Les diversités et nos (grandes) écoles militaires. Controverse. LIBRE OPINION du Colonel (er)Jean-Jacques NOIROT

Posté le samedi 05 mai 2018
Les diversités et nos (grandes) écoles militaires. Controverse. LIBRE OPINION du Colonel (er)Jean-Jacques NOIROT

Je suis surpris, mais finalement pas tant que ça, de lire l'article de l'ambassadeur  Destremau à propos de nos "grandes" écoles militaires. 

J'en connais que ce type d'interpellation réjouit, et ont déjà chaussé les étriers pour enfourcher ce canasson de belles batailles afin que cette France multicolore vienne teindre le « grand U » des Saint-cyriens et la casquette immaculée de nos marins et aviateurs.

 

Remarque liminaire: Les chefs de corps des lycées de la défense seraient les mieux placés pour apprendre à Monsieur Destremau qu'il existe un recrutement baptisé « Égalité des chances » (peut-on être plus républicain?!) offrant la possibilité à des élèves issus de milieux défavorisés de se mettre à niveau en vue de pouvoir préparer, avec des possibilités de réussite équivalentes (ou sensées l'être), comparées à celles des élèves issus de leurs bancs, le concours d'entrée dans les « grandes » écoles objet de cet article. Ce recrutement représente 15% de l'effectif annuel des nouveaux élèves. Au Lycée militaire d'Aix en Provence, ce sont essentiellement des candidats provenant des quartiers nord de Marseille qui, jusqu'alors, fournissaient le gros du contingent de cette jeunesse extraite de l'infortune. Ces quartiers sont plus connus pour leur agitation traficotante et leurs concours de tirs à la kalachnikov  que pour leur nombre de mentions  au bac. Donc, contrairement à ce que nous affirme l'ambassadeur, il existe déjà dans l'esprit du haut commandement un souci de faire jouer à nos armées un rôle intégrateur afin que l'accès aux grandes écoles, qui conduit ensuite à celui des hautes responsabilités militaires, puisse concerner une catégorie de notre jeunesse qui jusque-là en était écartée.  

 

Il existe aussi un recrutement spécifique d'officiers, certes à dose homéopathique, sous le statut "officier à titre étranger". J'y reviendrai. Ils sont de toute nationalité. Ajoutons aussi les officiers « rang », venant du corps des sous-officiers, vivier dans lequel peuvent être choisis, s'ils le méritent, des personnels issus des minorités. Elles y sont assez largement représentées. Les régiments ne sont-ils pas, d'une certaine manière, une grande école de la vie militaire?

 

 J'ai bien précisé « milieux défavorisés », m'abstenant d'aller flatter la corde de moins en moins vibrante, et très usagée à force de servir, du « vivre ensemble » et de la mixité colorée. Car, de mon point de vue, il n'est pas sain de recourir à une diversité fondée sur une origine ethnique ou une religion pour faire valoir un déséquilibre qui, certainement, existe dans l'éventail de l'origine des jeunes officiers. Rappelons que les écoles de la République sont ouvertes à tous les enfants de 16 ans au plus, y compris s'ils sont en situation irrégulière sur notre sol. La suite dépend de cette base d'acquis scolaires. Comme tous, les jeunes issus des minorités ont eu leur chance. Peut-on faire mieux? Mais l'ambassadeur Destremau le reconnaît et en fait état dans sa démonstration, tout en passant sous silence les problèmes que pourraient poser les cas de double nationalité.  . 

 

