Le général Bruno MAIGRET (Com FAS) répond aux députés

Posté le vendredi 26 juillet 2019
Le général Bruno MAIGRET (Com FAS) répond aux députés

 

Dissuasion nucléaire : les forces aériennes stratégiques

Réponse aux questions à l’issue de l’exposé initial




(Extrait du compte rendu d’audition du général Bruno Maigret
Commandant les forces aériennes stratégiques
devant la Commission de la Défense de l’Assemblée nationale
du 12 juin 2019)

                                  

 

 

 

 


(…)

M. André Chassaigne (député)

Mon général, la question que nous avons soulevée dans la LPM était l’utilité des FAS dans la dissuasion nucléaire française. Est-il utile de les garder, dans la mesure où la composante océanique semble mieux en mesure de maintenir une dissuasion partout dans le monde ?

Le Royaume-Uni a supprimé sa composante aérienne,
il y a plusieurs années, pour ne garder que sa composante océanique.
Quelles mesures la France pourrait-elle prendre pour limiter les coûts du nucléaire français, si elle ne supprime pas l’une de ses composantes ? Nous ne pouvons pas évaluer le prix, puisque nous ne disposons pas du détail du budget, au nom du « secret défense ».

Par ailleurs, la modernisation des ASMPA est-elle vraiment nécessaire ? Et pourquoi convient-il d’améliorer ces missiles ; ne sont-ils pas suffisants en l’état ?

 

Général Bruno Maigret (Com FAS)

Monsieur le président Chassaigne, je réalise que mon exposé est un échec complet, puisque je n’ai pas réussi à vous convaincre que nous faisons tous de la dissuasion mais pas de la même manière : une force qui se voit, l’autre qui ne se voit pas...
En temps de paix la pertinence de la FOST repose sur la permanence à la mer ; la fonction de la composante aéroportée, c’est la démonstration de la crédibilité de la dissuasion.

Les Britanniques ont cessé d’avoir une composante aéroportée en 1996, et leurs sous-mariniers sont les premiers à le regretter. Encore qu’il soit inexact de dire que le Royaume-Uni ne dispose d’aucune capacité de dissuasion aéroportée : l’OTAN possède une composante aéroportée et les Britanniques sont beaucoup plus impliqués que nous en ce domaine. Certes, le Royaume-Uni ne possède pas de tête nucléaire aéroportée, mais en cas de raid nucléaire de l’OTAN, ils pourraient y participer avec des moyens d’accompagnement.

Les systèmes d’armes français et britanniques équipant les composantes océaniques des deux pays ne sont pas totalement comparables. La coopération très étroite entre Américains et Britanniques permet à ces derniers de mettre en œuvre un système dont les caractéristiques techniques sont différentes du nôtre : je n’entrerai pas dans les détails.

Quant au budget de notre composante aéroportée, les crédits qui lui sont spécifiquement consacrés ne concernent que la mise en condition opérationnelle du missile et les infrastructures, le reste n’étant pas financé au titre de l’agrégat budgétaire nucléaire.
En d’autres termes, la composante aéroportée représente une petite partie des crédits alloués à la dissuasion. Les dépenses dans ce domaine sont motivées par les impératifs opérationnels, et permettent à l’armée de l’Air, du fait de la dualité, de conserver son savoir-faire en termes de haute intensité.

(…)

 

Jean-Jacques Ferrara (député)

Mon général, vous avez évoqué le bénéfice apporté par l’arrivée du premier Phénix – la livraison du second ne saurait tarder.

Estimez-vous la mise en œuvre de la capacité de transport du Phénix – transport de personnels, de fret ou d’évacuation sanitaire – pleinement compatible avec leur mission première au profit des FAS ?

Par ailleurs, les Phénix seront-ils un jour intégrés dans la flotte mutualisée au sein du commandement européen du transport aérien ?


