GÉOPOLITIQUE : Israël, l’Iran et le Proche-Orient qui se dessine  

Posté le jeudi 13 mai 2021
GÉOPOLITIQUE : Israël, l’Iran et le Proche-Orient qui se dessine   

« Israël n’est pas un pays, mais une base terroriste contre la nation palestinienne et les autres nations musulmanes. Combattre ce régime despotique, c’est se battre contre l’oppression et le terrorisme, et c’est le devoir de chacun ». Ces propos, rapportés par le quotidien libanais L’Orient le Jour le 8 mai dernier (1), ont été tenus par l’ayatollah Khamenei à l’occasion de la « Journée de Jérusalem », rituellement célébrée en Iran le quatrième vendredi du mois de ramadan. Dans le même élan, Khamenei s’en prenait aux accords d’Abraham (Bahreïn et les Emirats arabes unis reconnaissent Israël), signés à la Maison-Blanche en septembre 2020 sous la houlette du président Trump. Accords qui, poursuit-il, sont un échec, quand « les tentatives de normalisation des relations entre le régime d’occupation (Israël) et quelques gouvernements arabes faibles sont de lâches entreprises (de la part de ceux qui y participent) pour échapper au cauchemar (qu’est pour eux) l’unité des musulmans ».

Tout à son projet de réunir derrière son pays, chiite, une communauté arabe majoritairement sunnite, en menaçant l’Etat hébreu de disparition, Ali Khamenei voit-il le paysage tel qu’il est ?

Bien sûr, l’administration Biden n’est pas celle de Donald Trump. Elle a choisi de rediscuter avec l’Iran du traité sur le nucléaire (JCPoA) signé par Barak Obama en 2015, relevions-nous en février dernier (2). Mais nous notions aussi, avec George Friedman, (Geopolitical Futures, ex-Stratfor), que « ce traité a été signé dans un autre Moyen-Orient ». Aujourd’hui, quand « les États arabes sunnites considèrent l'Iran comme leur menace mortelle (…) la solution au problème iranien est devenue régionale, avec une alliance massive de la Méditerranée au Golfe Persique, comprenant une puissance nucléaire importante, Israël, et d'autres puissances prêtes à défier l'Iran, nucléaire ou non ». Telle est la réalité de la situation, quelles que soient les réserves qu’expriment l’Arabie Séoudite, ou le Maroc, à l’occasion des heurts violents dans la vieille ville de Jérusalem autour l’esplanade des Mosquées (ou du Temple pour Israël), suivis de frappes sur Gaza en réponse aux tirs de roquettes du Hamas (3). Et ce même si les populations restent partout dans le monde arabe très sensibles à la question des Palestiniens – toujours non résolue.

Et si, en Israël, cette flambée de violence à Jérusalem met en porte-à-faux les partis arabes dont l’attitude est devenue essentielle à la formation d’un gouvernement après le quatrième échec de Benjamin Nétanyahou à réunir une majorité de 61 députés à la Knesset. L’opposition à Nétanyahou, dite « bloc du changement » (51 sièges) aurait besoin des dix sièges des partis arabes pour parvenir à former, enfin, un gouvernement, une alternance après 12 ans du pouvoir de l’inamovible premier ministre qui répond en ce moment à la justice pour des affaires de corruption tout en assumant le pouvoir à titre intérimaire. Si tel n’était pas le cas, les Israéliens retourneraient aux urnes pour la cinquième fois en deux ans. Le président Rivlin a chargé le 5 mai dernier une ancienne vedette de la télévision, le journaliste et présentateur Yaïr Lapid, de s’essayer à l’exercice rendu quasi impossible par la proportionnelle intégrale. Aurait-il une position différente par rapport à l’Iran ? Non, répond le Jerusalem Post (4). En 2015 il a dénoncé l’accord voulu par le président Obama (JCPoA) et il a soutenu la politique de Nétanyahou à l’égard de Téhéran. Bien plus, parce qu’il souhaite éviter les confrontations bruyantes avec la nouvelle administration à Washington, « il est également possible que Lapid amène les États-Unis à exiger davantage de l'Iran en acceptant d'offrir des concessions aux Palestiniens - ce que Netanyahu a refusé ».

