GEOPOLITIQUE : Le Mali engage un dangereux bras de fer avec l’Afrique de l’Ouest

Posté le mardi 11 janvier 2022
GEOPOLITIQUE : Le Mali engage un dangereux bras de fer avec l’Afrique de l’Ouest

Après des mois d’une certaine patience, les présidents ouest-africains ont opté pour le rapport de force avec les militaires au pouvoir au Mali. Réunis dimanche à Accra, les dirigeants des pays de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao, qui regroupe 15 membres, mais le Mali et la Guinée sont actuellement suspendus), l’organisation régionale, ont décidé de sanctions lourdes contre la junte, une façon de la contraindre à revenir à la légalité constitutionnelle et à organiser au plus vite une élection.

Face à la demande d’un délai de cinq années supplémentaires quand la Cédéao réclamait le respect de l’engagement initial prévoyant un scrutin le 27 février prochain, ses dirigeants ont décidé de fermer leurs frontières terrestres et aériennes avec le Mali, un des pays de la sous-région, et de suspendre les échanges commerciaux. Les marchandises de première nécessité, les médicaments, les produits pétroliers et l’électricité sont toutefois exclus de ce blocus. Les États ont également ordonné le gel des avoirs du Mali à la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), un organisme qui gère la monnaie unique, le franc CFA. Plus symboliquement, les membres vont enfin rappeler leurs ambassadeurs auprès du gouvernement malien, qualifié « d’illégitime ».

L’issue de ce sommet extraordinaire, le huitième consacré au Mali, signe de l’inquiétude et de l’agacement que suscitent les autorités maliennes, est sans grande surprise. Déjà le 12 décembre, la Cédéao avait pris un train de mesures, bloquant les avoirs et les voyages de la quasi-totalité des autorités de transition. « La demande de cinq années de plus, soit la durée d’un mandat, a été une énorme erreur. Cela se voulait sans doute une posture de négociation. Mais les présidents y ont vu une provocation, voire une moquerie », détaille un diplomate en poste à Bamako. Le léger rétropédalage à quelques heures du sommet, quand le président Assimi Goïta a fait proposer quatre ans, n’a pas suffi. Les États de la région jusque-là enclins à une certaine mansuétude, notamment la Côte d’Ivoire et le Sénégal dont les ports sont les principaux débouchés du Mali enclavé, ont été eux aussi sévères. « Il n’y a pas eu de discussions durant le huis clos. Les militaires ont choisi le bras de fer », affirme un diplomate ouest-africain qui souligne le risque de « contagion à d’autres pays ». Après le Mali en août 2020, la Guinée a en effet connu un coup d’État en septembre dernier.

Pour le Mali, le coup est très dur. Les blocages à la BCEAO vont engendrer une crise des liquidités alors que le Mali, selon certaines sources, ne dispose que de deux mois d’avance pour la paie des fonctionnaires. Le gouvernement ne pourra pas non plus se financer sur les marchés alors que le budget est structurellement déficitaire. Le blocus aura aussi un impact sur les Maliens, déjà appauvris par la crise. En août 2020, une mesure similaire avait vite entraîné une hausse des prix. « La situation va rapidement devenir intenable. Il n’y a pas vraiment d’autre choix, si on reste logique, que le retour à la table des négociations », estime un diplomate.

Pourtant, les militaires maliens semblent avoir choisi, au contraire, de durcir le ton. Bamako a annoncé qu’il rappelait à son tour ses ambassadeurs et fermait ses frontières. Dans un communiqué, le gouvernement a regretté que les organisations sous-régionales se fassent instrumentaliser par des puissances extra-régionales aux desseins inavoués ». Une attaque à peine voilée contre l’Europe en général, et la France en particulier.

Plusieurs personnalités s’attendaient d’ailleurs à ce que Bamako connaisse vite une flambée des contestations anti-françaises pour détourner l’attention. Air France a d’ores et déjà annoncé la suspension de ses vols. Paris garde pour l’instant le silence. « Le gouvernement malien est dans une logique de fuite en avant depuis six mois. Maintenant, il va lui falloir sortir du bois et du double jeu qu’il jouait », analyse simplement un diplomate français.

Le déploiement militaire Barkhane n’est directement affecté ni par les sanctions ni par la situation. Mais, note la même source, « cela ne peut pas continuer si nous n’avons pas un cadre politique où l’on se retrouve ». Reste que la France n’agira pas sans ses partenaires, singulièrement l’Union européenne. Les ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne doivent se retrouver le 24 janvier à Bruxelles. À cette occasion, ils examineront à leur tour le cas malien. Si, d’ici là, la junte n’a pas lâché un peu de lest, des sanctions pourraient être prises ouvrant la perspective d’un dangereux engrenage dont les djihadistes seront les seuls vainqueurs.

Tanguy BERTHEMET
Le Figaro
11 janvier 2022

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Source : www.asafrance.fr