PATRIMOINE : L’Arche

Posté le samedi 23 novembre 2019
PATRIMOINE : L’Arche

 

 

Le colonel Jean-Jacques Noirot nous laisse imaginer ce qui s’est passé dans la tête du président de la République à l’Arc de Triomphe le 11 novembre dernier puis, 8 jours après, quand il a appris les dégradations faites à la stèle du maréchal Juin. Il faut espérer que ce n’est pas pure fiction !



 

11 novembre 2019

 

« Marcher d’un grave pas et d’un grave sourcil »[1]… C’est ce que je me suis efforcé de faire, tout à l’heure, en passant les troupes en revue. Enfin, les troupes…plutôt les élèves des écoles militaires. Ils sont la France de demain, très différente de celle, violente et ébouriffée, qu’on nous présente souvent. Je le vois dans leurs regards. Ces jeunes sont solides. Ils diront : « J’y étais ! » en parlant de moi, se remettant en mémoire ce 11 novembre 2019. Ces militaires… ce sont des impassibles. Impossible de savoir ce qu’ils pensent. Il faudrait les encourager à s’exprimer davantage. La France est ainsi faite : ceux qui auraient des choses à dire se taisent, ou sont contraint au silence, et les encéphalogrammes plats braillent à tous les échos. J’admire sincèrement les soldats de la France, valeureux, disciplinés et fiers.

 

Me voilà sous l’Arc de Triomphe, devant la Flamme que je viens de raviver. Les caméras sont braquées sur moi. Je dois me concentrer. Célébrer le 11 novembre est une des figures imposées du rituel républicain. Concentrons-nous. Ceux qui me voient doivent pouvoir lire sur mon visage grave et recueilli une émotion non feinte devant cette tombe. Une tombe ? Non, ça n’est pas une tombe. C’est un tombeau. Une dalle sacrée. C’est même plus. C’est un point fixe, comme l’étoile des mages, qui rassemble, et vers lequel convergent tous les regards, toutes les volontés, toutes les forces qui constituent notre nation cherchant le chemin de l’Honneur et du devoir. N’est-ce pas là que la jeunesse rebelle de notre nation, aux heures sombres, est venue, au péril de sa vie, un 11 novembre, rassemblée et provoquante, défier l’occupant nazi ? Et c’est ici que gît celui qui rassemble la mémoire de tous ceux qui se sont sacrifiés pour défendre la patrie !

 

Il fait un temps de chien sous cet Arc. Les anciens, qui se tiennent comme moi, figés au garde-à-vous, l’appellent « l’Arche Immense ». C’est vrai qu’il est immense, cet Arc. Restons digne, marmoréen, comme eux. Dans un moment, je vais aller les voir, les écouter (si j’ai envie) et leur serrer la main. « Et d’un grave souris à chacun faire fête, avec un Messer non, ou bien un Messer si »[2]. J’en ai pris l’habitude. Je connais maintenant les classiques de la bonhommie populaire. Que vais-je lire dans leurs regards ? M’ont-ils pardonné l’affaire de Villiers ? Peu importe. Ils pourront me raconter leurs histoires. C’est ainsi qu’ils se soulagent. « Balancer tous les mots, répondre de la tête »[3]. Le métier de président, c’est aussi cela, et serrer la main du chef de l’État est un honneur auquel personne ne peut rester insensible.

 

C’est une drôle d’idée que de vouloir empaqueter l’Arc de Triomphe. C’est même complètement ridicule. Mais mon entourage n’a de cesse que de me dire que cette expression inhabituelle et transgressive de l’art va dans le sens de la grande Histoire que je veux écrire. Je n’ai pas le temps d’y réfléchir, et de creuser cette question. Je m’en remets à mon docile Premier ministre, qui trouve que ce Christo est génial. Va pour un emballage ! Cependant, je suis sûr que ces anciens qui m’attendent vont m’en glisser deux mots. Ils ne sont pas d’accord. Mais ils ne sont plus de mon temps, et leurs arguties me fatiguent. Je saurai « Entremêler souvent un petit E cosi, et d’un Son Servitor contrefaire l’honnête »[4].

 

D’ailleurs, s’il n’y avait pas le Soldat inconnu et la Flamme, hauts symboles de la gloire passée de la France, ce monument ne serait pas grand-chose. Un palais des courants d’air, une architecture massive, bien décorée et, fort heureusement, inachevée, posée là pour clore une perspective que le monde entier nous envie et veut voir. Sachons distinguer le tombeau des cailloux, fussent-ils de belle prestance et chargés d’Histoire par ce qu’on peut y lire en admirant ses bas-reliefs. Que les bandes molletières de Christo préservent le sarcophage et laissent brûler le feu sacré et je donnerai mon aval. Si elles cachent un moment les coqs républicains aux serres d’aigle impérial, ça n’est pas grave.

 

 

18 novembre 2019

 

Je m’attendais à tout, sauf à cette offense faite au maréchal Juin. Fracasser son monument pour en jeter violemment les débris sur les forces de l’ordre, c’est indigne. Juin est un grand soldat, le seul qui de son vivant ait été élevé au lendemain de la guerre à la dignité de maréchal. Son brillant fait d’armes au Belvédère pendant la bataille de Monte Cassino a valu à une promotion de l’EMIA de porter le nom prestigieux de ce combat de géants. Le maréchal Juin a aussi donné son nom à une promotion de Saint-Cyr. Ça n’est pas rien ! C’est un héros de notre Histoire. Ces désordres honteux et cette offense sacrilège qui lui ont été faits sont intolérables.

 

Mais il faut dire que je n’ai pas été très adroit avec les maréchaux de la Grande Guerre. Est-ce parce que j’ai choisi d’honorer les Poilus plutôt que leurs chefs qu’aujourd’hui démolir le monument d’un maréchal n’a pas heurté les consciences de ces casseurs anarchistes ? Je m’aperçois que tout ce que je dis ou fait ne sera jamais innocent.

Mes erreurs, tôt ou tard, se payent cash et au prix fort. Je n’aurais pas dû oublier les maréchaux. C’était injuste.

C’est pourquoi laisser faire l’emballage de l’Arche Immense serait un mauvais signal donné à tous ceux qui ne respectent pas nos institutions républicaines et profanent nos monuments et les symboles de nos gloires passées. Ils veulent mettre à bas nos valeurs. Ils sont, avec d’autres, les dangers d’aujourd’hui et de demain. Il y a mieux à faire que de donner libre cours à l’imagination envahissante, voire iconoclaste d’un artiste fût-il avant-gardiste, et somme toute en accord avec ma volonté de briser les conventions, les cadres et les habitudes routinières.

 

Mais il ne faut pas aller trop loin. La France a besoin, dans sa diversité si difficile à faire admettre, d’unité et de cohésion, et l’Arc de Triomphe, qui l’an dernier déjà a subi des outrages, est un des lieux sacrés où le peuple de France peut se rassembler et s’unir. Notre nation est là, dans ce lieu ouvert aux quatre vents, qui lui apportent la force de son esprit, le recueillement pour son âme, la puissance pour la chair et le sang de son peuple et le souffle de son épopée. L’Arc de Triomphe, c’est la France tout entière debout. L’emballer, c’est le réduire à un objet ordinaire ne représentant rien.

 

C’est décidé. Son emballage ne devra pas se faire. Je m’y opposerai !

 

Jean-Jacques NOIROT
Colonel (er)
Membre de l’ASAF

 

[1] Joachim Du Bellay, Les Regrets.

[2] Ibidem.

[3] Ibidem.

[4] Ibidem.

 

Diffusé sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr

Source : www.asafrance.fr