En effet, confirme dans un excellent papier Renaud Girard pour le Figaro (5), « sur le dossier iranien, il y a unanimité en Israël. Que le futur premier ministre soit le businessman Naftali Bennett, le journaliste Yaïr Lapid, le militaire Benny Gantz ou à nouveau Netanyahou, la politique de «containment» de l’Iran se poursuivra ». 

Et de considérer les acteurs du paysage tel qu’il est aujourd’hui – après 2011 et le début des « printemps arabes » qui ont déstabilisé le grand voisin syrien. Printemps qu’Israël, au contraire de ses partenaires occidentaux, a considérés sans enthousiasme – même si l’ancien président Shimon Peres, favorable à une « paix démocratique » dans les années 1990, se montrait plus optimiste. Pour la presse comme pour les militaires, les expériences négatives de l’Iran lui-même en 1979, puis en Algérie dans les années 1990 ou à Gaza avec la victoire du Hamas en 2006 donnaient à réfléchir. Ils avaient raison. En effet, analyse l’universitaire (Aix-Marseille) Roland Lombardi (6), « après les six années qui nous séparent du début des « printemps arabes », les transitions démocratiques tant espérées n’ont pas eu lieu, sauf peut-être en Tunisie, où l’on a cependant connu une vague d’attentats sanglants. Les « printemps arabes » n’ont été pour l’instant qu’un bref mirage pour des pays comme l’Égypte, la Libye ou la Syrie, sans parler du Yémen ou encore de Bahreïn… Dans ces pays, ce fut plutôt un retour au statu quo (Bahreïn) et à la dictature (Égypte) ou, pire, une chute inexorable dans le chaos (Libye, Syrie, Yémen) ». En Syrie toutefois, l’intervention des Russes depuis 2015 a changé la donne. « Les Israéliens » - 20% de la population est d’origine russe, « sans le dire, voient assurément les Russes comme des alliés potentiels ».

Ce que remarque Renaud Girard : « L’État hébreu ne voit aucun inconvénient à la présence militaire russe, navale et aérienne, en Syrie. Mais il n’est pas question pour lui d’accepter à ses frontières une présence iranienne ». Qu’est-ce qu’Israël veut de Moscou ? « La stratégie israélienne est d’obtenir le soutien des Russes pour mettre dehors les Iraniens de Syrie, tout en laissant Bachar el-Assad sur son trône. Presque tous les soirs, les chasseurs-bombardiers israéliens font des raids au-dessus du territoire syrien, pour y détruire des cibles iraniennes ». Parfaitement coordonnés avec les forces russes présentes en Syrie, ils ont jusqu’ici évité tout accident les concernant. Ce dont les Israéliens ne veulent pas ? Nous l’avions évoqué ici (7) : que les Iraniens se rapprochent du Golan, qui surplombe le pays au nord (voir la carte). Les deux présidents russe (Poutine) et américain (Trump) avaient conclu en 2017, - sans Israël – un accord signé à Aman, en Jordanie, avec pour but de « réduire, puis d’éliminer les forces étrangères et les combattants étrangers de la région », en particulier en face du Golan où des postes de commandement iranien et du Hezbollah libanais étaient apparus. Et encore ? « Stratégiquement, Israël cherche à couper la voie de l’approvisionnement du Hezbollah en matériel militaire, qui passe par la Syrie. La milice chiite libanaise, depuis ses fiefs au sud du fleuve Litani, ne se contente plus de menacer les kibboutzim de Galilée ou le port de Haïfa. Elle a enfoui des missiles de moyenne portée, livrés par l’Iran, capables d’atteindre Tel-Aviv ou Jérusalem ».

