CRITIQUE du film "Jeunesse aux cœurs ardents" de Cheyenne CARRON par Henri PETER : "Jeunesse aux cœurs ardents", un film initiatique.

Posté le mercredi 07 février 2018
CRITIQUE du film "Jeunesse aux cœurs ardents" de Cheyenne CARRON  par Henri PETER  : "Jeunesse aux cœurs ardents", un film initiatique.

La dernière œuvre de  Cheyenne-Marie Carron est comme toujours  attachante, et ne nous laisse pas indemnes, toujours avec ce mélange d’âpreté et de bienveillance extrêmes pour des héros qui ne demandent qu’à mûrir. Elle traite de la rencontre d’un jeune garçon, David, désenchanté  et à la dérive, avec  Henri un vieux briscard, ancien de la Légion étrangère, qui n’a pas abandonné le goût de vivre, ni  bien sûr le sens de l’honneur, ce qui lui permet de réagir en homme à une attaque quand même  crapuleuse  de la bande que fréquente David par désœuvrement, et de tenir bon.

Le film nous plonge directement dans la confrontation de deux mondes, celui  d’une jeunesse aujourd’hui en déshérence, totalement désaccordée, abandonnée  à son mal de vivre et un autre monde, peu connu, qui a gardé ses traditions, ses vertus,  le courage, le sens de l’honneur, et un  véritable sens de la fraternité. Bref,  un monde vieux avant l’âge et un monde très ancien, qui  a paradoxalement gardé sa fraicheur

Sur cette inappétence de la jeunesse d’aujourd’hui  à vivre notre époque ;  on pourrait aussi songer à la confession d’un enfant du siècle d’Alfred de Musset  ou à Rolla, comme quoi ce thème n’est en rien démodé,  et ressurgit mais  avec quelle  force aujourd’hui !   .

Mais ici, et nous en sommes gré à la cinéaste, Cheyenne-Marie Carron, d’observer qu’elle ne se contente pas, - et Dieu sait combien son constat pourrait enfin être pris au sérieux-  de filmer avec une sèche complaisance le malaise des jeunes en déshérence, comme le font trop de cinéastes, s’arrêtant là ; mais bien de nous emmener dans une quête fondatrice, précisément  refondatrice. Il serait donc dommage de passer à coté, de ne pas prêter patiemment attention à son histoire, et ne pas creuser avec elle ce qui est quand même d’une  actualité plus que  brûlante. Car comme  la fameuse pièce de Pirandello, six personnages en quête d’honneur, ici  presque tous les personnages sont bien en quête  d’un autre rôle qu’on leur a assigné ou auquel ils se sont résignés.

Bref, cette rencontre va transformer David le jeune héros, lui permettre de se reconstruire, de prendre enfin  une  distance salutaire avec ses  parents trop bobos, plus vrais que nature comme aussi avec un professeur lui aussi trop lisse,  très loin de ce qu’on attend d’un vrai professeur, de nous ouvrir un monde et non  de le ratiociner. Nous assistons  donc un peu médusés à la transformation  de David,  pour redonner sens à sa vie  Ce film peut donc d’abord  être vu essentiellement-comme une œuvre d’initiation pour notre époque, faisant écho aux fameux Bildungsromans des écrivains allemands ou roman (ici  film)   d’apprentissage.

 

Maintenant Cheyenne-Marie Carron n’est jamais plus à l’aise que quand elle fait éclater des  psychodrames, à la limite de Happenings  entre ses personnages, qui témoignent de leurs blessures  intimes ; mais aussi de leur volonté d’en sortir, de toucher terre. A remarquer  aussi de  très belles séquences oniriques  et poétiques: ces jeunes à la limite de la délinquance grave, cherchant dans des combats  une fraternité  qui leur est refusée par une  société hyper individualiste. Déjà, dans  un de ses  films précédents, »Patries »  on avait déjà eu droit à une scène saisissante : deux jeunes garçons, l’un africain, l’autre issu de la France profonde, périphérique, mais tous les deux exilés dans cette banlieue, couraient  fraternellement ensemble dans un stade, eux aussi  à la recherche des sources perdues de leur enfance,  de leur identité  originelle, leur désarroi gravé sur leur visage.

