L’ARMÉE, épée de la France et bouclier de la République

Posté le mercredi 12 décembre 2018
L’ARMÉE, épée de la France et bouclier de la République

Si la France s’est faite « à coups d’épée » depuis 2000 ans, l’Armée est devenue le bouclier de la République depuis 200 ans.

1789 L’Armée devient celle de la nation

On oublie souvent que la Révolution n’est pas née du 14 juillet, mais d’une succession de journées d’émeutes populaires et qu’à l’origine, il s’agissait d’émeutes de la misère et pas d’une volonté de changer de régime, imposée progressivement par les élus. Dès le 12 juillet, le prince de Lambesc fait  charger le Royal-Allemand contre la foule massée aux Tuileries pour protester contre la hausse du prix du grain, qui est à son plus haut niveau. Il y a des morts et des blessés. Mais les émeutiers ne désarment pas, et des régiments de Gardes suisses sont envoyés sur le Champ de Mars. Dans la soirée, les Gardes françaises s’opposent dans une échauffourée aux cavaliers du Royal-Allemand. Cette troupe d’élite, célèbre pour sa tenue au feu à la bataille de Fontenoy, n’est pas une troupe de mercenaires étrangers, mais des soldats issus du peuple français et qui s’émeuvent que l’on maltraite ce dernier. Dans la journée du 13 juillet, les émeutiers brûlent les péages qui enserraient Paris puis, au soir, ils se donnent un symbole, une cocarde rouge et bleu aux couleurs de Paris. Une maladresse est alors commise par Louis XVI, moralement affaibli par la mort de son fils aîné, le premier Dauphin décédé un mois plus tôt - élément souvent oublié des historiens-. Le roi, inquiet, demande que les Suisses remplacent les Gardes françaises à la porte de sa chambre pour la nuit. Ces dernières se sentent insultées dans leur honneur militaire. Guère étonnant que, le lendemain 14 juillet, quand les émeutiers sont repoussés de la Bastille où ils sont venus réclamer de la poudre, les Gardes françaises se joignent aux assaillants. Après un rapide échange de feu, le gouverneur rend les armes avec sa garnison d’invalides de guerre. Il est massacré par les émeutiers. Néanmoins, dans un souci de réconciliation, dans la soirée, les chefs des émeutiers réunis à l’Hôtel de ville de Paris ajoutent le blanc à leur cocarde : c’est là que naît le drapeau tricolore. C’étaient déjà les couleurs de l’uniforme des Gardes françaises. Ce même jour, sont créées à partir de ce régiment et de bourgeois volontaires la Garde nationale. Le 14 juillet, l’Armée du Roy devient celle de la nation. Louis XVI, otage des circonstances, n’a plus que les Gardes suisses et une poignée de gentilshommes pour le défendre. Ils seront massacrés lors d’une attaque des Tuileries le 10 août 1792 par l’action conjuguée des sans-culottes, qui arborent le bonnet rouge des galériens, et surtout par l’action militaire de la Garde nationale. Les guerres de la Révolution et de l’Empire, avec la conscription, créent un pacte de sang entre la nation et son armée qui devient son ultime recours.

1870 L’Armée protège la République

1870, c’est » l’Année terrible », la défaite face aux armées de la Prusse et des royaumes allemands. Malgré sa défaite et la capture de l’empereur Napoléon III à Sedan, l’Armée continue le combat. Le 4 septembre, par un coup d’État les Républicains envahissent le Palais Bourbon, siège de l’Assemblée nationale où ils étaient déjà représentés. Ils proclament la déchéance de l’Empire et l’avènement de la République. C’est une République combattante qui s’installe et derrière laquelle l’Armée se range, car « la Patrie est en danger ». Si elle soutient le régime républicain né d’une insurrection, l’Armée se conçoit avant tout comme celle de la nation, car les régimes passent mais la France reste. Le XIXe siècle a été celui des révolutions. En 1830, une partie de l’Armée combat les révolutionnaires à Paris mais la majorité leur est favorable : la monarchie de Charles X tombe. Dix-huit ans plus tard, la Garde nationale se joint aux émeutiers républicains dans les rues de Paris, il n’y a pas de combats, Louis-Philippe cède devant la République. Le Second Empire naît d’un coup d’État du Prince-Président Louis-Napoléon, largement plébiscité. Beaucoup d’officiers sont orléanistes et le surnomment « tête de veau » mais ne s’opposent pas à la volonté populaire. Ils accusent l’empereur Napoléon III de laisser péricliter la belle armée organisée par Louis-Philippe et de confier les promotions au favoritisme. Après des succès coûteux en Crimée et en Italie, plus une aventure au Mexique, l’Armée ne parvient pas à suivre l’évolution technique et subit une défaite héroïque en 1870. Le Prussien vient juste de lever le siège de Paris et occupe encore l’Est de la France que l’extrême-gauche se révolte à Paris : c’est la Commune qui détruit plus de monuments nationaux que l’artillerie prussienne, exécute otages et négociateurs. Il y a un divorce entre les républicains et les socialistes, entre le drapeau tricolore et le drapeau rouge. L’Armée choisit de défendre la République dont les représentants sont, ironie de l’Histoire, regroupés à Versailles. La République l’emporte, mais dans le sang. Même si le Maréchal de Mac Mahon, président de la République, serait favorable à une restauration monarchique, il ne l’impose pas et suit l’assentiment populaire. La République prépare la Revanche et « l’Union sacrée ». Tous les Français, des monarchistes aux socialistes, communient dans le culte de la nation, seul élément rassembleur da  ns une période fertile en péripéties politiques et affaires diverses... Le service militaire et l’école laïque forment les deux piliers du régime. Aujourd’hui, l’un a disparu et l’autre vacille.

