INTERVIEW DE LA DGSE : Les jeunes espions de l'après Charlie.

Posté le lundi 18 janvier 2016
INTERVIEW DE LA DGSE : Les jeunes espions de l'après Charlie.

Depuis les attentats de janvier, le nombre de candidatures spontanées à la DGSE a triplé tandis que le budget de recrutement continue d’augmenter. L’agence de renseignement extérieur a exceptionnellement ouvert ses portes au JDD.

 

La lettre de motivation est datée du 3 mars 2015. Elle est signée d’un jeune analyste dans une société privée de conseil en risque-pays : « Les récents événements tragiques qui ont secoué la France […] m’ont donné envie de postuler auprès de vos services et d’envisager à terme de devenir officier de renseignement. » Des courriers identiques à celui-ci, la direction des ressources humaines de la DGSE en a reçu des centaines dans les jours et les semaines qui ont suivi les attentats contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes. « Avant, on recevait une trentaine de candidatures par jour, aujourd’hui environ une centaine », confie Vincent Nibourel, le directeur adjoint de l’administration de la DGSE. « On sent comme un besoin de servir, une disponibilité nouvelle », ajoute Sandrine, l’une des responsables du recrutement. Ce que confirme, en exclusivité pour le JDD, Bernard Bajolet, directeur de la DGSE : « Il y a chez ces jeunes un besoin d’idéal et ce qui me frappe chez certains, c’est leur sens du devoir sans forfanterie. »

 

Quatre ans de formation.

Confortablement assis dans un salon de réception aux canapés club en cuir marron, celui qui fut coordinateur national du renseignement à l’Élysée après avoir été ambassadeur à Kaboul, Bagdad, Amman et Alger, évoque des CV qui lui sont directement adressés, certains avec des profils très atypiques. Bien entendu, le tri est impitoyable. « On ne cherche pas des croisés pour se battre contre les djihadistes mais des jeunes qui comprennent le monde », assène Vincent Nibourel. Le ton martial et le regard droit, l’homme admet que la sélection est un art redoutable. N’entre pas qui veut dans cette maison héritière du BCRA du général de Gaulle et du SDECE. Outre ses actions secrètes à l’étranger, elle fournit 7 000 notes par an en moyenne au président de la République et au gouvernement. « Toute idée de “jamesbonderie” est évidemment ici évincée, poursuit le recruteur de futurs espions. Certes, nous faisons un métier anormal mais comme des gens normaux et avec une éthique qui ne souffre aucune entorse ; un métier de voyous, peut-être, mais comme des gentlemen. » Y compris pour faire du hacking, à l’heure de la cyber guerre ? « Les hackers, je peux les utiliser mais je ne les recrute pas », souligne-t- il. Écrémer pour ne retenir que le meilleur, cela signifie aussi exclure de la compétition tous les êtres menacés de fragilité sur le plan psychologique. « Nous ne voulons pas de paratonnerre qui attire la foudre », reconnaît le sélectionneur.

 

Au siège de la DGSE, le JDD a pu rencontrer et échanger avec quatre recrues récentes du service de renseignement. Marie était à Londres en 2005 lorsque les bombes ont explosé dans le métro et dans un bus. Puis à Bombay en 2008, lorsque les terroristes s’en sont pris à la gare centrale, à des hôtels de luxe et à un centre communautaire juif. Née dans une famille où la fonction publique et les militaires n’étaient pas particulièrement en odeur de sainteté, elle a souhaité s’engager, « servir son pays », dit-elle. Elle visait la police mais c’est le concours de la DGSE qu’elle a réussi en premier. Engagée il y a quatre ans, cette jeune femme menue à la chevelure brune est sur le point d’effectuer son deuxième stage « validant ». « On nous met sous pression, on appuie sur nos failles », confesse-t-elle sans que cela semble particulièrement l’affecter. Aime-t-elle le danger ? Non, elle revient d’une « zone dangereuse » mais avec le sentiment d’avoir été « particulièrement protégée ». « J’ai déjà servi dans des situations de crise et je me dis que j’ai eu de la chance, le service peut déployer des moyens énormes démesuré. »
Le colonel Henri, qui dirige la formation des jeunes recrues à la DGSE, estime qu’il faut environ quatre ans pour fabriquer un bon espion et l’envoyer en mission. Ce jour-là, il n’a que peu dormi. Il a passé une partie de la nuit au bord de la Marne dans un exercice de simulation d’exfiltration d’une source étrangère. Si l’exercice avait été réel, il aurait mal tourné : la cible « amie de la France » a changé de camp à la dernière minute…

 

« Pas assez paysans ».