Certains pourront trouver naïf que la seule issue où puisse se raccrocher David en 2017,  soit de retrouver le monde de la Légion, celui d’Henri, qui a gardé intactes ses valeurs, et finalement choisir de s’y retremper. A cette objection on peut faire deux remarques :

Premièrement devons  nous voiler la face ? A ces jeunes tentés  par la violence parfois sans retour, et pour d’autres aujourd’hui, c’est bien le Djihad qui les fascine, quelle autre perspective concrète peut-on, doit-on leur offrir, sinon un engagement personnel qui les sortent de cette nasse,  où ils sont englués  au sens propre et figuré ? Qui ne connait pas le dévouement d’anciens militaires s’engageant dans les banlieues pour les jeunes en difficultés? Ensuite, pour  ceux qui y verraient un éloge un peu simpliste d’une institution militaire, ils devraient observer le foisonnement de scènes, véritables happenings, permettant à chacun  de trouver un autre vision sur leur histoire et notre histoire, le dernier mot étant laissé à une fraternité secrète de ceux qui se sont affrontés du regard ,  comme cette scène incroyable entre jeunes issus de l’émigration s’opposant  à propos de la colonisation, de même pour une autre scène opposant  Henri au père de David  sur le même  sujet.  La vérité n’étant jamais simple,  surtout sur une période aussi douloureuse, mais la vérité du cinéma est bien dans ces échanges de regards sur le visage de l’autre,  et là Cheyenne-Marie Carron, on peut aussi lui  être gré, a pris tous les risques  pour nous aider  à voir plus loin que les idéologies réductrices, ce qui est bien le rôle du cinéma.  

Mais nous aussi  allons  plus loin : Nous le ressentons tous confusément : « l'homme n'a jamais eu un tel sentiment d'autosatisfaction – il est comme un enfant irresponsable laissé à lui-même qui a enfin le droit de tout faire, mais qui, le soir venu, ne sait que faire de sa liberté et n'éprouve plus que peur et angoisse» (1)

C’est cette peur et cette angoisse que distille notre trop fameuse société de consommation, ayant effacé de fait tous les repères, que  Cheyenne-Marie Carron nous rend palpable ; saluons au passage  la performance  et le jeu sensible de son interprète principal, Arnaud Jouan, qui confesse avoir mis du temps pour se mettre dans la peau de son personnage,  «  ses passions, ses chagrins, ses problèmes familiaux  et s’y être investi totalement »/ ( Comme d’ailleurs d’André  Thieblemont qui donne une grande densité à son personnage d’ancien légionnaire , initiant David à ce monde, qu’il ne  peut soupçonner,  de fidélité, d’honneur et de caractère, qui permet enfin de respirer et de vivre.  

Par ailleurs nous assistons à une scène où le père de David  s’est barbouillé  de rouge à lèvres  avec un ami, se prétendant montrer ainsi  sa solidarité avec les femmes persécutées. sous les  yeux effarés du fils, qui n’en peut  plus de ses protestations douloureuses, qui  permettent  enfin à sa mère et à son  amie d’exprimer leur accord. Cela peut rappeler  un  très ancien film la fureur de vivre » avec James Dean, où le jeune héros, humilié  par le spectacle d’un père démissionnaire de son rôle, déjà otage de la société maternante  de consommation,  se  jetait à corps perdu dans une folle course automobile au bord du le ravin.  Ici  le remède que trouvent ces jeunes,  est la délinquance et le recours aux drogues.  L’inconsistance des pères, noyés dans le verbalisme, se réfractant dans les fils, ne prépare-elle pas une  génération sans liens, n’ayant rien à ne se raccrocher ? (2)

Remarquons que les femmes, du moins  la génération des mères,  s’en sortent mieux que les hommes, le bons sens ne les ayant pas encore totalement désertées, surtout elles savent réagir à la quête sincère de David, et finalement convertir son père de laisser enfin la voie libre à son fils.

Peut- être manque – il à David, à ce jour, la présence lumineuse d’une compagne comme dans un autre film de Cheyenne, la morsure des Dieux qui puisse baliser et féconder sa route, pour l’aider à résister aux miasmes du temps. La seule jeune fille du groupe, restant un peu en retrait. Mais David ne semble pas encore prêt à cette autre aventure initiatique, elle aussi mise à mal par les temps qui courent.

Jeunesse aux cœurs ardents est bien,- du moins à mon sens- d’abord un film initiatique et d’apprentissage mais dont on peut  aussi dire après l’avoir vu :   Maintenant, une «  nouvelle histoire commence ».

 

Henri PETER

 

 

  • Laszlo Földény Dostoïevski lit Hegel en Sibérie et fond en larme  p.49 (Actes sud)
  • N’est-ce pas aussi ce qui a été prédit ou vu par Dostoïevski dans son roman «  les Possédés»


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