GOUVERNEMENT : Les cartons du scandale  

Posté le samedi 11 juillet 2020
GOUVERNEMENT : Les cartons du scandale  

Chaque remaniement gouvernemental, qu’il soit simplement technique ou de plus grande amplitude et, dans ce dernier cas, avec ou sans changement de majorité, s’accompagne des même images diffusées à la télévision. À travers des portes entrebâillées de bureaux ministériels, on aperçoit des nuées de « collaborateurs » faisant des cartons.

Ces cartons revêtent d’ailleurs, à chaque fois, une importance médiatique capitale. C’est leur livraison dans certains ministères, sans aucune discrétion, qui indique aux journalistes à l’affût que leurs titulaires sont susceptibles d’être remerciés. Le signe ne trompe pas. Les ministères à l’heure des cartons, c’est la face cachée d’un remaniement.

Ah, ces fameux cartons ! Ils ont à l’origine de bien des angoisses. Il peut même arriver  que ce soit la présence de cartons vides dans les couloirs de ministères qui, la veille d’un remaniement, annoncent leur départ imminent aux occupants des lieux. Ces derniers, le lendemain, ne disposeront alors que de très peu de temps pour les remplir, parfois deux ou trois heures seulement.

Le collaborateur  qui doit écrire le discours testament que le  ministre sortant  prononcera, sur le perron de son ministère, devant son successeur, est alors le dernier à conserver son ordinateur alors que tous les autres ont été reversés au service informatique du ministère où leur mémoire sera systématiquement effacée.

Dans quelques-uns de ces cartons, chaque membre de cabinet entasse, certes, ses affaires personnelles ou objets souvenirs, mais l’essentiel des autres cartons, beaucoup plus nombreux,  sont remplis de dossiers qui sont destinés aux archives. Toutefois, dans le pire des cas, c'est-à-dire lorsqu’il y a changement de majorité, une bonne partie des dossiers, fruits du travail des membres du cabinet, est détruite.

Cette « tradition » républicaine semble ne choquer personne. Elle est pourtant proprement scandaleuse. Imagine-t-on un colonel ou un général exerçant un commandement qui, avant de le remettre à son successeur, viderait tous ses tiroirs et donnerait l’ordre à tous ses services subordonnés de faire de même avec leurs armoires ? Non ! Bien au contraire, celui-ci aura à cœur de laisser une situation transparente et de passer au nouveau commandant, de la main à la main, directement,  tous les outils lui permettant de poursuivre sa tâche sans discontinuité, et ceci pour le bien du service en dehors de toute considération d’ordre personnel.

Comme le colonel n’est pas propriétaire de son régiment ou le général de sa brigade ou de sa division, le ministre n’est pas propriétaire de son ministère. Il ne dispose en propre d’aucun des dossiers qui s’y trouvent et qui sont la propriété de l’État.  Le fonctionnement de celui-ci ne saurait être interrompu une seconde au prétexte que l’un des postes de son organisation change de titulaire. Il existe, en effet, un principe intangible, celui de  la continuité de l’État qui implique qu’un gouvernement est engagé par l’action de son prédécesseur quoi qu’il advienne. Comment ce principe peut-il être respecté si le successeur ignore tout des actions de son prédécesseur ou n’en trouve aucune trace ?

La notion de continuité de l’État, en droit français, a deux significations essentielles. D’une part, au plan juridique, il s'agit alors d'assurer la pérennité des droits et obligations de l'État quels que soient les évènements qui peuvent venir perturber sa vie : on  pense naturellement à la guerre, mais aussi à des vagues d’attentas terroristes, à des catastrophes naturelles ou industrielles ou encore à des crises sanitaires graves comme celle que nous avons vécue en 2020.  Dans toutes ces circonstances, l’État reste l’État et conserve toutes ses prérogatives.

D'autre part,  cette notion de continuité fait aussi référence  à la continuité organique de l'État, celle qui consiste pour lui  à assurer le fonctionnement des institutions, des pouvoirs publics ou du service public sans interruption d’aucune sorte. Quels que soient les événements, l’action gouvernementale, la vie nationale, le service des citoyens doivent se poursuivre le plus normalement possible et sans à coups.

Des élections ou un changement de gouvernement sont de peu de poids au regard des deux contextes envisagés et ne doivent donc en rien nuire à cette continuité.

Il est hélas nécessaire de rappeler que le pouvoir politique s’inscrit et s’exerce dans le cadre de l’État qui, en termes juridiques,  est une entité, une institution, une personne morale détachée de la personne physique des gouvernants. Donc, lorsque ceux-ci quittent leur fonction ou, plus ubuesque encore, en changent tout en restant en place au sein du même gouvernement, leurs « archives » ne leur appartiennent pas plus que les meubles de leur bureau  et devraient demeurer en place.

En outre, sur le plan de l’éthique ou de la morale, quel spectacle offert à nos concitoyens ! Outre le coût de l’opération confiée à des entreprises privées, ces cartons que l’on déménage dans l’urgence  donnent l’impression que les sortants ont des choses à cacher et qu’ils craignent qu’au fond d’un placard soient découvertes les preuves d’une quelconque turpitude. J’ai, de plus, du mal à imaginer que lorsqu’un ministre est resté peu de temps à la tête de son ministère, ses « archives » puissent être d’un tel intérêt qu’il faille les reverser aux Archives Nationales pour servir plus tard à éclairer l’Histoire de notre pays.

 

Messieurs les ministres et membres des cabinets, quand vous partez, laissez vos papiers en place. Vos successeurs sauront faire le tri.

 

Gilbert ROBINET
Secrétaire général de l’ASAF

Diffusé sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr

Source : www.asafrance.fr