Général Bruno Maigret
(Com FAS)

Monsieur Ferrara, s’agissant de la coopération avec le MRTT, je vous l’ai dit, nous serons en mesure de couvrir l’ensemble du spectre des missions : Morphée, transport stratégique, projection de puissance et dissuasion – cette dernière comptant pour 4 % de l’activité de ces moyens. L’enjeu est bien d’avoir les 15 MRTT en temps et en heure – les 12 premiers devraient être livrés en 2023 –, les C-135 étant particulièrement fatigués.

Concernant l’EATC, je rencontre très régulièrement le général Marbœuf, commandant l’European Airlift Tranport Command et les choses sont claires : les MRTT contribueront à l’effort français en faveur de ce mécanisme européen. Il reste à rendre conciliable leur utilisation dans un cadre multinational avec le fait que ces appareils constituent, du fait de leur participation à la mission de dissuasion, une force régalienne.
Quoi qu’il en soit, je pense que dans l’esprit du général Lavigne, c’est très clair : l’EATC disposera probablement, à terme, de trois appareils pour réaliser ses missions de transport stratégique, selon des modalités de transfert d’autorité restant à définir.

(…)


Mme Laurence Trastour-Isnart (députée)

Général, je vous remercie pour cette présentation très exhaustive. Avec ma collègue Anissa Khedher, en tant que rapporteures de la mission d’information sur le suivi des blessés, nous avons eu la possibilité de voir à Istres le kit Morphée, qui permet de prendre en charge le rapatriement sanitaire jusqu’à 11 blessés lourds et, si ma mémoire est bonne, jusqu’à 30 blessés légers. Combien de personnel faut-il pour armer le dispositif ? Par ailleurs, y a-t-il une coopération avec d’autres pays européens en matière d’évacuation sanitaire aérienne ?

 

Général Bruno Maigret (Com FAS)

Madame Trastour-Isnart, s’agissant du kit Morphée, nous l’avons installé après l’attentat de Karachi. Nous n’en possédions pas, ce sont ainsi les Allemands qui sont allés chercher nos blessés. J’ai exprimé le souhait que ce kit soit monté en permanence pour que nous puissions avoir la garantie d’aller chercher des blessés le plus rapidement possible, avec l’équipe médicale adaptée. J’espère que nous pourrons assurer cette permanence d’un avion équipé dès que nous aurons réceptionné trois ou quatre MRTT. Je vais prochainement m’entretenir avec la directrice du service de santé des armées pour définir combien de personnels seront nécessaires, et pour analyser les contraintes et les délais qui devront être respectés. Une fois l’avion équipé en permanence, le facteur dimensionnant en termes de réactivité sera le temps de mise en place à Istres de l’équipe médicale. Nous devons travailler ensemble pour que ces délais puissent correspondre aux besoins pour le rapatriement des blessés.

(…)

 

Jacques Marilossian (député)

Mon général, je vous remercie pour votre exposé et vos réponses. En tant que rapporteur du budget de la marine, je rappellerai que la force d’action navale nucléaire (FANu), moins connue, est également une composante de la dissuasion nucléaire. La FANu s’articule autour du porte-avions Charles-de-Gaulle et des Rafale Marine. L’amiral Pierre Vandier a écrit en 2018 un excellent ouvrage « La dissuasion au troisième âge nucléaire ». Un ouvrage qui retrace l’histoire de la dissuasion nucléaire, présente les évolutions stratégiques des puissances mondiales et aborde les défis du XXIsiècle.

La dissuasion nucléaire française repose-t-elle bien sur trois composantes : FAS, FOST, FANu ? Si oui, quels sont les rôles complémentaires de ces composantes dans le troisième âge nucléaire ?

