EXPERIENCE. L’enseignement du fait religieux : une expérience personnelle

Posté le mercredi 02 décembre 2020
EXPERIENCE. L’enseignement du fait religieux : une expérience personnelle

Chargé d’enseignement en master spécialisé « ingénieur d’affaires » à l’INSA de Toulouse, le séminaire que je conduis, parmi les autres formations de haut niveau dispensées par d’éminents intervenants venus tous du monde de l’entreprise, a pour objectif de préparer de jeunes ingénieurs à conduire des missions « export » à l’étranger, sur tous les continents, à les ouvrir au monde qui vient.

Le Moyen-Orient et l’Afrique font partie des espaces géographiques sur lesquels ils sont susceptibles de travailler. Aussi, je consacre un nombre certains d’heures à traiter de l’islam, son origine, ses piliers, ses conflits internes et son expansion au travers des siècles afin qu’ils puissent non seulement mieux appréhender et comprendre les affrontements actuels sur l’échiquier des relations internationales, les grandes ruptures stratégiques en cours, mais aussi maîtriser les bonnes règles de comportement vis-à-vis de leurs interlocuteurs potentiels. Il se trouve que chaque année, dans une promotion soumise à une sélection très rigoureuse (ce master  spécialisé est classé numéro 1 en France), j’ai le plaisir d’avoir un certain nombre d’ingénieurs étrangers, de confession musulmane.

À chaque fois, avant de commencer ce module, je m’adresse à la cantonade pour m’enquérir du niveau  minimum de culture religieuse propre à chaque nationalité. En effet, traiter de la naissance de l’islam, évoquer le Coran sans avoir un minimum de références concernant les gens du Livre, ou « la société du Livre » comme aime à le souligner Mohamed Arkoun, s’avère compliqué et nécessite des explications complémentaires. C’est comme si l’on voulait commenter La légende des Siècles sans avoir entendu parler de la Genèse, d’Abel et de Caïn. Parmi les « indigènes de la République », j’observe, au fil des ans, que les mains qui se lèvent pour avouer un petit vernis se font de plus en plus rares. C’est loin d’être le cas pour les musulmans qui sont tous en mesure de participer positivement, de débattre et, disons-le, parfois de compléter mon savoir, sans aucune forme de prosélytisme. Manifestement, l’affirmation du général de Gaulle, « la République est laïque, la France est chrétienne » n’est plus d’actualité.

Traiter des origines de l’islam et de son expansion m’amène, au delà de l’enseignement propre du fait religieux, à expliquer tout naturellement la fracture entre sunnites et chiites,  à brosser l’histoire des empires omeyades et abbassides, de l’invasion mongole et de la destruction de Bagdad cœur du savoir et de la culture au 12e siècle, de l’Empire ottoman jusqu’au pacte du Quincy entre Roosevelt et Ibn Saoud en février1945, de la naissance d’Israël. Autant de regards sur l’Histoire qui permettent non seulement de mieux comprendre les affrontements actuels ou les dessins de certains chefs d’États, mais aussi de rétablir certaines causalités historiques (Al Andaluz, conquête d’Alger comptoir turc, protectorat français sur le Maroc et anglais sur l’Égypte, génocide arménien, déclaration Balfour, etc.).

Ce survol permet aussi de revenir sur l’apport des philosophes arabes comme Averroès et de son influence sur la philosophie médiéviste ou de rappeler que le cours de l’Histoire aurait été changé si le mutazilisme avait survécu au calife Al Mamoun en 827 avant que plus tard les intégristes radicaux, les hanbalites, ne l’emportent.

Au bilan, au fil du module, chacun comprend mieux combien il est important de rentrer dans l’histoire et la culture de l’autre tout en constatant les carences et les manques qu’il peut observer quant à la connaissance de son propre patrimoine culturel, combien des pans entiers lui échappent. J’avoue que je ne boude pas mon plaisir quand les questions fusent et que les réponses se font entre ingénieurs. Et tant pis si parfois elles empruntent des raccourcis. Elles ont au moins suscité le dialogue parce qu’on est entré dans la culture religieuse de l’autre.

Certes, je reconnais que j’ai affaire à un public sélectionné, professionnellement ambitieux et conscient que cette année supplémentaire d’études doit créer de la valeur ajouté sur le marché du travail. Ce qui se confirme année après année.

Je reste persuadé qu’avec un peu d’imagination  la volonté d’avancer dans l’enseignement des faits religieux est une nécessité dès l’école primaire. Je reste persuadé qu’il faut ensuite poursuivre au collège et au lycée dans le cadre d’un parcours progressif qui pourrait s’achever en terminale dans le cours de philosophie. Mais je reste aussi persuadé qu’il reste sans doute à surmonter  le refus des tenants d’une laïcité mal comprise et à élaborer un contenu pédagogique qu’il faudra sans doute faire acquérir du début à la fin par des enseignants parfois peu enclins à s’enrichir.

Je terminerai par une anecdote montrant le chemin qui reste à parcourir. Il y a plusieurs mois, j’ai suivi un séminaire sur la philosophie arabe du Moyen Âge, dispensé par un brillant professeur de la Sorbonne qui fait autorité dans son domaine, Jean Baptiste Brenet. Il nous avait confié l’impossibilité de trouver un financement public pour éditer avec d’autres chercheurs une anthologie de la philosophie arabe. Seul un pays du Moyen-Orient s’était dit prêt à mettre la somme nécessaire, sous réserve d’avoir un droit de regard. Ayant refusé, cette somme n’est toujours pas en cours d’édition Pourra-t-il participer à la formation des imams français souhaités par l’État ou au nom de la laïcité sera-t-il tenu à l’écart ? Attendons cette fameuse loi  « visant à renforcer la laïcité et à conforter les principes républicains » (alias loi contre  le séparatisme) pour savoir si on en reste au niveau des incantations ou si le pragmatisme l’emportera.

 

Henri PONCET
Officier général (2s)

Source : www.asafrance.fr