Je poursuivrais en affirmant que la sélection permettant de donner accès à une carrière d'officier n'a rien à voir avec les droits de l'homme, l'humanisme et autres bons sentiments qui gonflent les cœurs et vident les caisses. Les armées ne sont pas une œuvre de charité. Toute proportion gardée, le bon exemple n'est pas celui de l'équipe de France de football, qui elle-même ne reflète pas la réalité de la composition des joueurs des clubs amateurs. De surcroît, réussir le concours d'une grande école militaire n'étant en aucun cas une garantie de recruter des chefs de très grande valeur, des de Lattre, des Juin ou des Leclerc, on voit mal ce qu'un apport au rabais pourrait changer. Ces grands chefs ont des qualités initiales indéniables, et c'est par la suite qu'ils se révèlent et s'épanouissent. Car c'est bien de cela dont il s'agit: former, à partir de ces écoles, de grands capitaines, humains, compétents et respectés de leurs hommes, qui deviendront, pour certains, des généraux. Qu'il existe un souci de faire quelques places (voire beaucoup, et sans trop chicaner sur les compétences) à des minorités (peut-on les qualifier de récentes quand nous en sommes à la troisième génération?) dans des entreprises publiques, des collectivités territoriales ou des associations, pourquoi pas. Le sort du pays n'en dépend pas. Et s'il venait à en dépendre, des corrections pourraient toujours être opérées. Cela ne serait pas possible dans nos armées. Il faut trop de temps pour former un chef ou un spécialiste, quel que soit son niveau, pour qu'il en soit ainsi. Nos armées n'érigent aucun barrage et sont, bien au contraire, en l'état, véritablement un escalier social. Mais il est lent, et fonctionne à la sueur, au travail, au courage, au don de soi, et parfois au sang. Chacun, s'il s'en donne les moyens, peut l'emprunter. Il n'exclut personne et sera toujours à usage collectif. 

 

Pour finir, vouloir donner une place à la diversité aux prénoms exotiques autre que celle qu'elle mérite me semble relever d'une étrange et dangereuse utopie. C'est bien de se pencher sur les difficultés rencontrées par notre nation face à toutes ces minorités qui parviennent difficilement à se fondre avantageusement dans notre société. C'est à la mode, plutôt banal et, mon Dieu, cela va dans le sens des prêches politico-médiatiques dont nos oreilles sont rebattues. Mais la solution est-elle dans l'uniforme galonné? Ne réside-t-elle pas plutôt dans l'attraction de notre enseignement éducatif d'une façon générale, la force de notre message civilisationnel, l'affirmation de ce que nous sommes et de nos valeurs dites républicaines?

Saint-Cyr, Salon ou Lanvéoc-Poulmic ne sont pas des campus (même si certains beaux esprits voudraient les voir évoluer ainsi). Ce sont des creusets où s'élèvent et se forgent les âmes de ceux qui demain auront en charge la vie des soldats et le sort de la patrie. S'il existe de telles vocations, et c'est le cas, dans ces minorités sous représentées, rien ne s'oppose à leur intégration, sinon la réussite à un concours qui suppose d'avoir eu, en amont, la volonté de travailler.

 

Le discours sur la colonisation « crime contre l'humanité » suffit à rendre perplexes les descendants de ceux qui en furent les soi disant victimes. Quel sens pourrait avoir pour eux l'idée de rejoindre une armée ayant commis un tel crime? Cette question ne vaut pas que pour les fils d'immigrés, sauf pour chacun de nous à posséder le cynisme des bourreaux.... Ces paroles indignes, authentiques repoussoirs de vocations, peuvent expliquer partiellement la disproportion soulignée par l'ambassadeur Destremau.

 

Comme tout le monde, la jeunesse issue de l'immigration mérite d'être considérée à l'égale de la jeunesse « indigène » dans la perspective du métier des armes. Est-ce une bonne manière de la traiter avec condescendance en lui ouvrant des portes en dehors du droit commun? N'est-ce pas plutôt l'enfermer dans une condition qui la rendrait redevable toute sa vie d'une faveur imméritée? Quel serait le regard des « autres »? Qu'en serait-il de la cohésion du corps des officiers? Avant d'intégrer Saint-Cyr, il faut « pâlir sur de noirs bouquins ». La loterie, le favoritisme, la compassion ou tout autre bricolage n'ont rien à voir avec les valeurs fondatrices du métier d'officier. Ces errements aux imprévisibles conséquences doivent rester étrangers à son recrutement. 

 

Un jeune italien, engagé dans la Légion, képi blanc, ne connaissant pas un mot de français, a terminé sa carrière, breveté de l'école de guerre, comme général. 

Voilà, monsieur l'ambassadeur, selon moi, l'exemple à suivre, et à faire connaitre. 

Jean-Jacques NOIROT
Colonel (ER)

 Rediffusé sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr

 

Source : www.asafrance.fr