 

Général Bruno Maigret (Com FAS)

S’agissant de la FANu, Monsieur Marilossian, je m’attendais à cette question. Je connais bien l’aéronavale, car j’ai servi pendant trois ans sur les porte-avions Foch et Clemenceau.
Je citerai l’amiral Rogel, en 2014 : « la FANu ne peut pas être comparée aux FAS, car elle constitue une force non permanente ». Il s’agit bien de deux niveaux d’ambition différents. La force permanente est composée de la FOST et des FAS tandis que la force de circonstance qu’est la FANu permet d’offrir des options supplémentaires au président de la République et, dans le dialogue dissuasif, correspond à l’une des façons de commencer à gravir « l’échelle de perroquets ».
Comme le disait l’amiral Rogel, la question, concernant la FANu, est celle des aménagements particuliers sur le porte-avions que nécessite la présence à bord de missiles nucléaires. Concernant le Charles De Gaulle, ils ont déjà été effectués et les capacités nécessaires sont disponibles.

Si la France décidait de se doter d’un nouveau porte-avions, faudra-t-il prévoir une capacité nucléaire sur ce porte-avions ? La réponse est oui. Cependant cette capacité ne permet pas de justifier à elle seule l’acquisition d’un nouveau porte-avions, qui répond à une autre logique militaire. Par ailleurs, je travaille régulièrement avec l’amiral Jean-Philippe Rolland, nous allons réaliser un exercice commun dans les mois qui viennent.

(…)

 

Thomas Gassilloud (député)

Mon général, un ancien chef d’état-major des armées déclarait : « S’ils n’ont pas compris que la dissuasion nucléaire permet d’atteindre le cœur de leurs intérêts vitaux, il faut leur faire comprendre d’une manière ou d’une autre, et rien ne peut mieux le faire que l’ultime avertissement ».

Dans le dialogue stratégique, j’aimerais que vous puissiez nous indiquer si vous possédez des moyens qui permettent au président de la République de disposer d’une option intermédiaire, avant d’envisager le déclenchement du feu nucléaire pour restaurer la dissuasion ?

Vous avez évoqué notamment la possibilité de faire décoller le raid nucléaire sans l’engager, c’est une première réponse, mais avons-nous d’autres moyens d’envoyer un ultime avertissement ? Je pense, par exemple, au fait de tirer un ASMPA non chargé ou d’utiliser des impulsions électromagnétiques.

Enfin, une question corollaire concernant le paramétrage des ASMPA. Si j’ai bien compris, le M-51 qui est tiré d’un SNLE est paramétré à son départ ; à quel moment ce paramétrage se fait-il dans le cadre d’un raid aérien ? Une question en lien avec celle de mon voisin, puisque dans le cadre des FANu les Rafale sont monoplaces, alors que dans le cadre des FAS, ils sont biplaces.

 

Général Bruno Maigret (Com FAS)

Quant à l’option intermédiaire, Monsieur Gassilloud, à savoir les frappes d’avertissement, elle fait partie du concept français. Elle répond à la question « comment restaurer la dissuasion » ? Nous passerions du monde conventionnel à une situation exceptionnelle dans laquelle les intérêts de la France seraient menacés et où il s’agirait d’éviter au président de la République d’en venir d’emblée aux frappes nucléaires par une gradation dans la riposte. Lors de son discours sur la dissuasion, le président Hollande a précisé qu’il n’y aura alors qu’un seul avertissement.

Le paramétrage de l’ASMPA renvoie à la question du contrôle gouvernemental. Sous la responsabilité du Premier ministre et sous le contrôle de l’inspecteur des armements nucléaires, le contrôle gouvernemental permet de garantir que seul le président de la République pourra donner l’ordre de frappe sur les objectifs qu’il aura lui-même définis. Sur le point précis du paramétrage du missile, je peux vous répondre que celui-ci n’est pas du ressort de l’équipage.

Concernant le niveau de préparation des équipages, mes responsabilités organiques m’amènent à m’assurer que mes équipages ont un haut niveau opérationnel. Je fais donc en sorte qu’ils puissent effectuer au moins une, voire deux opérations Poker par an, ou un exercice de haute intensité. Cela correspond à un choix de l’armée de l’Air visant à préserver ce savoir-faire « d’entrer en premier », qui nous différencie des autres nations : nous savons mener des combats de haute intensité. Peu de pays auraient été capables de frapper en Syrie.

 

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Rediffusé sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr

 

Source : www.asafrance.fr