ÉTUDE : L’intelligence de Tocqueville au XXIe siècle et le masque moderne de la servitude

Posté le mardi 19 janvier 2021
ÉTUDE : L’intelligence de Tocqueville au XXIe siècle et le masque moderne de la servitude

Il y a cent-quatre-vingt-dix ans, le 10 mai 1831, Alexis de Tocqueville et Gustave de Beaumont, jeunes magistrats de vingt-cinq ans, débarquaient à New York en mission d’études mandatée par le gouvernement de Louis-Philippe. Les États-Unis étaient une société politique nouvelle, qui semblait avoir surmonté les problèmes de liberté et d’égalité qu’engerbe le mot démocratie. Ainsi naquit l’ouvrage universel de référence, La Démocratie en Amérique, dont se revendiquent nombre de partis politiques à travers le monde. Il n’échappera à personne que l’intrusion inédite par une foule hurlante et violente dans le Capitole à Washington le 6 janvier 2021, jour de la certification des votes du Collège électoral de l’élection présidentielle, remet en lumière les attendus du traité intellectuel de Tocqueville.

Le point remarquable que l’illustre français pose en postulat est, en effet, celui de l’égalité des conditions qui constitue le fait générateur de cette démocratie américaine. «  Il faut une science politique nouvelle à un monde tout nouveau » proclamait-il. Or voici, deux siècles plus tard, que les démocrates ont entrepris une démarche législative pour tenter de destituer l’imprévisible boutefeu Donald Trump. C’est là une action ultime mais légaliste.

En revanche, avoir banni des réseaux sociaux, avec ses 88 millions d’abonnés communautaires, le président des États-Unis  en exercice, soulève de nombreuses interrogations sur la liberté d'expression et l'influence politique des GAFAM. La question se pose de savoir s’il faut accepter qu’une poignée de dirigeants, multimilliardaires, d’entreprises privées, puissent régenter, unilatéralement et sans contreparties, la communication et l’opinion des États-Unis, mais aussi de toute la planète. D’ailleurs, certains estimeront, comme un avertissement d’avoir dépassé les bornes, que les deux réseaux sociaux californiens, Facebook et Twitter, aient accusé, le 11 janvier, une baisse de leur valeur boursière respectivement de 4 % et 6,4 %. En réalité, nombreux penseront que c’est le concept même de démocratie qui est désormais en péril.

Mais revenons, un instant, au voyage de Tocqueville. Ce qui l’avait le plus frappé aux États-Unis  était l’égalité des conditions qui constituait, pour lui, la clé de toute la vie démocratique. Le développement de l’égalité est universel et durable et ne s’arrêtera pas, car celle-ci est devenue forte et dominante. « La nation sera moins brillante, moins glorieuse, moins forte peut-être, mais la majorité des citoyens y jouira d’un sort prospère et le peuple s’y montrera paisible parce qu’il sait être bien ».

L’aristocrate français souligne que les États-Unis d’Amérique ont déjà, en 1830, une législation sur les successions qui fournit le type le plus saisissant d’état social égalitaire. « Ils ont pour l’égalité une passion ardente, insatiable, éternelle, invincible »« ils la veulent encore dans l’esclavage, ils souffriront, mais ils ne souffriront plus de l’aristocratie ». La souveraineté du peuple est un vrai dogme américain. Le peuple participe à la composition des lois par le choix des législateurs, par l’élection des agents du pouvoir exécutif, « le peuple règne sur le monde politique américain comme Dieu sur l’Univers ».
Pour autant, Tocqueville semble percevoir des menaces sur cette architecture politique : « Je veux imaginer sous quels traits nouveaux le despotisme pourrait se produire dans le monde. Je vois une foule d’hommes semblables et égaux mais au-dessus de ceux-là s’élève un pouvoir immense qui se charge seul d’assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort… que ne peut-il leur ôter entièrement le trouble de penser et la peine de vivre ? » D’aucuns voudront voir dans cette description une prédiction de ce qui arrive aujourd’hui avec le monde des GAFAM, qui « sont le masque moderne de la servitude et de l’asphyxie de la liberté ».

Près de deux siècles après que Tocqueville ait décrit la réalité de la démocratie moderne de l’Amérique, la nouvelle administration démocrate devrait exercer le pouvoir sans baisser la garde face à la Chine et la Russie, ajuster les relations avec le Moyen-Orient selon les récents accords dits « Abraham », tout en conservant en priorité la défense des intérêts nationaux. Néanmoins, la tendance au repli reste ancrée chez les Américains et le président Joe Biden a promis qu’il ne reviendrait pas dessus, sans exclure toutefois quelques inflexions.

 

En ce qui concerne la stratégie militaire, « les États-Unis ont l’armée la plus puissante du monde, et en tant que président, je veillerai à ce qu’elle le reste, en faisant les investissements nécessaires pour équiper nos troupes en vue des défis de ce siècle, et non du dernier ».  Au sein de l’Alliance atlantique les exigences demeurent, Joe Biden s’est dit « fier des engagements que l’administration Obama-Biden avait négociés afin d’assurer que les membres de l’Otan augmentent leurs contributions financières en matière de défense ».

En outre, il faut envisager le retour heureux au multilatéralisme et à la coopération qui a été un slogan de sa campagne. Ainsi, le président élu a-t-il promis, par exemple, de réintégrer immédiatement l’accord de Paris sur le climat.

 

En guise de conclusion et sans préjuger de l’avenir, Alexis de Tocqueville eût probablement pu souhaiter que, pour le bien de la France comme de l’Europe, on aperçût encore, au-delà des travers visibles et cachés du monde commercial comme digital globalisé, que « demeurent, nettement, les caractères généraux démocratiques des États-Unis d’Amérique ».

 

Colonel (er) Dominique BAUDRY
Membre de l’ASAF


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