GUERRE EN UKRAINE. La guerre russo-ukrainienne ou le « en même temps » de Washington    

Posté le samedi 28 janvier 2023
GUERRE EN UKRAINE.  La guerre russo-ukrainienne ou le « en même temps » de Washington      

Parlons clair ! On ne peut pas comprendre ce qui se joue en Ukraine si l’on n’adopte pas cet axiome : « Les Américains veulent que l’Ukraine gagne la guerre, mais, en même temps, ils ne veulent pas que la Russie la perde ».

L’objectif de Washington est que la Russie soit suffisamment affaiblie pour ne plus avoir les moyens de concrétiser ses ambitions impériales et ne plus être tentée de « reconquérir » les territoires d’anciens membres de l’URSS ou de ses satellites. Mais, pour autant, les Américains ne souhaitent pas que la Russie s’effondre et laisse place au chaos ou, pire encore, que, poussé dans ses retranchements, monsieur Poutine ne déclenche l’apocalypse en s’appliquant à lui-même, la maxime de Louis XV : « Après-moi le déluge ».

Avant le 24 février, la politique étrangère américaine était focalisée sur la zone indopacifique et un bras de fer avec la Chine était engagé. L’agression contre l’Ukraine a obligé Washington, à son grand dam,  à s’intéresser à nouveau à l’Europe. Pour ne pas réitérer cette expérience et pouvoir se réorienter vers  leur objectif principal, les États-Unis doivent donc avoir l’assurance que l’ours russe aura les griffes suffisamment rognées pour ne plus se lancer dans une telle aventure. Toutefois, ils savent aussi que, comme l’ont démontré les fâcheuses expériences irakienne ou libyenne, éliminer un dictateur peut ouvrir la voie, à travers l’effondrement de l’État concerné, à toutes sortes d’aventures plus préoccupantes encore que l’état ante.

Mais comment saura-t-on et à quel moment cette guerre se terminera et qui  l’aura gagnée ou perdue ? Un seul indicateur donnera la réponse : c’est la Crimée, principal nœud de ce conflit. Ce que sera le statut de la Crimée à la fin du conflit nous indiquera clairement qui aura gagné et qui aura perdu et, pour le vainqueur, s’il s’agira d’une victoire totale ou d’une victoire partielle.

Et précisément, sur cette question, quelle est la position américaine ? Alors même que pour bon nombre de pays, y compris, par exemple, pour la Serbie dont le président, Aleksander Vucic, est un allié de Moscou, la chose est entendue : la Crimée fait bien partie de l’Ukraine et la victoire de cette dernière ne peut s’envisager sans sa reprise, la position américaine est loin d’être aussi claire. Écoutons le secrétaire d’État Antony Blinken qui affirmait début décembre dernier : « Nous nous concentrons sur le fait de continuer ce que nous avons commencé, ce qui signifie nous assurer que l’Ukraine a entre les mains ce dont elle a besoin pour se défendre, ce dont elle a besoin pour repousser l’agression russe et pour reprendre les territoires envahis depuis le 24 février ». De fait, la Crimée, envahie puis occupée depuis 2014, se trouve exclue de cet objectif.

L’on pourrait rétorquer que, cependant, les Américains livrent quantité d’armes et, au fil du temps, des armes de plus en plus techniquement évoluées dont certaines, comme les chars Bradley ou, mieux encore, les chars Abrams, peuvent être qualifiées d’offensives. Mais que signifie cette classification entre armes défensives et armes offensives, dès lors qu’elles servent toute pour la défense et la libération d’un pays envahi dont l’existence même est menacée ? Quand bien  même les chars seraient utilisés par les Ukrainiens pour des actions offensives locales, celles-ci s’inscriraient dans le cadre d’une guerre qui, depuis le 24 février 2022, est bien défensive. Il n’est guère imaginable que les Ukrainiens souhaitent, avec leurs chars occidentaux, rejouer la bataille de Koursk (juillet-août 1943), ville proche de la frontière ukrainienne, mais en Russie, où 6 000 chars furent engagés.

En vérité le véritable test est à venir, mais ses prolégomènes se mettent déjà en place. En effet, monsieur Zelensky, après avoir obtenu une relative satisfaction à sa demande de chars, réclame désormais des avions de chasse. Il l’avait déjà fait au début du conflit et la réponse américaine avait été clairement négative. Il est en effet plus facile, au contraire des chars, que, compte tenu de la faible profondeur des zones de combat à l’est est au sud de l’Ukraine, des avions ukrainiens se retrouvent de l’autre côté. Cela changerait grandement la donne car le risque d’attaque du sol russe serait grand.

De plus, l’Ukraine serait en situation de frapper profondément en Crimée où se trouvent bases et aéroports russes, voire de couper définitivement le pont de Kertch, vital pour le ravitaillement russe en Crimée et de là, dans l’ensemble des zones de combat. La liberté d’action des forces russes serait considérablement gênée.

Alors, des avions ou pas d’avions ? Le secrétaire d’État américain à la Défense, monsieur Lloyd Austin, a dit et répété que les États-Unis avaient leurs propres objectifs stratégiques dans cette guerre, à savoir arrêter monsieur Poutine et affaiblir l’armée russe à un point tel qu’elle ne sera plus en mesure de menacer d’autres nations. La manœuvre est très subtile, car elle repose sur un juste dosage entre fragiliser l’action russe sans que la guerre s’enlise définitivement et placer Kiev en position de force pour que de véritables négociations puissent débuter sans pour autant que Kiev ait atteint tous ses objectifs de reconquête.

Il faut donc, dit monsieur Austin, fournir à l’Ukraine « le bon équipement » et « le bon soutien », sous-entendu, ce qu’il faut mais pas plus, c'est-à-dire le strict nécessaire obligeant la Russie à négocier avant qu’elle n’ait perdu la guerre.

 

 

Gilbert ROBINET
Secrétaire général de l’ASAF

 

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Source : www.asafrance.fr