Pour les Russes, leur position leur suffit – le port de Tartous, la base de Hmeymim en pays alaouite près de Lattaquié, pour tenir en respect la Turquie d’Erdogan – avec laquelle leur relation, qui a toujours été méfiante, a fraîchi. Vladimir Poutine met ses pas dans ceux Catherine II (1729-1796) pour laquelle il avoue une grande admiration. L’impératrice avait chassé l’empire ottoman de mer Noire et aurait bien poussé son avantage sans la résistance de Vergennes, grand ministre des Affaires étrangères de Louis XVI. La France, alliée aux Ottomans depuis François 1er et n’a pas cédé aux sirènes de l’impératrice qui proposait même aux Français – les correspondances l’attestent, de s’emparer de l’Egypte… De plus, ajoute Renaud Girard, « même s’ils ne l’avoueront pas publiquement, cette stratégie israélienne convient parfaitement aux Américains et aux Français. Eux aussi ont compris que Bachar n’allait pas de sitôt être délogé et que la reconstruction en Syrie allait être financée par deux de leurs alliés au Moyen-Orient, les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite (qui s’apprête à renouer diplomatiquement avec Damas). Eux aussi aspirent à ce que l’axe chiite Téhéran-Beyrouth soit fermé, afin que le Hezbollah perde de sa virulence et accepte enfin la constitution d’un gouvernement technocratique et réformateur au Liban ». Liban, où on le sait le président Macron est très engagé. Syrie en ruine, où la reconstruction est impérative (8).

S’il est réaliste et s’il peut contenir ses quelques milliers de Pasdarans fanatiques, Ali Khamenei a plus d’intérêt à se tourner vers son économie, comme le souhaite sa jeunesse. Vers la Chine, avec laquelle il vient de passer alliance, le 27 mars dernier (9). Pékin a besoin de son pétrole, de routes et d’escales pour ses Routes de la Soie – pas de déstabiliser Israël. Il reste à l’Etat hébreu à se décider à trouver une solution équitable avec les Palestiniens – la paix est à ce prix « Comme le montrent les incidents du 8-10 mai 2021 dans la Vieille Ville de Jérusalem, le statu quo n’est pas tenable », conclut Renaud Girard. Non, et chacun le sait. Propos de campagne ? Yaïr Lapid ne considère pas le dossier comme prioritaire. Mais il a pris d’autres positions autrefois (9), en critiquant « l’immobilisme » de Benjamin Nétanyahou et en insistant sur la nécessité de revenir à la table des négociations. On l’espère, s’il parvient au pouvoir dans ce nouveau paysage régional, lucide et courageux.

Hélène NOUAILLE
La lettre de Leosthène

 Carte :

 Israël et les hauteurs du Golan
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Notes :

(1) L’Orient le Jour, le 8 mai 2021, Pour Khamenei, Israël est « une base terroriste » à « combattre »
https://www.lorientlejour.com/article/1261002/pour-khamenei-israel-est-une-base-terroriste-a-combattre-.html

 (2) Voir Léosthène n° 1540/2021, le 27 février 2021, Que cherche Joe Biden au Moyen-Orient ?
Que veut donc Joe Biden ? Les premiers mouvements annoncés par le président américain au Moyen-Orient laissent perplexe. Yémen, Iran, Arabie Séoudite, Israël, où va-t-il ? Le sujet intrigue aussi bien Le Monde que le fondateur de Stratfor, George Friedman. A l’examen, il semble que les Américains restent en réalité prudents et pragmatiques – même si l’on ne connaît pas bien le poids des factions qui s’affrontent autour du président. Le risque ? Pour George Friedman, il tient à ce que « toutes les nouvelles administrations veulent imprimer leur marque » et qu’alors les Américains pourraient s’engager dans « une implication militaire à grande échelle au Moyen-Orient ». Il pense cependant pour l’heure que les premiers mouvements de Joe Biden au Moyen-Orient sont de simples gestes, « pas des actions ». A suivre.

(3) France 24, le 11 mai 2021, Barrage de roquettes du Hamas, frappes meurtrières d'Israël, les violences se poursuivent (avec vidéos)
https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20210511-barrage-de-roquettes-du-hamas-frappes-meurtri%C3%A8res-d-isra%C3%ABl-les-violences-se-poursuivent

(4) The Jerusalem Post, le 22 mars 2021, Yonah Jeremy Bob, How would a new PM impact the way Israel confronts Iran ?
https://www.jpost.com/israel-elections/how-would-different-pm-possibilities-impact-iran-issue-analysis-662828