1944 L’Armée rétablit la République

Le 26 août 1944, c’est un militaire, le Général de Gaulle qui, acclamé par une foule immense sur les Champs Elysées, incarne la Libération de Paris et qui y restaure la République. Celle-ci avait été mise entre parenthèses quatre ans plus tôt, quand l’Assemblée nationale, en proie à la panique, s’était défaussée de ses responsabilités politiques sur un autre militaire investi des pleins pouvoirs, le Maréchal Pétain. Le « héros de Verdun » de beaucoup d’anciens combattants, le « Maréchal républicain » que vantait le Front populaire engage la France dans l’aventure funeste de la Collaboration avec l’Allemagne. Néanmoins, force est de constater qu’en 1940 le destin antagoniste de la France est incarné par l’Armée : de Gaulle pour la Résistance, Pétain pour la Collaboration. En 1940, la France avait « perdu une bataille », mais comme l’avait prévu de Gaulle, quatre ans plus tard, elle gagne la guerre grâce à « la force mécanique » des Alliés et à la Résistance qui a libéré un quart du territoire national. La libération de Paris en août 1944 est emblématique du pacte de sang entre l’Armée et le peuple français. L’insurrection est lancée par Rol-Tanguy, un communiste patriote. Elle paralyse et déconcerte les Allemands, mais elle aurait été écrasée si la 2e Division Blindée du Général Leclerc, un aristocrate lecteur de l’Action française, n’avait pas porté le coup final. Les forces de l’Ordre, jusque-là fidèles au Maréchal, sont passées à l’insurrection dans un sursaut patriotique tardif mais nécessaire. C’est la France qui s’est soulevée à Paris en août 1944. Il faut noter que malgré plus de 4 000 tués, il n’y pas eu de « casseurs » pour vandaliser les magasins… En définitive, c’est un Général qui est à la tête du Gouvernement Provisoire de la République française. Deux ans plus tard, il est évincé du pouvoir par les politiques qu’il a rappelés et qui le mettent à la retraite avec le grade et la retraite de Colonel. Visionnaire en 1940, de Gaulle le reste et prédit que le « régime des partis » institué par la IVe République ne durera pas. Prédiction assurée car un pouvoir confisqué par une coalition de partis minoritaires dans l’opinion, mais majoritaires dans les institutions.

1958 L’Armée instaure la Ve République… et maintenant ?

Le 13 mai 1958 à Alger, dans un contexte de crise coloniale, les Français d’Algérie envahissent l’immeuble du gouvernement général. Un comité de salut public est créé dans la tradition révolutionnaire. Le Général Massu en prend la tête et le lendemain appelle le Général de Gaulle à former un nouveau gouvernement. Le « putsch d’Alger » est soutenu par l’Armée dont les troupes de choc se trouvent en Algérie. Après une courte période d’incertitude, le gouvernement démissionne. De Gaulle appelé au pouvoir annonce qu’il va lancer une nouvelle constitution, avec un pouvoir présidentiel appuyé sur le référendum. C’est chose faite à la fin de l’année. Bien que dans l’illégalité, « les putschistes d’Alger » ont raison devant l’Histoire. Pouvoir présidentiel, la Ve République ne puise son équilibre démocratique et sa légitimité populaire que dans le référendum. Sur une courte période de onze ans, de Gaulle lance la moitié des référendums faits en soixante ans. Il démissionne d’ailleurs en 1969 sur l’échec du dernier. Progressivement, la constitution de la Ve République est détricotée. La souveraineté et l’unité reculent devant l’Europe et la régionalisation. La légitimité s’érode avec la disparition du référendum. Le « régime des partis » revient aux commandes et l’image d’une démocratie bloquée s’impose avec des majorités qui représentent, en fait, 25 à 30% de l’électorat.

Au début du XXIe siècle, l’Armée, amputée par de constantes restrictions budgétaires entamées au nom des « dividendes de la paix », est néanmoins engagée  dans d’interminables missions extérieures de maintien de ladite paix. En outre, elle doit, comme pendant la guerre d’Algérie, patrouiller dans les rues pour protéger le peuple contre les agressions du terrorisme islamique. Bien que François Mitterrand ait aboli les efficaces lois de 1962 sur la Défense opérationnelle du territoire, c’est elle qui supplée aux forces de l’Ordre dans ces missions de patrouille, sporadiquement depuis 1991, et en permanence depuis 2015 dans le cadre de l’opération Sentinelle. L’Armée reste fidèle au pacte créé avec le peuple en 1789, même à une époque où tout se vend, où l’officier supérieur est payé comme un cadre moyen et le général de division comme un directeur de supermarché. Reste un avenir frappé d’incertitude, où certains devront choisir entre une carrière et un destin.

 

Philippe RICHARDOT
Professeur agrégé et docteur d'Histoire

Texte diffusé par l’ASAF  www.asafrance.fr 

Source : www.asafrance.fr