LA LETTRE DE L’IRSEM (n°4-2014) : Dossier stratégique : Quelles stratégies étatiques dans le monde arabe face au jihadisme ?

Posté le lundi 01 décembre 2014
LA LETTRE DE L’IRSEM (n°4-2014) : Dossier stratégique : Quelles stratégies étatiques dans le monde arabe face au jihadisme ?

AVERTISSEMENT: Les opinions émises dans ce document n'engagent que leurs auteurs. Elles ne constituent en aucune manière une position officielle du ministère de la Défense, ou d’une autre institution.

Editorial Par Flavien Bourrat, responsable de programmes Afrique du Nord, Moyen-Orient à l’IRSEM.

Une nouvelle donne issue des ruptures politiques et institutionnelles.

Expression la plus radicale de ce qui est convenu d’appeler la mouvance islamiste, le jihadisme contemporain (ou salafisme-jihadiste) se distingue, sur le plan idéologique, par son rejet de la modernité politique incarnée par l’Etat-Nation, et au niveau des modes d’action par l’usage de la violence. Depuis sa naissance dans les maquis afghans des années 1980 jusqu’à son basculement et sa montée en puissance dans les pays du monde arabe au cours des années 1990, ce phénomène a constitué, à des degrés d’intensité divers dans l’espace comme dans le temps, un défi sécuri-taire majeur pour les Etats de la région. La réponse apportée par ces derniers a, dans un premier temps, privilégié l’usage de la force, ou, pour employer une expression en vigueur lors de la guerre civile algérienne, une politique d’éradication. Le contexte de « guerre globale contre la terreur » né des attentats du 11 septembre, s’il a suscité de nouvelles vocations au sein de la mouvance jihadiste, en dépit des coups portés à la direction du réseau Al Qaida par les Etats-Unis, a été reçu par les régimes arabes les plus engagés contre ce courant comme un encouragement, la promesse d’un soutien international et enfin une légitimation rétrospective de leur choix en faveur d’une politique éradicatrice. Pour autant, les acteurs étatiques engagés dans cette lutte ont pris conscience à ce moment que les moyens policiers et militaires ne suffisaient pas à enrayer une menace qui prenait racine sur un terreau idéologico-religieux particulier. Par conséquent, les politiques de répression devaient s’accompagner d’un double processus de désengagement : faire sortir les militants jihadistes de la clandestinité et des maquis, et de déradicalisation : les faire renoncer, par un travail de « rééducation », aux idéologies radicales et aux méthodes violentes. On a ainsi assisté, à partir du milieu des années 2000, à la mise en place d’initiatives étatiques basées sur l’amnistie et la rééducation, là où le jihadisme était le plus actif : « Prevention, Rehabilitation and Aftercare » en Arabie Saoudite, « Comité Yéméni-te pour le dialogue » mis en place par le gouvernement de Sanaa, processus de déradicalisation en Egypte s’appuyant en particulier sur les positions publiques de l’ex émir du groupe al Jihad, réintégration des éléments terroristes et radicaux en Algérie initiée en 1999 par la «Concorde civile » et institutionnalisée en 2005 avec l’adoption de la « Charte pour la paix et la réconciliation nationale ». Ces politiques, associant actions éducatives et juridiques avec le maintien d’une pression militaro-sécuritaire, a incontestablement abouti à des résultats sans qu’il soit toutefois pos-sible d’en évaluer la part jouée par chacun des deux modes d’action. Le bilan final est apparu en fin de compte assez contrasté d’un pays à l’autre. On a pu ainsi constater que l’efficacité de moyens mis en avant dépendait de l’environ-nement social, culturel et politique. Là où ce dernier restait dégradé, comme en Algérie ou au Yémen, une violence jihadiste persistait, et parfois se régénérait en dépit de succès obtenus par les appareils étatiques.

Le cycle de ruptures en chaîne, provoqué par les Révolutions arabes à partir de janvier 2011 et non achevé à ce jour, a bouleversé cette architecture sécuritaire en redonnant aux mouvements jihadistes une visibilité et un regain d’acti-vité. Cette évolution particulièrement visible dans les pays où les révoltes ont abouti à un renversement du pouvoir en place : Tunisie, Libye, Egypte et Yémen, s’est opérée en trois temps. Au départ, elle a été rendue possible par l’af-faiblissement des appareils sécuritaires – en particulier policiers – sur lesquels les gouvernements appuyaient leur politique d’investigation et de répression, intervenu conjointement avec la libération de militants jihadistes. Dans un second temps, ces derniers ont, plus par opportunisme que par conviction, cherché à s’insérer dans le nouveau champ politique, pluraliste et libéralisé, insistant davantage sur la prédication que sur le jihad (sauf en Syrie), mais refusant d’être institutionnalisés. A l’issue d’élections ayant amené au pouvoir des mouvements se réclamant de l’islamisme politique, ces derniers ont opté pour une démarche pour le moins ambigüe vis-à-vis de la mouvance sala-fiste jihadiste, cherchant, dans le cas tunisien, à les « récupérer » pour les canaliser ou s’en faire, le cas échéant, des alliés politiques; soit, dans le cas égyptien, à recycler d’anciens responsables au sein de hautes fonctions officielles ou pour jouer les médiateurs avec les jihadistes présents dans le Sinaï. Enfin, le troisième moment a été marqué par une reprise en main sécuritaire dans la plupart des Etats concernés : au printemps 2012, avec la reprise par les for-ces gouvernementales yéménites du contrôle du gouvernorat d’Abyan, auparavant occupé par Al Qaida dans la Pé-ninsule Arabique (AQPA); en juin 2013 après le renversement du gouvernement Frères Musulmans par l’armée égyptienne; enfin avec le classement fin août 2013 par le gouvernement tunisien d’al Ansar al Charia, principale or-ganisation jihadiste tunisienne, comme mouvement terroriste. La conséquence de ce tournant a été de priver les jihadistes de la latitude d’action, soit politique soit territoriale, qu’ils avaient auparavant, et de les inciter à reprendre ou à intensifier la violence armée ou terroriste.

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Source : IRSEM