GÉOPOLITIQUE : Tensions au Liban, comme un symbole. LIBRE OPINION  d'Hélène NOUAILLE.

Posté le mardi 08 mai 2018
GÉOPOLITIQUE : Tensions au Liban, comme un symbole. LIBRE OPINION  d'Hélène NOUAILLE.

Le Liban, entre Orient et Occident : six millions d’habitants, un million de réfugiés syriens, palestiniens, quelques familles féodales qui tiennent en réalité un pouvoir réparti sur une base à la fois territoriale et confessionnelle dans un régime parlementaire sous le couvert d’un « Pacte national » non écrit. Une histoire, disons originale, depuis 1920 - mandat français en main à la suite de l’accord Sykes-Picot (1916), la France détache un Grand Liban à majorité maronite (chrétienne) de la Syrie. L’objectif ? Faire vivre ensemble et en paix dans la solidarité des communautés arabophones chrétiennes et musulmanes. Ensuite ? Une indépendance en 1941, effective en juin 1946 avec le départ des dernières troupes françaises. Et de multiples cahots. La raison ? « L'ordre précaire instauré par les Français est remis en cause par les mutations démographiques qui vont atteindre le petit Liban : arrivée d'une importante immigration palestinienne, musulmane à 80%, et déclin démographique des chrétiens » (1).

Comprendre le résultat des élections législatives du week-end des 5 et 6 mai derniers – les premières depuis juin 2009 – tient à cette histoire, démographie et caractéristiques identitaires aidant. « Pour les Libanais comme pour les autres habitants du Moyen-Orient, l'appartenance religieuse est moins une affaire de croyance qu'une affaire d'identité : chacun se rattache à une communauté caractérisée par son endogamie (on se marie à l'intérieur du groupe), ses rituels et ses coutumes mais aussi ses règles de droit (héritage, mariage, divorce...) et ses tribunaux ». Or que voyons-nous ? « En ce début du XXI e  siècle, les communautés les plus importantes seraient, dans l'ordre, les musulmans chiites (plus de 30%), les musulmans sunnites (21%), les chrétiens maronites (25%), les Druzes (6%), les grecs-orthodoxes, les grecs-catholiques etc. Les chiites tendent à devenir le groupe prédominant. Les chrétiens sont en voie de  marginalisation comme dans tout le reste du Moyen-Orient ».

On votait donc le week-end dernier après avoir péniblement ajusté la loi électorale - le Parlement amené à prolonger par trois fois son mandat depuis 2009. Le parti du Premier ministre (fonction qui revient de droit à un musulman sunnite, la présidence réservée à un chrétien), Saad Hariri, perd un tiers de ses sièges au Parlement (21 contre 33 précédemment). Et le parti rival chiite du Hezbollah aurait remporté la bataille : « La vieille alliance dite du « 8 mars » formée autour du mouvement chiite et du Courant patriotique libre (CPL) du président Michel Aoun (droite chrétienne) est créditée de la majorité des 128 sièges du Parlement » (2). Ajoutons que le scrutin n’a pas passionné les foules – participation de 49% des inscrits contre 54% en 2009 - et que Saad Hariri devrait conserver son poste, qui revient donc à un sunnite.

