La deuxième vie des MILITAIRES BLESSÉS 

Posté le vendredi 10 mai 2019
La deuxième vie des MILITAIRES BLESSÉS 

Revenus d’opérations handicapés par une meurtrissure physique ou psychologique, ces ex-soldats parviennent à rebondir dans les entreprises qui misent sur les compétences acquises au sein de l’armée.

Handicap

« La personne, qu’il s’agisse d’un civil ou d’un militaire, est au cœur de notre démarche. » Patron de Distribution Services industriels (DSI), Jean-Louis ­Ribes dirige une entreprise comme les autres, mais exceptionnelle à double ­titre. Pour sa « success-story », avec ses 120 métiers et des clients comme Air France ou Airbus. Et aussi parce que ses quelque 930 salariés (dont le nombre progresse à raison de 15 % par an) sont handicapés pour 85 % d’entre eux.

Depuis 2018, l’entreprise « adaptée » DSI, dont le siège est à Toulouse, ouvre ses portes à d’anciens militaires blessés. Un premier salarié travaille dans les métiers de la logistique industrielle (en l’occurrence dans le contrôle de cabines d’Airbus), sept dossiers sont en cours de traitement et Jean-Louis Ribes veut embaucher une vingtaine d’anciens militaires en 2019. « Je suis un enfant de la ­République, explique-t-il, et c’est notre responsabilité d’aider ceux qui ont servi notre pays. Les personnes handicapées militaires sont des gens solides, bien formés. Et pour le reste de notre personnel, c’est intéressant de voir qu’on n’est pas seulement handicapé de naissance ou après un accident de la route mais qu’on peut aussi l’être aussi pour avoir servi la nation. » Le contact entre l’armée et DSI s’est noué il y a quelques années sur un salon de recrutement via la cellule d’aide aux blessés de l’armée de terre (CABAT). Une structure qui prend en charge les militaires blessés et qui existe également pour la marine et l’armée de l’air.

Continuer à servir au-delà du handicap et du traumatisme et s’adapter à une vie civile forcément différente de la vie militaire, souvent plus intense mais aussi plus protégée. Tel est le défi relevé, à DSI mais aussi dans beaucoup d’entreprises « classiques », par des hommes et des femmes meurtris dans leur chair et leur âme.

Soutien et accompagnement 

C’est le cas de Laurent, 42 ans, dont plus de vingt passés dans l’armée de terre. Engagé à 20 ans comme simple soldat, pilote de char, il est parti à plusieurs reprises en Opex : en ex-Yougoslavie, au Tchad et au Mali en 2014. Au retour de ce dernier séjour, Laurent, marié et père de trois enfants, est saisi de peurs irrationnelles, fait des cauchemars. Le diagnostic tombe : le caporal-chef souffre d’un syndrome de stress post-traumatique (SSPT). « J’ai mis du temps à comprendre que j’étais blessé et pas malade. Je pensais qu’en prenant quelques cachets ce serait fini mais le traumatisme est bien plus profond. » Laurent comprend qu’il lui faut penser à l’avenir dans le civil. De son propre chef, et avec le soutien de l’institution militaire - « Ce n’est pas toujours facile pour un militaire de savoir se vendre à l’extérieur » -, il trouve un emploi de chauffeur dans une entreprise du BTP. « Très bien accueilli et intégré », il se dit même « un peu chouchouté » et a moins de cauchemars même si « les nuits ramènent toujours les peurs ».

Ces peurs, Alexandre, 29 ans, a aussi réussi à les dépasser pour s’offrir une nouvelle vie. Au cours de ces douze ans passés dans l’armée de Terre, ce caporal-chef, conducteur de véhicule de l’avant blindé, tireur mais aussi sauveteur au combat niveau 2, a effectué deux séjours en Afghanistan (2010 et 2012) avant de passer quatre mois au Mali en 2014. Comme Laurent, c’est après l’Afrique que le SSPT a frappé, avec les mêmes symptômes. Confronté aux combats, aux morts, aux blessés, Alexandre a « fait son travail » et en a payé le prix. Il se dit encore « fragile ». « Il faut vivre avec », affirme-t-il. Il travaille aujourd’hui dans une entreprise de BTP de Bourgogne. Avec un objectif professionnel : devenir conducteur de pelle mécanique.

Au-delà de leur blessure, Laurent et Alexandre proclament leur fierté d’avoir servi. Le premier explique que « l’armée sera toujours (sa) vie et (sa) famille » alors que le second se souvient de « belles missions avec des moments très durs » et dit « ne rien regretter ».

Un attachement à l’armée qui s’explique aussi par le soutien et l’accompagnement dont ils ont fait l’objet. Pour Alexandre et pour beaucoup d’autres, ce soutien et cet accompagnement sont passés par Défense Mobilité, l’agence de reclassement du ministère de la Défense. Son patron, le général Pierre-Henri ­Roche, use d’une image militaire : « Comme la Légion, nous n’abandonnons personne derrière nous. » Au service de cette obligation morale d’aider ceux qui ont risqué leur santé et leur vie pour la nation, Défense Mobilité mobilise les services de ce qui constitue de facto une structure figurant dans le top 5 des groupes de placement.

Chargée de gérer la transition professionnelle des mili­taires, des agents civils et de leurs conjoints, cette structure ­travaille avec pas moins de 7 000 entreprises et services de la fonction publique et « gère » bon an mal an un peu plus de 20 000 personnes, valides dans leur immense majorité, dont 17 000 militaires, quelques centaines de personnels civils et de 2 000 à 3 000 conjoints. Les deux tiers sont finalement reclassés.

Chaque jour, en étroite association avec le monde de l’entreprise, comme le Medef, qui vient de publier une brochure, « Recruter dans vos équipes un militaire blessé : un engagement pour l’entreprise », cette belle mécanique est mise au service des militaires blessés physiquement et psychiquement. Un engagement d’autant plus essentiel qu’en cette période d’alerte antiterroriste, beaucoup d’entre eux ont été touchés dans des opérations visant ceux-là mêmes qui rêvent de tuer des civils en France.

Jean Chichizola
Le Figaro

Rediffué sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr 

 

Source : www.asafrance.fr