LIBRE OPINION de Robert REDEKER :  Colonel Arnaud BELTRAME, la merveilleuse visite.

Posté le vendredi 30 mars 2018
LIBRE OPINION de Robert REDEKER :  Colonel Arnaud BELTRAME, la merveilleuse visite.

TRIBUNE. Le philosophe, auteur du « Soldat impossible », rend hommage au lieutenant-colonel, mort en chrétien, et accuse notre époque.

Au sein d'une série tragique d'événements, propres à précipiter le pays dans le désespoir, à le maintenir dans une nuit de plus en plus profonde, une nuit de l'esprit et du cœur, une nuit de l'espérance, l'irruption dans la lumière collective d'un personnage de la trempe du lieutenant-colonel Beltrame donne à penser.

L'unanimisme dans la célébration ne doit pas cacher – comme elle le voudrait pourtant – que le geste héroïque de ce militaire met notre culture bien mal à l'aise. J'imagine le président de la République tourmenté : comment peut-on célébrer à la fois Mai 68 et Beltrame ? La réponse est évidente : en occultant quelque peu les motivations de son acte héroïque, en insistant sur les valeurs consensuelles, d'une généralité un peu vide, plutôt que sur ce qui les fonde. En présentant devant les masses un tour de passe-passe semblable à celui auquel se livrent les officiels lorsqu'ils proclament que les soldats de la Grande Guerre sont morts pour la paix, pour la réconciliation entre les nations, pour des valeurs, alors qu'ils sont morts pour la France, pour la patrie, pour l'Alsace et la Lorraine, pour défendre jusqu'à la dernière goutte de sang le sol national.

Harmonie

Il est vrai que l'idéologie dominante travaillera à essayer de dénationaliser et de déchristianiser les dernières heures de cet officier de gendarmerie. Beltrame n'était pas un homme d'aujourd'hui, comme on en fabrique à la chaîne depuis Mai 68. Sa conduite fait sortir de l'ombre tout ce que le monde contemporain, dont le fameux mois de mai d'il y a 50 ans est présenté comme le berceau, s'acharne à rejeter. Mai n'aimait pas les militaires. Mai – Maurice Clavel mis à part – n'aimait pas le catholicisme. Mai haïssait les gendarmes, les chefs, l'obéissance, le sacrifice, les nobles vertus du couvent et de la caserne. Or, le vrai est ici : ce qui fonde les valeurs d'Arnaud Beltrame, c'est le réel que les héritiers de Mai ralliés au mercantilisme débridé ont voulu tuer, c'est la nation et Dieu, c'est l'Armée et l'Église.

Représentant tout ce que notre époque n'est pas, tout ce qu'elle méprise, Beltrame est une résurrection. Ou plutôt : sa mort est une résurrection, le retour dans l'éclat du jour des vertus militaires et religieuses françaises. Elles que l'on disait, jusqu'à ce qu'on les enfouisse sous l'alliance de la jouissance et du profit, des loisirs et de la bourse, éternelles – elles qui sont la mémoire de la chevalerie.

Quelque chose frappe : l'accord parfait, l'harmonie, entre le geste de ce soldat et sa pensée, entre son sacrifice et sa foi. Au siècle de la communication, des fidélités fugaces, les convictions ne sont généralement plus que des postures dont on fait parade pour acheter et vendre, se vendre, pour jouer sa partition sur la scène du monde. Par sa mort, Beltrame montre que pour lui ni l'esprit militaire, ni les mots de nation et de Dieu, de patrie, ne pouvaient souffrir de justifier des postures, de devenir matière à singerie. Décidément, la figure de cet homme est celle de l'intempestivité. L'Armée et l'Église sont les conservatoires de ce que la France a de meilleur. Beltrame, après le Père Hamel, l'illustre.

Est-il un héros ? Sans doute. Est-il un saint ? Peut-être. En tout cas, il est mort en martyr de sa foi et de sa patrie, pour elle, en donnant sa vie pour en sauver d'autres, comme aurait pu le faire un saint. Chacun se souvient du dernier film de Marcel Carné, La Merveilleuse Visite. Le village où se déroule l'action du film ne sait trop comment étiqueter le visiteur – un beau jeune homme – inattendu qui, depuis qu'il a été découvert nu sur la plage, occupe son imaginaire. Sans doute ce visiteur est-il un ange ? Un ange vient quand on ne l'attend pas, souvent accompagné d'un grand bruit, n'est-ce pas ? Un ange est un messager, qui, la plupart du temps, rappelle ses visités à eux-mêmes, à leurs devoirs et à leur destin, à leur être. Il les incite à ne pas se laisser aller, à ne pas s'abandonner. L'agonie – l'on est frôlé de dire : la passion – de Beltrame est une pareille incitation. Les héros et les saints sont des appels à l'imitation ; l'ange, lui, est le rappel d'une feuille de route.

Par sa vie offerte jusqu'à subir la mort, quasi sa passion, tel un ange inespéré, Arnaud Beltrame montre la voie de la vie à une France que l'on craignait morte, et que beaucoup – pas du côté des terroristes – espéraient morte. Les attentats étaient attendus. Beltrame ne l'était pas. Nous y étions résignés. Le Mal est toujours attendu. Le Bien ne l'est pas. Le Bien arrive quasi par miracle – il est la merveilleuse visite.

 

Robert REDEKER
(Le Point.fr)

28/03/2018

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