Le service national universel (SNU)

Posté le lundi 24 juin 2019
Le service national universel (SNU)

Le service national universel (SNU)

 

 

Revoilà le SNU, paré des vertus et de la morale républicaines. Or, la république est, semble-t-il, aux abois.

Sur une chaîne d’infos en continu, quatre éminents journalistes et commentateurs ont donné leur avis sur ce SNU expérimenté sur un échantillon de volontaires disséminés dans toute la France. Sur les quatre protagonistes du studio, deux avaient fait leur service national du temps de la conscription. L’un d’eux l’a effectué dans le cadre de la coopération. Cet honnête conscrit à la mode piston était un peu gêné de nous dévoiler ce secret dont il ne s’est jamais vanté. L’autre a été « trouffion » (c’est son terme) dans les camps de Champagne. C’est là sa gloire. Il n’a retenu que trois choses de son passage sous les drapeaux : Il était le seul intellectuel du groupe (?), il n’y avait pas, en ces temps d’horreurs, de brassage social associé aux treillis (ce qui n’est pas exact, par la simple diversification des plans d’abonnement) et enfin, c’est le plus savoureux, les officiers étaient des bourgeois. Ravis de l’apprendre de la part d’un tailleur de croupière gauchisant.

 

Nous avons compris qu’avec ce duo de hauts lutteurs parfaitement au fait de la chose militaire, nous allions assister à une séance d’information de haut niveau et découvrir enfin, sous l'éclairage de leur immense expérience, les vertus d’un SNU porté sur les fonts baptismaux par la miraculeuse volonté quasi pontificale d’un président requinqué par des résultats électoraux savamment ripolinés.

 

Les arguments de surface ont été développés à l’envi par nos deux bouillants anciens combattants des tranchées universitaires. Ils n’ont rien eu à nous offrir que de vaseuses considérations sur les bienfaits d’une mixité que notre société est incapable de produire au quotidien. Ils en ont rajouté sur l’apport inestimable qu’auront la montée des couleurs et la Marseillaise chantée chaque matin en guise de préambule aux activités ultra motivantes proposées par des professionnels du dégourdissement. Au total, pour nos deux chevaliers du quartier en libre-service, cette initiative n’est rien moins que judicieuse et adaptée, même si son coût et les moyens et infrastructures nécessaires à son organisation à grande échelle pourraient poser problème, tout comme leur parait très incertaine son application, sans souffrir d’exception, à toute une classe d’âge. Pour faire court, ils trouvent l’idée séduisante mais la mise en œuvre utopique. Et puis, 2026, c’est loin….

 

Les deux jeunes femmes journalistes, qui, elles, n’ont rien vécu de semblable, ont été les plus pointues dans l’analyse des questions soulevées par ce SNU. Ce fut le plus surprenant, et finalement le plus réconfortant. Elles ont unanimement fait ressortir que ce recours à un service national n’était que la conséquence de la faillite de notre système éducatif et de la déconfiture de la cellule familiale. Elles ont de plus souligné que les parents des actuelles et futures victimes de la promesse présidentielle étaient complètement court-circuitées. Rappelons que ses enfants, convoqués sans possibilité de refuser d’obtempérer, sont et seront tous mineurs. Non sans malice, et s’appuyant sur les premières images de la propagande gouvernementale, elles ont fait remarquer que pour un SNU se voulant non militaire, l’uniforme floqué, l’ordre prévalant dans les rassemblements, les déplacements comme dans les cérémonies matinales rappelaient qu’il n’est de vertu éducative pour une vie en collectivité qu’inspirée d'un modèle militaire un tant soit peu rigoureux. Effectivement, s’il y a une ombre portée dans cette construction artisanale, c’est celle des soldats. Nos deux astucieuses journalistes s’en sont tenues objectivement à ces aspects suffisamment importants, dont elles ont développé, à raison, les conséquences. Par contraste avec les deux anciens appelés au banquet platonicien de la lutte armée, elles ont été largement les plus pertinentes, les plus convaincantes, donc les meilleures.

 

Cependant, coincés dans l’obligation de rester dans la ligne du politiquement correct, bridés dans leur argumentation, ce quatuor d’inégale pertinence n’a pas fait pression là où ça fait mal. 

 

La jeunesse de France, pour ces analystes affligés de myopie, serait la même partout. Il n’y aurait aucune différence entre celle qui aime son pays parce qu’elle a avec lui le lien sacré du sang à travers les âges, et celle qui l’indiffère, voire ne l’aime pas parce qu’elle est issue d’une autre culture, entretenue dans un milieu familial qui se refuse à rejoindre le creuset de la collectivité nationale. Un jeune dealer des quartiers nord de Marseille, ayant depuis belle lurette déserté les bancs du collège pour s’adonner à son lucratif trafic serait le même que celui qui travaille pour réussir grâce à ses diplômes ! Un jeune décervelé par une emprise familiale qui le pousse à la contestation et à la révolte violente serait le même que celui dont les parents lui ont appris les règles de la politesse, de la bonne éducation, du savoir vivre et du savoir être. Tout le monde au SNU, connu ou inconnu des services de police, bien ou mal élevé, droit ou tordu ! 

Surtout, les fureurs religieuses et leurs signes extérieurs n’ont pas été abordés. Les exigences musulmanes en matière d'alimentation ont été évacuées, la discrimination homme-femme jamais évoquée. Les promoteurs du SNU moralisateur ont créé, à l’usage exclusif de nos oreilles de sourds et nos yeux de borgnes, une jeunesse surréaliste de bisounours obéissants, prête en deux fois quinze jours à passer de la ténébreuse nonchalance calculée d’une adolescence gavée, impolie, irrévérencieuse et en mode internet continu à la lumière écologique, patriotique et citoyenne éclairant des relations humaines épanouies et conviviales inondant d’un ineffable bonheur les lendemains radieux d’une France enchantée. On croit rêver. 

 

Le SNU est un révélateur de nos insuffisances, de nos abandons et de nos illusions.

Par les buts, discutables, qu’il prétend poursuivre, il est un aveu de faiblesse et un désaveu de nos pratiques courantes en matière d’éducation, de relations humaines et de justice.

Le SNU est le symbole du déni qui obsède les faux monnayeurs de la conscience collective.  Il ne résoudra rien si notre système éducatif ne change pas (de ce côté, il y a quand même une lueur d’espérance), si nos lois n’évoluent pas vers moins de candeur et plus de fermeté, si la République se contente sottement d’être l’apôtre rigide d'une laïcité sans âme. Elle doit donner aux citoyens adultes ordinaires la possibilité de s'ériger partout et par toutes sortes de manières, auprès de la jeunesse, en premiers et libres défenseurs des fondements démocratiques et des vertus de l'unité et de la cohésion nationale au lieu de les contraindre, par la loi, au silence apeuré des agneaux.   

 

S’il en était ainsi, l’idée même d’un SNU, qui en aucune façon s’attaque aux maux qui nous dévorent, n’aurait pu effleurer un esprit républicain. 

 

Jean - Jacques NOIROT
Membre de l’ASAF

Rediffusé sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr

 

Source : www.asafrance.fr