En 2014, les agents en formation ont suivi 7 329 stages répartis sur une soixantaine d’ateliers. Filature, contre-filature, déguisement pour échapper à la vidéosurveillance, de plus en plus répandue, sécurisation, langues étrangères qu’il faut perfectionner, le parcours est aussi rude qu’intensif. « Le défaut des jeunes de cette génération par rapport à leurs prédécesseurs ? Ils ne sont pas assez paysans ! », ironise le colonel. Pas assez débrouillards, certains arrivent sans avoir le permis de conduire et ne savent pas changer une roue.
« Ils ont aussi une vision un peu Bisounours de la société, poursuit le formateur. Il est aussi très compliqué pour nous de traiter le besoin de communiquer de cette génération Y, très scotchée à Facebook, Twitter et aux Copains d’avant, complète Nicolas Wuest-Famose, porteparole de la DGSE. Or il faut que ces jeunes apprennent très vite qu’ils ne seront pas les vedettes des soirées en famille ou entre amis, nous leur demandons à la fois de l’humilité et d’être des caméléons, capables à l’issue de leur formation de pouvoir se sentir aussi à l’aide dans le Sahel qu’à Zurich, précise Vincent Nibourel. Il leur faut tout désapprendre pour réapprendre. » « Un rêve de gamin »

Ce langage, quasi sectaire, n’a pas rebuté Amaury, 29 ans, entré à la DGSE il y a trois ans. Devenir espion, franchir les portes de cette ancienne caserne du boulevard Mortier, à deux pas de la porte des Lilas, dans le XXe arrondissement de Paris, « c’était un rêve de gamin ». Polytechnicien, passé par l’École des mines, cet angelot rieur raconte qu’aujourd’hui il se réveille « avec le sentiment d’être utile ». Technicien de pointe, il craignait le cloisonnement entre analystes et ingénieurs. À eux la matière noble du renseignement à collecter, aux autres l’austérité des machines et des outils. « Aujourd’hui, ce que j’apporte est pris en compte, raconte-t-il. Je suis en contact rapproché avec des officiers traitants qui vont sur le terrain pour sécuriser leur matériel et apporter des solutions techniques pour qu’ils ne soient pas attaqués en mission. » Amaury a vécu les attentats de Paris en janvier comme un défi, une surenchère des terroristes, capables de défier les systèmes de défense et de sécurité.

Un sentiment partagé par Xavier, 38 ans, un ancien militaire passé à la DGSE il y a trois ans. Les yeux cernés dans son costume civil, cet ancien meneur d’hommes voit dans le regard des passants dans le métro une forme de reconnaissance du travail de ceux qui cherchent à les protéger. « Comme cette fois où j’ai vu un type donner les résultats du match du PSG à un garde en faction » devant un établissement désormais sous protection.
François, 36 ans, est l’un de ceux dans la maison plus particulièrement chargé d’encadrer les jeunes techniciens recrutés par contrat. Embauché directement à la sortie de son école de micro-électronique et en poste depuis douze ans, la tentation d’aller ailleurs existait. « Il y a quinze mois, j’ai passé un entretien avec une grande boîte privée, avoue-t-il. Ils m’ont expliqué que ma mission serait de faire augmenter le temps de réponse de leurs systèmes de deux minutes… » Sans surprise, malgré un salaire probablement beaucoup plus alléchant, François a choisi de rester à la DGSE. Le service, le devoir. Mais qui pourrait se plaindre d’appartenir à une agence de l’État qui bénéficie, selon un sondage, de 75 % de notoriété et d’autant d’opinion positive.

