is only making the world worse. Here’s a better approach
https://www.washingtonpost.com/opinions/america-first-is-only-making-the-world-worse-heres-a-better-approach/2019/01/01/1272367c-079f-11e9-88e3-989a3e456820_story.html 

(5) CNN, le 20 janvier 2021, Nicole Gaouette, Jennifer Hansler et Kylie Atwood, Biden’s State Department pick reaches out for GOP allies as he promises policy shifts
https://edition.cnn.com/2021/01/19/politics/blinken-confirmation-hearing/index.html 


Rediffusé sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr
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