On ne s’étonnera pas de la vivacité des réactions dans la région où chiites et sunnites s’affrontent plus largement, les seconds soutenus par l’Occident contre l’influence de l’Iran chiite et de son allié syrien, influence dénoncée aussi, bien sûr, par l’Arabie Séoudite et Israël. Tension accrue par la position américaine – Donald Trump devant s’exprimer ce soir 8 mai – et non plus le 12 mai comme annoncé - sur le maintien ou non de l’accord signé en 2015 sur le nucléaire iranien.
Pour Ali Akbar Velayati, conseiller pour les affaires internationales auprès de l'ayatollah Ali Khamenei, guide suprême de la République islamique d’Iran, « cette victoire (du Hezbollah) complète les succès militaires. Le peuple libanais et ses représentants, à savoir le Hezbollah et les autres groupes de la résistance, l'ont emporté dans la lutte face à Israël et à ses alliés, notamment les Etats-Unis ». Comme ce résultat consacre également la « victoire (...) de l'aide déterminante à la Syrie face aux terroristes ».
En Israël, si le ministre de l’éducation et membre du parti Le Foyer juif (ultra droite) menace (« L'Etat d'Israël ne fera pas de différence entre l'Etat souverain du Liban et le Hezbollah et considérera le Liban comme responsable de toute action en provenance de son territoire »), le Jerusalem Post tempère : « La réalité est que le Hezbollah n’a vraisemblablement gagné qu’un siège. Il en détient 11 dans le Parlement sortant et en aura sans doute 12 ou 13 après le vote. Les alliés chiites du mouvement Amal devraient rester à l’étale. Le vrai gagnant est le Courant patriotique libre (chrétien) de Michel Aoun. Ensemble, cette alliance pourrait dépasser 60 sièges sur les 128 du Parlement. Ce qui serait une victoire majeure. Une victoire pour le Hezbollah, mais loin de l’histoire d’un Hezbollah qui aurait « balayé le paysage électoral », histoire que certains avancent. Le Hezbollah est seulement plus fort après les élections quand ses alliés sont plus forts. La question est de savoir si ces alliés accepteront les demandes du Hezbollah » (3). Précisons que les résultats définitifs sont à paraître.

Pour autant, les aléas de la vie politique libanaise restent-ils cantonnés au Liban et à son voisinage ?  

Pour le rédacteur en chef du grand quotidien libanais l’Orient-le-Jour, il n’en est rien. Parce que, dit-il, le Hezbollah a un rôle actif partout. Dans un éditorial au vitriol, Michel Touma prend pour exemple la récente protestation du Maroc (4) contre l’aide apportée par le Hezbollah au Polisario au Sahara occidental pour dénoncer son « implication dans les tensions régionales » (5). Certes, le « Hezbollah a démenti ces accusation », écrit-il. « Celles-ci ne sont cependant pas surprenantes, à en juger par les nombreux précédents du parti chiite en la matière : sa participation à la guerre en Syrie, son aide aux houthis du Yémen et à l’opposition au Bahreïn, l’implantation de cellules subversives démantelées ces dernières années en Égypte – du temps de Hosni Moubarak –, en Bulgarie, à Chypre, au Koweït, aux Émirats arabes unis, et maintenant au Sahara occidental. Autant d’exemples qui démontrent que pour le Hezbollah, son champ d’action s’étend à l’ensemble du Moyen-Orient et même au-delà, le Liban ne représentant qu’un simple tremplin à cet égard ». Un jeu qui empêche, pour Michel Touma, le Liban tout entier de se développer dans le calme. « Les Libanais ne sauraient oublier qui se tient derrière la longue série d’actions déstabilisatrices qu’a connue le pays depuis la révolution du Cèdre : la cascade d’assassinats politiques ; le climat de menace qui a contraint les députés du 14 Mars à se cloîtrer pendant plusieurs mois à l’hôtel Phoenicia ; la longue occupation du centre-ville ; le siège du Grand Sérail ; la guerre de juillet 2006 initiée par le Hezbollah ; la bataille de Nahr el-Bared ; l’agression du 7 mai 2008 à Beyrouth ; le torpillage du cabinet Hariri en janvier 2011 (en dépit de l’accord de Doha) ; le blocage de l’élection présidentielle et la fermeture du Parlement pendant deux ans et demi, etc. ». Un climat qui n’est pas propice aux affaires.

