HOMMAGE : Pour les compagnons de la Libération, l’avenir d’une mémoire

Posté le vendredi 27 novembre 2020
HOMMAGE : Pour les compagnons de la Libération, l’avenir d’une mémoire

Un dernier hommage sera rendu à Daniel Cordier, ce jeudi, aux Invalides, par le chef de l’État. L’ordre de la Libération ne compte plus qu’un seul survivant et s’est organisé pour assurer la pérennité de la prestigieuse institution, qui avait distingué ceux qui s’étaient fait remarquer par leur bravoure au moment de libérer la France.

 

Ils étaient 1038, Hubert Germain sera le dernier d’entre eux. En quelques semaines, il a vu partir ses anciens camarades. Edgard Tüpet-Thomé, le 9 septembre. Il avait 100 ans. Pierre Simonet, le 5 novembre. Il venait de fêter ses 99 ans fin octobre. Daniel Cordier, vendredi dernier. Il avait 100 ans et un peu plus de trois mois. Hubert Germain a lui aussi fêté son centenaire cet été, le 6 août. Pour l’éternité, ils sont membres de l’ordre de la Libération, que le général de Gaulle avait institué le 16 novembre 1940.

Extrêmement vivant malgré son grand âge, ­Hubert Germain sera présent jeudi aux Invalides pour l’hommage national présidé par Emmanuel Macron que recevra Daniel Cordier. Jeune homme d’ex­trême droite en 1940, celui-ci avait joué un rôle clé dans l’organisation de la Résistance, en tant que secrétaire de Jean Moulin. « Le président est sensible à ce genre de parcours héroïque », dit-on à l’Élysée, en rappelant que le chef de l’État avait plusieurs fois rencontré l’ancien résistant. « Il est fasciné par ces gens qui ont joué leur destin dans cette période vio­lente, éprouvante, d’effondrement de la France. Si c’est difficile d’avoir 20 ans en 2020, ce l’était encore plus en 1940 », ajoute-t-on. Dans l’entourage du président, on insiste sur « ces destins qui peuvent éclairer les générations d’aujourd’hui ».

L’ordre des compagnons de la Libération distingue ceux, « personnes ou collectivités civiles ou militaires », qui s’étaient signalés dans la libération de la France en guerre par leurs actes d’une exceptionnelle bravoure. Après la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’ordre a été forclos le 23 janvier 1946. Il n’a été rouvert qu’exceptionnellement pour accueillir Winston Churchill et le roi d’Angleterre George VI à titre posthume.

« L’Ordre est extrêmement prestigieux mais il n’est finalement pas très connu », relève l’historien Olivier Wieviorka. « Il honore une toute petite minorité de combattants », ajoute-t-il : une élite de la Résistance et du gaullisme que le Général avait tenu à privilégier. « Leur mémoire est évoquée au moment de leur disparition. Ou bien à l’occasion des cérémonies du 18 Juin, organisées par l’Ordre. C’est une mémoire sinusoïdale », souligne l’historien. En des temps houleux, elle ressurgit.

Lorsque malheureusement le dernier compagnon disparaîtra, une page d’histoire se tournera. Hubert Germain sera inhumé au Mont-Valérien, là où furent fusillés plus de 1 000 résistants, au nom de tous les autres. Ne restera que leur souvenir, mais aussi cinq lieux, Paris, Grenoble, Nantes, Vassieux-en-Vercors et l’île de Sein, dépositaires de cette mémoire particulière et 18 unités militaires, comme la 13e DBLE, l’escadrille de chasse Normandie-Niemen ou le 1er régiment de fusiliers marins. Ces villes et ces unités s’étaient elles aussi illustrées durant la guerre au point de mériter la distinction, comme l’île de Sein, dont quasiment tous les hommes ont rejoint de Gaulle en 1940. Si le 44e régiment d’infanterie, qui accueillera la ­dépouille de Daniel Cordier jeudi aux Invalides, n’en faisait pas partie, il s’était vu remettre en septembre 2017 la « fourragère de l’ordre de la Libération ». Cette unité discrète, à laquelle sont rattachés les personnels militaires de la DGSE est l’héritière du BCRA, les services secrets de la France libre, dont Daniel Cordier avait fait partie. 122 compagnons étaient membres du BCRA. Pour assurer une filiation, le stage d’intégration des nouveaux membres de la DGSE portera désormais le nom de l’un d’eux.

La mémoire des compagnons s’est mise à ruisseler sur les armées. Le cercueil de Daniel Cordier sera transporté jusqu’au centre de la cour par des élèves officiers de l’école militaire saint-cyr Coëtquidan de la promotion « Compagnons de la Libération ». En 2020, baptisée « année de Gaulle », ils ont été autorisés à porter la fourragère. Cette distinction, une cordelette partiellement nattée à trois brins terminée par un nœud et un ferret, de couleur noire, pour le deuil de l’Occupation, et verte pour l’espoir, a été créée en 1996 par le président Jacques Chirac. Elle a été remise aux unités héritières de l’Ordre. Depuis 2011, l’équipage du porte-avions Charles-de-Gaulle avait aussi été autorisé à la porter. Les réticences antigaullistes qui pouvaient exister dans les tréfonds de l’armée ne se font plus entendre.

