GEOPOLITIQUE : « Le drame de l’échec démocratique africain »

Posté le vendredi 04 février 2022
GEOPOLITIQUE : « Le drame de l’échec démocratique africain »


Tout se passe comme si, plus de soixante ans après les indépendances, les pays d’Afrique noire n’avaient toujours pas réussi à stabiliser leurs institutions.

Les coups d’État militaires se multiplient en Afrique francophone. Le dernier en date est celui du Burkina Faso où, le 24 janvier 2022, le lieutenant-colonel Damiba a pris le pouvoir, plaçant en résidence surveillée le président Kaboré.

Il y en a eu un en Guinée Conakry au mois de septembre 2021, et deux au Mali, en août 2020 et mai 2021. Ces coups d’État militaires se font toujours bien sûr au nom du peuple. Car ils renversent un gouvernement civil jugé faible, indécis, incapable de protéger les honnêtes citoyens.

Multipartisme et divisions tribales


Au Burkina Faso, les militaires reprochaient au président Kaboré son manque de fermeté dans le combat contre les djihadistes qui viennent régulièrement massacrer les villageois du nord du pays. Dans ce pays enclavé de vingt millions d’habitants, la violence islamiste a provoqué plus de 1 million et demi de déplacés. En novembre dernier, 50 gendarmes, encerclés, privés de ravitaillement pendant deux semaines, avaient fini par être massacrés par les djihadistes.

Au Mali, on avait reproché au président Ibrahim Boubacar Keïta, dit «IBK», son incapacité à pacifier le nord de ce vaste pays à moitié désertique, où les Touaregs ne supportent pas l’idée d’être administrés par les descendants de leurs anciens esclaves. En Guinée Conakry, les militaires expliquent qu’ils ont simplement réalisé un contrecoup d’État contre le président Alpha Condé, qui voulait faire un troisième mandat, alors que la Constitution l’interdisait.

L’échec de la démocratie n’est pas propre aux États des anciennes AOF et AEF (Afriques occidentale et équatoriale françaises). La démocratie éthiopienne a duré moins de dix ans, conduisant à une terrible guerre civile, dont on ne voit toujours pas la fin. Tout se passe comme si, plus de soixante ans après les indépendances, les pays d’Afrique noire n’avaient toujours pas réussi à stabiliser leurs institutions.

Dans la courte histoire postcoloniale de l’Afrique, il y a eu quatre phases. D’abord l’enthousiasme des indépendances, avec de grandes figures et un rêve de démocratie. Au Sénégal, avec la haute figure de Léopold Sédar Senghor, la greffe démocratique a pris. Mais partout ailleurs, elle a échoué. Certaines grandes figures furent éphémères, comme Patrice Lumumba au Congo belge, dont le gouvernement n’a pas duré deux mois.

La seconde phase est celle des coups d’État et des régimes militaires. Dans sa sphère d’influence, la France laissait faire et se montrait même parfois très compréhensive. Les pays africains qui avaient opté pour la voie socialiste étaient tout aussi militarisés que les régimes restés proches de Paris, mais beaucoup plus pauvres.

Puis, avec la mort du communisme, est venu le discours de La Baule de juin 1990, où le président Mitterrand a prôné la démocratie en Afrique et a même conditionné l’aide française à son établissement. Cette troisième phase fut celle de la floraison du multipartisme. On a même vu un dictateur comme Sassou-Nguesso au Congo-Brazzaville s’effacer pour un temps après avoir été battu aux élections.

Mais partout le multipartisme a échoué car il a ravivé les divisions tribales. On en est venu à regretter les despotes « éclairés ». Les électeurs votèrent pour leur clan, pas pour un programme politique. Le libre suffrage fut instrumentalisé pour assurer la domination d’une ethnie sur une autre. Cette courte phase démocratique a échoué car si l’on a eu quelques exemples de suffrages réellement libres, nulle part on a vu l’édification d’un État de droit capable de protéger les libertés civiles et les droits des minorités. Quand il n’y a pas d’État de droit, la seule manière de se faire entendre est le fusil.

La quatrième phase fut donc celle des guerres civiles comme celles du Rwanda en 1990, du Congo-Brazzaville en 1997, de la Côte d’Ivoire en 2002, du Mali en 2012, pour ne prendre des exemples que dans la sphère francophone.

Le rejet de la greffe démocratique - ou simplement étatique - en Afrique n’est pas une bonne nouvelle pour Paris. La France a des relations affectives avec ses anciennes colonies. Elle y a financé une importante coopération, qui s’est souvent perdue dans les sables, faute d’institutions intègres. Elle n’est hélas pas parvenue à relever la gageure de la construction, dans ses anciennes colonies, d’un État de droit, avec une administration et une armée qui servent la population, au lieu de se servir sur elle. Les réseaux sociaux, dont l’audience croît exponentiellement, permettent toutes les manipulations, notamment contre la présence militaire française.

Au Mali, elle tourne à vide, n’ayant jamais trouvé d’État solide sur lequel s’adosser. Lequel s’est mis dans les mains de mercenaires russes, et ne supporte plus qu’on le critique - d’où l’expulsion de l’ambassadeur de France le 31 janvier. Comme l’avait très bien dit Obama, l’Afrique a besoin d’institutions fortes, pas d’hommes forts.



Renaud GIRARD

Figaro Vox
31/01/2022


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Source : www.asafrance.fr