GILETS JAUNES : Et notre armée dans tout cela ? LIBRE OPINION du général(2s) Gilbert ROBINET.

Posté le vendredi 11 janvier 2019
GILETS JAUNES : Et notre armée dans tout cela ? LIBRE OPINION du général(2s) Gilbert ROBINET.

Depuis plusieurs semaines qui deviendront peut-être plusieurs mois tant le processus menace de durer, notre pays connait des convulsions qui se traduisent par des troubles et des atteintes graves à l’ordre public.

A l’origine de ceux-ci, un mouvement des gilets jaunes dénonçant à juste titre, mais pêle-mêle, les conséquences d’un phénomène qui, depuis 40 ans, petit à petit, a vu se séparer deux France qui aujourd’hui s'ignorent et se font face : la France des métropoles, où résident les classes  sociales supérieures, (mais aussi les immigrés et les SDF), et la France périphérique[1] des banlieues, des villes moyennes et petites et des zones rurales éloignées des bassins d'emplois qui concentre 60 % de la population française.

Dans cette deuxième France, les services publics ont trop souvent disparu : les bureaux de  poste, les finances publiques, les tribunaux, les hôpitaux, les gares, les brigades de Gendarmerie, les casernes ont fermé leurs portes. La dépendance de leurs habitants à leur voiture a ainsi été accusée ; celle-ci est devenue nécessaire non seulement pour aller travailler, mais aussi pour effectuer la moindre démarche administrative ou encore pour aller chez le médecin, car, souvent, ces territoires sont aussi devenus des déserts médicaux et, plus récemment encore, pour trouver un distributeur automatique de billets.

Pour tenter de mettre fin à cette jacquerie, et après près d’un mois de tergiversations, le président de la République a décidé de mesures d’ordre essentiellement économique se traduisant par une dépense supplémentaire d’au moins 10 milliards d’euros pour le budget de l’Etat. Pour autant, samedi après samedi, un climat de nature insurrectionnelle demeure et l’on assiste à des scènes de violence inouïes : des policiers et gendarmes sont tabassés, des vitrines brisées, des magasins pillés, des bâtiments publics incendiés.

Le président de la République voit donc sa crédibilité amputée, son autorité contestée et cela à l’intérieur comme à l’étranger. A travers lui, c’est le statut de la France qui est dévalué, ce qui ne peut pas être sans conséquence sur la vision que l’étranger a de notre armée et cela d’autant plus que, de surcroit, dans l’esprit de notre Constitution, le chef de l’Etat chef des Armées est la clé de voûte de la dissuasion. Tout doute concernant sa détermination sur quelque sujet que ce soit ne peut qu’entamer celle-ci.

Par ailleurs, le ministre des Armées avait  laissé entendre que la Défense serait certainement appelée à participer  au financement des mesures décidées par le président de la République. Même si sa déclaration a reçu depuis un double démenti de l’exécutif, est-on absolument certain que la loi de programmation militaire sera, dans ce contexte, respectée à l’euro près ? On peut légitimement se poser la question et il conviendra de demeurer vigilant.

Dès lors, et compte-tenu de cette nouvelle donne, ne serait-il pas temps d’abandonner définitivement le projet de service national universel voulu par le président de la République mais dont on sait déjà que sa mise en œuvre  ne serait  pas aisée en même temps que coûteuse à la fois financièrement et en matière de ressources humaines ? Cessons donc officiellement et une fois pour toute  d’occuper le terrain médiatique avec des épouvantails de service national dont les oripeaux n’ont cessé de changer  au gré des saisons.

Mais revenons à nos gilets jaunes. Dans son second livre[2], écrit bien avant le déclenchement de leur mouvement mais dont il a accéléré la parution pour être parfaitement en phase avec  l’actualité, le général Pierre de Villiers dresse un tableau de notre pays et de sa sociologie annonciateur de ce qui survient aujourd’hui. Rien d’étonnant à cela puisque d’une part, en activité, ce général était en contact permanent avec nos jeunes militaires du rang dont l’origine sociale est bien souvent identique à celle des gilets jaunes et que d’autre part, depuis sa retentissante démission, il n’a cessé de sillonner la France à la rencontre de nos concitoyens et de s’imprégner de leurs préoccupations.

Si le fait que son nom ait été prononcé par certains gilets jaunes qui le verraient bien Premier ministre le fait sourire, il n’en demeure pas moins que ses zélateurs voient en lui l‘archétype du porteur  des valeurs partagées par les  hommes et femmes de nos armées : droiture, courage, loyauté, fidélité, honneur. Il ne faudrait pas que ceux qui souhaitent l’élever sur le pavois soient à l’origine de coupes budgétaires futures dont nos armées pâtiraient.

Le pays  des préfectures, des villages avec leur mairie et leur  clocher souhaite que soit restauré un ordre territorial rassurant. Le politique rechigne à expliquer et plus encore à assumer  la prise en charge des nouvelles inégalités sociales et territoriales  produites par la mondialisation. Pour construire des politiques de solidarité, concilier transition écologique et justice sociale, les gouvernements doivent d’abord percevoir avec justesse la réalité de ces deux France qui se définissent moins par des frontières géographiques que par le sentiment d’un peuple qui estime ne plus être justement représenté et entendu.

Les gilets jaunes sincères, ceux qui ne sont ni des casseurs ni des cogneurs, cherchent à recréer une nouvelle forme de dialogue démocratique et à faire venir la politique là où elle n’est plus. Leurs objectifs sont honorables. Ils ont, pour certains d’entre eux, des parents ou des enfants militaires (parfois même policiers). Ils doivent comprendre jusqu’où ne pas aller pour permettre à l’armée de ne pas entrer dans la forme de  conflit avec les forces de l’ordre qu’ils ont généré. Notre armée est la leur. Leurs préoccupations ne lui sont pas étrangères. Qu’ils ne mettent pas en péril son processus de nécessaire rétablissement engagé depuis peu après avoir été tant attendu. Dans le cas contraire ce ne seraient pas les montants du SMIC ou de la CSG qui seraient en cause, mais la sécurité de notre pays.

                                                                                            Gilbert ROBINET
Secrétaire général de l’ASAF

 

[1] Lire La France périphérique de Christophe Guilly-Flammarion-2014

[2] Pierre de Villiers - Qu’est-ce qu’un chef ? Editions Fayard –novembre 2018

 

Diffusé sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr

Source : www.asafrance.fr