 

LA DGSE MODE D’EMPLOI.


LA DIRECTION GÉNÉRALE DE LA SÉCURITÉ EXTÉRIEURE est l’un des trois principaux services de renseignement français avec, entre autres, la DGSI (Sécurité intérieure, fusion de la DST et des RG) et la DRM (Renseignement militaire).

La DGSE emploie 6.100 personnes pour un budget de 750 millions d’euros (dont 50 millions de fonds secrets). Du fait de la nouvelle loi de programmation militaire et à la suite des attentats de Paris, la DGSE va pouvoir embaucher 470 agents supplémentaires. Il existe 77 familles d’emplois à la DGSE sur 22 domaines de compétences. Les trois quarts des effectifs sont des civils, les autres sont militaires. Si 75 % des agents sont des hommes pour 25 % de femmes, la parité est désormais de mise au niveau du recrutement sur concours. La moyenne d’âge des agents est de 41 ans.

Le recrutement dispose de quatre filières : une pour les fonctionnaires déjà en service, une autre pour les militaires en activité, une troisième sur contrat (essentiellement pour les besoins techniques en ingénieurs et spécialistes) et la dernière sur concours des attachés de la DGSE. Les épreuves portent sur une note de synthèse, une question de géopolitique et un test de langue étrangère. En cas de succès, le candidat passe devant un jury avec des épreuves de « mise en situation ». Le recrutement dépend aussi d’un résultat positif à une enquête visant à « habiliter » au secret. Contrairement à tout autre service de la fonction publique, la DGSE n’offre pas de garantie sur la pérennité de l’emploi obtenu.

 

François CLEMENCEAU

 

 

 

Questions à Jean-Claude COUSSERAN, ancien directeur de la DGSE (1989-1992).


Jean-Claude Cousseran*, ancien directeur de la DGSE (1989-1992).
« On ne peut ignorer les questions posées par Snowden »

Diriez-vous qu’une nouvelle génération d’agents est née après les attentats du 11-Septembre ?

Le contexte humain a changé. Lors de ma première affectation, j’ai pu côtoyer la « tradition », faite de fonctionnaires civils et militaires expérimentés, recrutés depuis parfois de très longues années. Lors de mes fonctions de directeur général, au début des années 2000, j’ai eu le privilège d’être entouré d’une génération de jeunes cadres civils et militaires de grand talent, qui avaient été recrutés après les réformes initiées par mon prédécesseur, Claude Silberzahn.

La DGSE, avec beaucoup de retard sur la CIA, essaie de communiquer positivement sur son image. Est-ce nécessaire dans le monde de Wikileaks et de Snowden, ou contre-productif ?

C’est évidemment positif. Les services, traditionnellement, sont essentiellement attachés à l’évaluation de la menace ou de l’ennemi du moment. Ils conservent cette vocation mais, bien avant le 11-Septembre, ils se sont organisés pour protéger la société et les citoyens contre ces menaces que sont le terrorisme, la criminalité organisée ou la prolifération. On est passé d’un État fondamentalement secret à un État protecteur. Il est naturel de donner aux citoyens l’assurance que l’État veille à les préserver des risques qui menacent leur vie, leur liberté et la société ouverte. Le recours aux procédés de la communication moderne s’adresse d’abord aux citoyens que nous sommes, pour faire mieux connaître les différents aspects de l’action des services. Cette communication n’est pas principalement faite pour répondre aux questions posées par Snowden mais elle ne peut les ignorer. Les discussions ouvertes au Parlement et dans l’opinion par le projet de loi sur le renseignement montrent assez la réalité du débat qui traverse l’opinion sur les rapports complexes du renseignement et des libertés, sur la conciliation nécessaire entre les exigences de la légitimité démocratique et celles de l’efficacité en matière de sécurité. Il est bon que les services se fassent entendre, à la place qui est la leur et dans le registre qui est le leur.

 

Propos DGSE recueillis par François CLEMENCEAU


* Coauteur de Renseigner les démocraties, renseigner en démocratie (Odile Jacob).

 

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Source : DGSE