Le pays du Cèdre ne va en effet pas bien : malgré l’aide de la diaspora libanaise (14 millions qui vivent à l’étranger), la dette de 150% du PIB (principalement détenue par des Libanais), la corruption, la conjoncture, font peser sur le pays la menace d’une banqueroute. Une nouvelle conférence internationale, baptisée CEDRE, (Conférence économique pour le développement par les réformes et avec les entreprises) a été organisée début avril à Paris (6). L’exercice, qui n’est pas le premier, suivi par une quarantaine d’Etats, devrait permettre de financer cette fois directement les infrastructures défaillantes : eau, télécoms, transports – sous les avertissements de la société civile et ses mouvements citoyens. Ainsi Halla Beijani, du mouvement Kulluma Irada : « Le Liban va très mal, pas seulement à cause de la crise syrienne, comme le prétendent les autorités, mais en raison de leur propre incurie (…). Ce n’est pas d’un contrat de confiance entre les bailleurs et l’Etat, dont nous avons besoin mais d’un contrat de confiance entre l’Etat et les citoyens ». Malgré cette aide à Saad Hariri, très opportune, disent certains, quelques jours avant les élections, le verdict des urnes n’augure pas d’une ère nouvelle, les rares candidats de ces mouvements citoyens n’ayant pas obtenu les résultats espérés. Le vœu formulé si vigoureusement par Michel Touma dans l’Orient-le-Jour ne paraît pas sur le point d’être exaucé : « voter de manière à empêcher le Hezbollah et ses alliés d’obtenir un trop grand bloc parlementaire, le but étant de contrer les effets des aventures guerrières du parti chiite et, surtout, de juguler la politique d’obstruction qu’il pratique au niveau de l’édification d’un État central souverain, capable de mettre en place une politique de réformes, d’assainissement et de développement économique ». 

Reste une question qui n’est pas tranchée dans le contexte des opinions très partisanes du moment : le Liban est-il aux mains d’influences étrangères ou joue-t-il lui même le rôle d’un boute feu ?
Les Russes vous diront que le Hezbollah a aidé à la victoire du gouvernement syrien contre l’Etat islamique – ce qui est vrai, et empêché pour une part la désagrégation de l’Etat syrien. Les Américains et leurs alliés qu’il est un mouvement terroriste – ce que soutient Israël. Notons simplement que les électeurs lui ont donné, à lui et ses alliés, la préférence, sans, selon les augures, que cela change toutefois fondamentalement la donne. Le rêve français de 1920 – permettre de faire vivre ensemble en paix et solidaires des communautés arabophones de confessions différentes (17 étaient recensées à l’époque) est en continuel péril. Les maronites ne sont plus majoritaires depuis 1975 et l’afflux de réfugiés palestiniens, la communauté musulmane s’est divisée, et si le Liban reflète ce seuil, ce passage entre l’Orient et l’Occident, c’est précisément dans toute sa dimension violente, ses tensions et ses difficultés augmentées de la déchirure du monde musulman.  

Mais après tout le Liban est-il si fragile ? Ou faut-il regarder plutôt son extraordinaire vitalité malgré les périls ? Chacun décidera.

 

Hélène NOUAILLE
helene.nouaille@free.fr

 

Notes :

 (1) Hérodote, le 27 avril 2016, Joseph Savès, Le 28 avril 1920, Mandat français au Liban et en Syrie
https://www.herodote.net/28_avril_1920-evenement-19200428.php

 (2) Le Monde, le 7 mai 2018, Benjamin Barthe, Au Liban, le camp pro-Hezbollah sort renforcé des élections législatives

http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2018/05/07/au-liban-le-camp-pro-hezbollah-sort-renforce-des-elections-legislatives_5295506_3218.html

 (3) The Jerusalem Post, le 8 mai 2018, Seth J. Frantzman, Five things you need to know about Lenanon’s electoral outcome
https://www.jpost.com/Middle-East/Five-things-you-need-to-know-about-Lebanons-electoral-outcome-554762

 (4) Le 360.MA, le 2 mai 2018, M’Hamed Hamrouch, Comment le Hezbollah prépare le Polisario à « la guerre des tunnels » contre le Maroc
http://fr.le360.ma/politique/comment-le-hezbollah-prepare-le-polisario-a-la-guerre-des-tunnels-contre-le-maroc-164571

 (5) L’Orient-le-Jour, le 4 mai 2018, Michel Touma, Une nécessaire clairvoyancehttps://www.lorientlejour.com/article/1113652/une-necessaire-clairvoyance.html 

(6) Le Monde, le 6 avril 2018, Benjamin Barthe, La communauté internationale au chevet du Liban

http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2018/04/06/la-communaute-internationale-au-chevet-du-liban_5281636_3218.html 

 

Rediffusé sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr 

 

 

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