(5) Le Figaro, le 10 mai 2021, Renaud Girard : « La nouvelle stratégie israélienne au Levant »
https://www.lefigaro.fr/vox/monde/renaud-girard-la-nouvelle-strategie-israelienne-au-levant-20210510

(6) Erudit, 2016, Roland Lombardi, Israël et la nouvelle donne géopolitique au Moyen
https://www.erudit.org/fr/revues/ei/2016-v47-n2-3-ei03031/1039539ar/

(7) Voir Léosthène n° 1245/2017, le 15 novembre 2017, Trump Poutine : accord sur le Golan, sans Israël
L’évolution de la situation en Syrie a donné lieu à une déclaration conjointe de Donald Trump et Vladimir Poutine en marge de la réunion de l’APEC (Coopération économique pour l’Asie Pacifique) le 10 novembre dernier à Danang, au Vietnam. « Ils ont passé en revue les progrès du cessez-le-feu dans le sud-ouest de la Syrie » - entendez les hauteurs du Golan – « tel qu’il avait été finalisé lors de leur dernière rencontre à Hambourg, Allemagne, le 7 juillet 2017 ». L’affaire est d’importance, parce que le plateau du Golan surplombe Israël, qui l’a conquis lors de la guerre des Six jours en 1967 puis annexé en 1981. Israël est un très petit territoire (une fois et demie l’Ile de France). Ses forces de défense n’ont donc aucune profondeur pour reculer en cas d’attaque. Il leur faut en conséquence combattre hors de leurs frontières, ce que le pays a compris dès 1967 (Guerre des Six jours) en occupant le Sinaï égyptien au sud (restitué depuis), la rive ouest avec la bande de Gaza (évacuée en 2005 par Ariel Sharon) et en prenant le contrôle des hauteurs du Golan au nord. L’accord entre Trump et Poutine entérine un mémorandum conclu à Aman, Jordanie, le 8 novembre 2017 entre le souverain hachémite du royaume de Jordanie, la Fédération de Russie et les Etats-Unis d’Amérique. « Une zone profonde de 20 km dans la région de Quneitra sur le Golan (face à la frontière israélienne) syrien servira de « zone de désescalade (…). Cette zone sera surveillée par les troupes russes avec certaines forces syriennes encore disponibles à cet usage » écrit Debka. Une seconde zone fait face à la frontière jordanienne, dans la région de Deraa. On peut discuter de l’arrangement : l’étonnant est l’absence d’Israël dans ces négociations.

(8) voir Léosthène n° 1549/2021, le 31 mars 2021, Syrie : un regard sur des ruines
« Dix ans plus tard, la Syrie est presque détruite. Qui est à blâmer ? ». Pour l’ensemble des médias occidentaux, aucun doute, le président syrien Bachar el Assad. Les papiers à charge fleurissent, partout, à l’occasion du dixième anniversaire du désastre. Qu’est-ce qui nous intéresse ici ? Un éclairage différent, celui de l’ancien ambassadeur indien M.K. Bhadrakumar. Pertes humaines, déplacements de populations, pauvreté, famine. Pour l’ancien diplomate, modéré par nature et par profession, oui, « le conflit syrien a été l'un des conflits les plus tragiques et les plus destructeurs de notre temps ». Et de ce pays, qui était avec l’Irak et l’Egypte « le cœur, l’âme et l’esprit de l’arabisme ». Aux origines de ce désastre ? Il ne faut pas remonter bien loin dans le temps : dès la fin de la seconde guerre mondiale. Il fallait pour les Etats-Unis combattre les visées sur le Moyen-Orient de l’ancien allié communiste, Staline (1878-mars 1953) – et défendre le pétrole. Un coup d’œil sur l’histoire.

(9) Challenges, le 10 mai 2021, La Chine s’ouvre la voie du Moyen-Orient
https://www.challenges.fr/monde/la-chine-s-ouvre-la-voie-du-moyen-orient_764082

(10) Le Monde, le 25 janvier 2013, Gilles Paris, La Palestine de Yaïr Lapid (accès libre)
https://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2013/01/25/la-palestine-de-yair-lapid_5994047_3218.html

 

Rediffusé sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr
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Source : asafrance.fr