GUERRE EN UKRAINE. Gagner en Ukraine : un regard français

Posté le samedi 21 mai 2022
GUERRE EN UKRAINE. Gagner en Ukraine : un regard français

Pierre MORCOS est chercheur invité du programme Europe, Russie et Eurasie et diplomate français en résidence au Centre d'études stratégiques et internationales de Washington.
Diplomate de carrière au ministère français des Affaires étrangères, il a récemment occupé le poste de chef adjoint de la division des affaires stratégiques et de cyber sécurité, en se concentrant sur les questions de défense de l'OTAN et de l'Europe.
Les opinions exprimées dans cet article sont strictement personnelles.

 

Alors que la guerre de la Russie en Ukraine est sur le point d'entrer dans son quatrième mois, une question a été au centre d'un débat passionné : la France et l'Allemagne tentent-elles de faire pression sur l'Ukraine pour qu'elle négocie avec la Russie ? Les déclarations du  chancelier allemand demandant au président Vladimir Poutine d'accepter un cessez-le-feu "le plus rapidement possible" ou du président français mettant en garde contre "l'humiliation" de la Russie ont fait craindre à travers l'Europe que Paris et Berlin fassent des ouvertures à Moscou.

Légitimes face à la gravité de la situation, ces inquiétudes reposent néanmoins sur une compréhension erronée des positions française et allemande. Les critiques actuelles sous-estiment souvent à quel point la France et l'Allemagne ont évolué dans leur approche de la Russie. Depuis le début de la guerre, leur stratégie est très claire : l'Occident doit continuer à faire pression sur Moscou et à soutenir Kiev « jusqu'à la victoire de l'Ukraine ».

Les deux pays ont joué un rôle moteur dans l'adoption de sanctions sévères au niveau de l'Union Européenne (UE) et soutiennent désormais un embargo pétrolier contre la Russie. Comme l'ont expliqué des responsables français, le but est « d'étouffer » l'économie russe et de « punir » les oligarques russes. Loin d'essayer d'accommoder la Russie, Paris et Berlin dirigent l'effort international pour enquêter et poursuivre d'éventuels crimes de guerre commis par l'armée russe. La France a notamment renforcé son soutien financier à la Cour pénale internationale et envoyé une équipe d'experts légistes à Bucha.

Après un démarrage lent, la France et l'Allemagne ont également renforcé leur soutien militaire aux forces armées ukrainiennes, Berlin envoyant des chars antiaériens et Paris fournissant des systèmes d'artillerie à longue portée. Les troupes ukrainiennes ont déjà été formées sur le sol français et allemand pour faire fonctionner ces systèmes. Lors d'un récent appel avec le président Volodymyr Zelenskyy, le président Emmanuel Macron a annoncé que les livraisons d'armes françaises « s'intensifieraient ». Les deux pays figurent également parmi les principaux contributeurs à la facilité européenne pour la paix, qui couvre désormais 2 milliards d'euros d'assistance militaire à l'Ukraine.

Mais la France et l'Allemagne sont également soucieuses de laisser la porte ouverte à un règlement négocié du conflit. C'est pourquoi le président Macron, et dans une moindre mesure le chancelier allemand Olaf Scholz, maintiennent leurs contacts avec le président Poutine. Souvent critiquée pour sa vanité, cette diplomatie téléphonique est en réalité réclamée par le dirigeant ukrainien lui-même alors que Poutine refuse toute communication directe. Chaque appel des dirigeants français ou allemands a toujours été étroitement coordonné avec le président Zelenskyy.

Ni la France ni l'Allemagne ne cherchent à faire pression sur les autorités ukrainiennes pour qu'elles acceptent des concessions ou cèdent du territoire, comme cela a été rapporté. Le président Macron a été très clair dans son récent discours au Parlement européen : « En tant qu'Européens, nous œuvrons pour la préservation de la souveraineté et de l'intégrité territoriale de l'Ukraine. C'est à l'Ukraine de définir les conditions des négociations avec la Russie ». Certes, les pourparlers de paix entre l'Ukraine et la Russie sont au point mort, mais la France et l'Allemagne se tiennent prêtes à aider l'Ukraine lorsque les conditions seront réunies. La France est notamment disposée à apporter des "garanties de sécurité" à l'Ukraine dans le "cadre d'un accord international".

Une autre source de malentendu a été la position française et allemande sur l'adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne. Les deux pays sont souvent dépeints comme opposés à tout élargissement pour avoir souligné une vérité fondamentale : le chemin vers l'adhésion à l'UE sera long. Cela dit, Paris et Berlin comprennent parfaitement la nécessité d'envoyer un signal politique clair à Kiev et d'agir rapidement pour accorder le statut de candidat. Ils sont également favorables à l'accélération de l'intégration européenne de l'Ukraine parallèlement au processus d'adhésion. C'est l'ambition de la "communauté politique" du président Macron qui contribuerait à favoriser la coopération entre les pays de l'UE et les pays non membres de l'UE en matière de sécurité, d'énergie, de transport ou d'investissement.

Certes, ces multiples polémiques sont révélatrices d'un problème plus vaste : la France et l'Allemagne n'ont pas la confiance des pays d'Europe centrale et orientale pour faire face à ce conflit. Le tandem franco-allemand est souvent perçu comme un duopole exclusif aux politiques étrangères figées dans le passé. Paris et Berlin ne doivent pas négliger ce problème structurel et continuer à dialoguer avec leurs partenaires européens pour les convaincre du contraire.

La France et l'Allemagne n'ont pas été insensibles à ces critiques. Ils ont intensifié leur coordination politique avec les pays d'Europe centrale et orientale, comme en témoigne le rajeunissement du « Triangle de Weimar » qui réunit la France, l'Allemagne et la Pologne. Plus important encore, les forces armées françaises et allemandes ont considérablement accru leur engagement en faveur de leur sécurité avec des déploiements supplémentaires alors que l'OTAN renforce sa posture de dissuasion et de défense.

Les alliés doivent être exigeants les uns envers les autres, surtout en ces temps difficiles, mais les critiques doivent dépasser leurs idées préconçues sur la France et l'Allemagne. Loin d'alimenter un "esprit d'apaisement et de reddition", Paris et Berlin travaillent en étroite collaboration avec leurs partenaires américains et européens pour aider l'Ukraine à remporter la victoire.

Pierre Morcos est chercheur invité du programme Europe, Russie et Eurasie et diplomate français en résidence au Centre d'études stratégiques et internationales de Washington.

Diplomate de carrière au ministère français des Affaires étrangères, il a récemment occupé le poste de chef adjoint de la division des affaires stratégiques et de  cyber sécurité, en se concentrant sur les questions de défense de l'OTAN et de l'Europe. Formé comme fonctionnaire à l'Ecole Nationale d'Administration, il est titulaire d'un B.A. et une M.P.A. de l'Institut d'études politiques de Paris

Les opinions exprimées dans cet article sont strictement personnelles.

 

Pierre MORCOS
Defense News
20 mai 2022

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Source : www.asafrance.fr