GEOPOLITIQUE : Taïwan, cette ligne de faille entre la Chine et l’Amérique

Posté le mercredi 09 septembre 2020
GEOPOLITIQUE : Taïwan, cette ligne de faille entre la Chine et l’Amérique

Face aux menaces de Xi Jinping, Washington a réassuré Taipei. Des experts américains poussent leur pays à s’engager à défendre militairement l’île pour dissuader une invasion…

La silhouette grise du destroyer USS Halsey a croisé dans le détroit de Taïwan, le 30 août dernier, comme une vigie américaine, narguant les côtes voisines du Fujian chinois. Pour la seconde fois en quinze jours, un navire de l’US Navy a cinglé dans ces eaux stratégiques, pour réaffirmer le soutien américain à l’île rebelle de Taïwan, alors que le spectre d’une invasion par la Chine du président Xi Jinping grandit. Washington a franchi un pas supplémentaire le lendemain en dévoilant au grand jour un secret de polichinelle diplomatique. L’Administration de Donald Trump a rendu publics des câbles jusqu’ici secrets datant de l’époque Reagan, et offrant des réassurances à l’ancienne Formose, en matière de vente d’armes et de soutien économique. À l’époque, le président républicain avait discrètement rassuré l’allié taïwanais, échaudé alors par le rapprochement américain avec le géant continental à l’orée d’un décollage économique sous la houlette de Deng Xiaoping.

Quarante ans plus tard, son impérieux successeur, Xi Jinping, est à la tête de la seconde puissance mondiale, et réaffirme sa détermination à achever la « réunification » chinoise, par la force militaire si besoin, faisant de cette île volcanique de 23 millions d’habitants une périlleuse ligne de faille sino-américaine, avec à la clé un possible conflit direct entre Washington et Pékin. « Il y a un risque que Xi veuille pousser la réunification à l’occasion du centenaire du Parti, en 2021. L’Occident doit se préparer à l’éventualité d’une invasion militaire », juge John Pomfret, un ancien correspondant du Washington Post à Pékin auteur de The Beautiful Country and the Middle Kingdom.


Soutien américain réaffirmé à Taipei

La « déclassification » des « six assurances » s’inscrit dans une campagne de soutien américain réaffirmé depuis quelques semaines à Taipei, jugé désormais comme la prochaine cible du Parti communiste, après le passage au forceps d’une loi de sécurité nationale à Hongkong, en juin. Le secrétaire d’État à la Santé américain, Alex Azar, a rendu visite à la présidente Tsai Ing-wen, le 10 août, pour saluer les succès de la jeune démocratie face au Covid, alors que Pékin bloque toute participation à l’OMS de l’île qu’elle considère comme une « province » chinoise. Ce déplacement d’un membre du gouvernement américain dans la capitale taïwanaise, afin d’affirmer symboliquement l’appui à cette jeune démocratie, a déclenché la colère du continent.

Pékin a immédiatement dénoncé les réassurances de Washington, l’accusant de « sévèrement violer » le principe « d’une seule Chine », pierre d’angle des relations entre les deux puissances depuis Richard Nixon, en 1972. « La question de Taïwan met en jeu la souveraineté, l’intégrité territoriale et les intérêts essentiels de la Chine. Personne ne doit sous-estimer notre ferme ­détermination à les sauvegarder », a ­prévenu Hua Chunying, la porte-parole du ministère des ­Affaires étrangères. Washington s’est ­défendu d’avoir rompu ce principe, rappelant qu’il « ne prenait pas ­position sur la question de la souveraineté de Taïwan » par la voix de David Stillwell, le secrétaire d’État adjoint en charge de l’Asie de l’Est et du Pacifique. Mais Washington multiplie les gestes de soutien à Taïwan, annonçant un nouveau « dialogue économique » avec ce bastion des technologies, qui ouvre la porte à un possible accord de ­libre-échange, autre chiffon rouge aux yeux de Pékin. Washington a formellement entériné en août la vente de 66 chasseurs F-16 à ­l’armée de l’air taïwanaise, une première depuis George H Bush, en 1992.


La sécurité de Taiwan reste très précaire

Sur le front militaire, les tensions sont vives en mer et dans les airs, entre les forces chinoises, taïwanaises et américaines. À Pékin, les faucons accusent les pilotes américains de décoller depuis l’île rebelle pour mener des vols de reconnaissance vers le continent poussant même le très nationaliste Global Times à appeler les chasseurs chinois à prendre le contrôle du ciel taïwanais. Un scénario qui placerait les deux premières puissances mondiales au bord du précipice.

La montée en puissance technologique de l’Armée populaire de libération (APL) et le nationalisme décomplexé de Xi Jinping, encore exacerbé par la pandémie, accentuent la fragilité stratégique de l’ancienne Formose. La modernisation des forces chinoises « a érodé ou effacé nombre des avantages militaires dont Taïwan bénéficiait par le passé », note le récent rapport du Pentagone. Taïpei a lancé une modernisation de son appareil militaire, marquée par des manœuvres d’ampleur en juillet pour repousser une éventuelle invasion. Mais, la petite Taïwan ne pourrait repousser les assauts de Pékin que « 24 heures », selon la présidente Tsai, s’offrant seulement un répit crucial pour permettre une réplique internationale. « La sécurité de Taïwan est précaire, sa survie dépend des États-Unis », résume Mathieu Duchatel, directeur Asie à l’Institut Montaigne.


Quelle garantie réelle des Etats-Unis ?

Mais une intervention militaire des États-Unis est loin d’être garantie, faute de traité de défense bilatéral. « Personne ne peut se fier aux assurances de l’Amérique aujourd’hui », juge Pomfret, en regardant Trump et les replis de Barack Obama en Syrie. Une faille sur laquelle mise Pékin, engagé dans une guerre d’usure, calculant que l’opinion américaine ne prendra pas le risque d’un conflit mondial pour défendre Taipei.

À Washington, des voix influentes appellent désormais à rompre cette « ambiguïté stratégique », en s’engageant ouvertement à défendre l’île, pour dissuader Xi. « La meilleure façon de s’assurer que les États-Unis n’auront pas besoin de venir à la rescousse de Taïwan est de signaler à la Chine qu’ils sont prêts à le faire », affirment, dans la revue Foreign Affairs, Richard Haas et David Sacks, experts au Council on Foreign Relations. De quoi déclencher une crise majeure dans le détroit, bien qu’un tel engagement soit compatible avec le principe d’une seule Chine, avancent les auteurs. « Ce qui se passe dans le détroit de Taïwan pourrait décider du futur de l’Asie », préviennent Hass et Sacks, qui pointent qu’un recul de l’Amérique à Taipei signera son déclin dans la région, en sapant sa crédibilité aux yeux des alliés, dont le Japon et la Corée du Sud, ce qui offrirait un boulevard à la Chine autoritaire.

 


Sébastien Falletti
Le Figaro

Rediffusé sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr

Source : www.asafrance.fr