« Honorer les héros » 

« Il faut combattre l’idée qu’à la mort du dernier compagnon, ce sera la fin de l’Ordre », assure le général Christian Baptiste. En 2017, l’ancien directeur du ­musée de l’Armée, a été nommé délégué général de l’Ordre pour veiller à son fonctionnement. Le chancelier Fred Moore, 91 ans alors, ne pouvait plus l’assurer au jour le jour. Il fallait aussi commencer à préparer l’avenir de sa mémoire.

Le délégué général connaît intimement les compagnons, qu’il a accompagnés dans les dernières années de leur vie. « Je les ai beaucoup fréquentés comme directeur du Musée de l’armée », dit-il. Il recueillait leurs souvenirs et leurs aspirations. Il évoque les derniers tableaux de Daniel Cordier. Ou le souhait de Pierre Simonet de demeurer jusqu’au bout chez lui dans le Sud. Il évoque aussi leurs craintes : « Ils étaient peinés de la division des Français, que l’histoire n’ait pas servi de ­leçon. » Hubert Germain s’en était ouvert directement auprès du chef de l’État, qui l’avait rencontré le 18 juin dernier. « Je leur ai demandé comment ils voyaient la suite », poursuit Christian Baptiste. « La majorité avait des idées précises sur cette maison », dit-il. Les derniers compagnons voulaient clairement que l’Ordre leur survive et poursuive son travail de mémoire. Ils peuvent partir « sereins et apaisés : l’avenir de l’Ordre est sur des rails », promet le général Baptiste. À l’Élysée, on veut aussi assurer la « pérennité » de l’Ordre. Un nouveau chancelier d’honneur sera nommé.

Le général Baptiste a repris à son compte la mission que lui a confiée le chef de l’État, épris des valeurs de l’histoire : « Aller partout » et « honorer les héros ». Emmanuel Macron le répète : l’esprit d’une nation se nourrit de vies exemplaires. « Or il n’y a pas plus exemplaire dans l’histoire récente que le parcours lumineux des compagnons et des médaillés de la Résistance », assure le général Baptiste. « Au moment où on parle d’“archipellisation” de la société, de séparatisme, il faut du liant », insiste-t-il. Les valeurs incarnées par les compagnons peuvent y contribuer, croit-il. Il veut faire de l’Ordre « une boussole ». Il voudrait guider les jeunes générations. En 2018, l’Ordre a aussi reçu comme mission de cultiver « l’esprit de défense ».

Deux classes parisiennes, de troisième et de terminale, ont été invitées à la cérémonie d’hommage à Edgard Tüpet-Thomé en septembre. C’était une première. Les élèves « ont été impressionnés par la solennité de la cérémonie. Bien que laïque, elle avait quelque chose de sacré », ont rapporté leurs professeurs. Le commentaire a touché le général Baptiste, qui s’est donné pour mission de multiplier les rencontres locales pour raconter le parcours des compagnons. Le plus jeune d’entre eux, Mathurin Henrio, avait 14 ans lorsqu’il est abattu d’une balle. « Lors des rencontres, je parle aux jeunes d’engagement et de courage », dit-il. « Dans la vie d’un homme, il y a toujours un moment où il faut ­décider entre un destin choisi ou subi. » La moitié des compagnons de la Libération était des bacheliers, ­note-t-il encore, pour souligner que l’instruction est aussi un gage de liberté. « Nous n’avons pas seulement deux vies, privée et professionnelle, mais aussi une ­troisième, citoyenne », insiste le général Baptiste.

Au moment de transmettre le flambeau, la mémoire des compagnons est devenue un enjeu. Les armées voudraient en être les principales dépositaires, tandis qu’elle serait ballottée au gré des alternances politiques dans les communes. L’année dernière, les initiatives se sont multipliées pour l’ancrer dans les esprits et renouer des traditions. À Saint-Cyr Coëtquidan, dont la promotion 2020 « Compagnons de la libération » a rencontré Hubert Germain. À l’école de l’Air, dont les élèves de première année pourront désormais porter la fourragère, ressuscitant l’esprit de la 1re escadrille de chasse ECF1 dissoute à la fin de la guerre. Au sein de la Marine, les neuf unités des fusiliers marins ont changé de nom depuis le 1er septembre pour prendre celui d’un grand ancien compagnon de la Libération.

Quand le général Thierry Burkhard, ancien commandant de la 13e DBLE, a pris ses fonctions de chef d’état-major de l’armée de Terre en juillet 2019, il a discrètement rendu visite à Hubert Germain, qui avait combattu à Bir Hakeim dans cette même unité. « Il était lieutenant à ce moment-là », raconte le général. Hubert Germain avait 21 ans. « L’unité était très jeune, elle avait été créée en 1940 », complète le chef d’état-major, encore marqué par la rencontre. « Je voulais faire le lien avec nos grands anciens… Les compagnons forment une sorte de chevalerie. Ce sont des gens qui se sont engagés très tôt pour la France, à un moment où tout homme cartésien aurait pu choisir la prudence. Ils se sont engagés en dépit du bon sens. C’est ce qui les distingue des autres. » Les deux hommes ont discuté. « Hubert Germain n’est pas quelqu’un qui donne des conseils, il est d’une grande humilité », raconte le général. Comme les grands hommes.

* Depuis 2020, le Groupe Dassault est l’un des mécènes de l’ordre de la Libération.

 

Nicolas BAROTTE
Le Figaro - jeudi 26 novembre 2020

Rediffusé sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr
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Source : www.asafrance.fr