La stratégie d'expansion d'Erdogan : libre opinion d'Alexandre del Valle

Posté le mercredi 04 septembre 2019
La stratégie d'expansion  d'Erdogan : libre opinion d'Alexandre del Valle


Alexandre Del Valle :
« Le pouvoir turc mise sur la mauvaise conscience occidentale »

Pour le géopolitologue, auteur de La stratégie de l'intimidation: du terrorisme jihadiste à l'islamiquement correct, les velléités de la Confédération Islamique Milli Görüs (CIMG), porteuse du projet d’école coranique à Lormont (Gironde) se confondent avec celles d’Ankara, expliquant la stratégie d’expansion en Europe du « néo-sultan » Erdogan. 



Quelle est la matrice idéologique du Milli Görüs ?

Le Milli Görüs est la maison-mère de tous les partis islamistes turcs depuis des décennies, pourtant représentée au sein du bureau exécutif du CFCM (Conseil Français du Culte Musulman), dont elle détient la vice-présidence.  

Son idéologie est marquée par un fort antisémitisme fustigeant régulièrement le « lobby juif » ou « l’alignement de l’Allemagne » sur la politique pro-israélienne des Etats-Unis. Assimilant la société « infidèle » à la pédophilie et la pornographie, le Milli Görüs prône le repli communautaire et condamne tout processus d’intégration à la société européenne « impie », tout en voulant apparaître auprès des autorités comme un pôle islamique « modéré ».

Comme les Frères-musulmans, son objectif majeur en France comme en Europe est de « réislamiser/désassimiler » les musulmans, c’est-à-dire empêcher leur assimilation à la communauté nationale. Sa spécificité est d’accorder une place particulière aux Turcs au sein de l’islam, en tant que derniers détenteurs du Califat ottoman, aboli en 1924 par le laïcard Atätürk, leur bête-noire. Son idéologie panislamiste est : « l’islam est la Charià et la charià est l’islam ». 

Quelle est son influence dans l’Islam en France ?

Depuis juillet 2017, l’islam de France dit « officiel », celui du CFCM, est présidé par un fidèle militant pro-Erdogan très proche de l’AKP, des idées du Milli Görüs et des Frères Musulmans: le franco-turc Ahmet Ogras.
Également président du Comité de coordination des musulmans turcs de France (CCMTF), militant islamiste hostile aux lois républicaines interdisant le voile et la burqa dans les lieux publics, Ogras incarne l’irrédentisme turco-néo-ottoman d’Erdogan à l’assaut de la diaspora turque-sunnite de France. 

L’éducation est donc pour eux un secteur clé à investir ?

L’OPA d’Erdogan sur la diaspora turque de France et d’Europe via les écoles et les mosquées est manifeste. L’idée du néo-sultan est de démultiplier les lycées turcs en France, notamment à partir de l’Alsace, bastion de la diaspora turque dans l’Hexagone. Le pouvoir turc poursuit sa stratégie d’intimidation diplomatique et d’expansionnisme en Europe en misant sur la mauvaise conscience occidentale.  

Ses militants dispensent des cours de Coran et de droit islamique à 70 000 enfants en Europe, principalement en Allemagne, mais aussi en Belgique et en Suisse. En France, on peut dire que ses projets d’enseignement islamique sont en pleine expansion. Récemment, Jean-Michel Blanquer vient d’autoriser l’ouverture d’une école élémentaire hors contrat islamiste à Strasbourg à leur initiative. Deux autres projets sont sur la table à Belfort et Besançon.

Comment l’organisation est-elle implantée en Europe en général, et en France en particulier ?

Partout en Europe, le Milli Görüs travaille étroitement avec les différentes structures des Frères Musulmans. Mais il a aussi pour rôle de maintenir les Turcs de la diaspora, d’Europe de l’Ouest et Balkans en priorité, comme des Turcs nationalistes capables de représenter une réserve électorale dans le cadre des desseins irrédentistes et politiques de la Mère-Patrie. Doté d’une forte capacité d’autofinancement obtenue jadis par les prélèvements sur les communautés immigrées (lorsqu'il était interdit en Turquie par les kémalistes), et aujourd'hui par l'Etat turc lui-même, le Milli Görüs est très présent en Allemagne, en Belgique, en Hollande, dans le Rhône ou dans l’Est de la France. Mais uniquement au sein de la communauté turque sunnite, puisqu'il ne considère pas comme musulmans les alévis, jugés « hérétiques ». 

L’organisation contrôle près de 230 mosquées du pays. Au niveau communal et local, elle a créé un nombre significatif d’associations sous des dénominations fort différentes. Elle tire sa légitimité de sa forte dimension sociale : propose des prestations sociales, des cours de langue ou d’informatique, se substitue même parfois à l’Etat en matière d’aide aux défavorisés ou de formation. 

Comment nos voisins européens réagissent-ils à cette volonté de conquête ?

Depuis 2015, plusieurs d’entre eux ont commencé à réagir face à cette offensive turque néo-ottomane. Tout d’abord l’Autriche, qui a mis hors la-loi l’islam non autrichien instrumentalisé par des organisations islamistes radicales ou des pays comme la Turquie, le Pakistan, l’Arabie saoudite, le Qatar et le Maroc, qui jouent un jeu trouble. 

Ensuite l’Allemagne, dont la justice fédérale a dénoncé le fait que des imams turcs fichent les fidèles turco-allemands des mosquées Milli Görüs dans le cadre de la stratégie électorale externe d’Ankara. Quant à la Suisse et la Suède, elles ont également lancé des procédures judiciaires contre les entités politico-religieuses turques néo-ottomanes jugées non loyales ou carrément subversives. Mais à part l’Autriche, l’ensemble des pays européens sont perméables à son activisme.

Qu’en est-il en France ?

En dépit des positions lucides du ministre de l’Education Blanquer et des récentes déclarations tout aussi clairvoyantes du président Macron sur le danger séparatiste islamiste, les pouvoirs publics n’ont pas pris de mesure concrète pour parer ce prosélytisme politico-religieux. Pourtant, nos services de renseignement ont informé que sur les 200 « professeurs de turc » postés dans les écoles françaises et les 180 imams sunnites entretenus par la Turquie, nombre d’entre eux agissent en relais du parti d’Erdogan voire même parfois en espions d’Ankara.

 

Quentin HOSTER
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Rediffusé sur le site de l'ASAF :  www.asafrance.fr

Source : www.asafrance.fr