GÉOPOLITIQUE : Les incertitudes de l’été. LIBRE OPINION d'Hélène NOUAILLE.

Posté le mercredi 25 juillet 2018
GÉOPOLITIQUE : Les incertitudes de l’été. LIBRE OPINION d'Hélène NOUAILLE.

Dans sa dernière livraison de l’année, le 15 juin 2018, notre confrère GEAB consacrait un long paragraphe aux incertitudes que l’été amenait avec lui – l’été, période propice à l’explosion brutale de conflits inhérents à un contexte géopolitique hautement volatil. Son tour d’horizon – de l’Ukraine à la Corée du Nord, du Yémen à la Mer de Chine méridionale, auquel on pourrait ajouter le Pakistan - s’achevait par une interrogation appuyée sur la situation au Moyen-Orient. A quoi peut-on s’attendre si « certains acteurs (Israël, Etats-Unis, Arabie Séoudite) perdent patience » ? « Attaques massives au Sud Liban ou au Yémen ? Regains de tension en Syrie ? Crises politiques déstabilisatrices en Jordanie (…), autour de la Turquie ou encore en Irak ? ».

Or il semble que ce soit bien la situation en Syrie qui retienne l’attention aujourd’hui, à ce point que le ministre des Affaires étrangères russe, Sergei Lavrov s’est déplacé lundi 23 juillet en Israël à la demande du président Poutine. Nous l’avons déjà relevé ici (1), la sécurité du Golan – conquis sur la Syrie en 1967 puis annexé en 1981 -, plateau qui surplombe Israël au sud-ouest de la Syrie, est un enjeu majeur pour Benjamin Nétanyahou. Lequel s’était rendu à Moscou la veille de la rencontre entre Donald Trump et Vladimir Poutine, le 15 juillet dernier. On se souvient que les deux présidents avaient trouvé un accord – sans Israël – autour d’un « Mémorandum conclu à Aman, Jordanie, le 8 novembre 2017 entre le souverain hachémite du royaume de Jordanie, la Fédération de Russie et les Etats-Unis d’Amérique », dans le but « de réduire, puis d’éliminer les forces étrangères et les combattants étrangers de la région ». Autrement dit, disions-nous, d’empêcher les Iraniens et le Hezbollah libanais (des chiites), qui combattaient tous deux l’Etat islamique en Syrie, de menacer Israël depuis les hauteurs du plateau. Accord qui ne satisfaisait pas Israël. La situation a été évoquée à nouveau lors de la rencontre Trump-Poutine à Helsinki – et certainement samedi 21 juillet lors d’un échange téléphonique entre Serguei Lavrov et son homologue américain Mike Pompeo.

Rappelons comment se présentait la situation en juin 2016 : « Le nord est contrôlé par l’armée syrienne avec ses alliés du Hezbollah (libanais) et des conseillers iraniens. Le centre est à 70% contrôlé par le Front Al-Nosra - ancienne branche locale d’Al Qaida - et des petits groupes rebelles parfois affiliés à l’Armée Syrienne Libre ». Ainsi que l’amertume des Israéliens quant au mémorandum signé sans eux en Jordanie, selon le site israélien Debka : « Une concession israélienne majeure a permis à Moscou de réaliser un gain important au nom de ses alliés, le 8 novembre, lors de la conclusion du mémorandum pour la Syrie. Les promesses fortes faites par le premier ministre Benjamin Nétanyahou, le Ministre de la Défense Avigdor Lieberman et le Chef d’Etat-Major Gady Eisenkott – disant que l’Iran et le Hezbollah ne pourraient pas établir de présence militaire permanente en Syrie et se rapprocher de la frontière israélienne - se sont évaporées au cours de sessions secrètes de marchandages. Israël a, en définitive, été contraint d’accepter leur présence à environ 20 km de sa frontière nord sur le Golan avec la Syrie, lors d’un brusque recul quant à ses exigences préalables d’une zone de sécurité de 50 km » (1).

 

Aujourd’hui ? Les troupes syriennes achèvent de libérer leur territoire, notamment « dans le sud-ouest du pays, où elles finissent d’éliminer les extrémistes dans la province de Deraa » (où avaient commencé les troubles en 2011), reconnaît la porte parole de Sergei Lavrov (2). « Selon les données datant du lundi 16 juillet, les autorités contrôlent déjà 90% de la province ». Ajoutant : « Les forces gouvernementales progressent également dans une autre province méridionale, Kuneitra, à proximité de la ligne de démarcation sur le plateau du Golan entre Israël et la Syrie en 1974 » (voir la carte). Maria Zakharova évoquait aussi, dans le même mouvement, l’évacuation « d’un millier d’activistes des Casques Blancs », à la demande des Etats-Unis et des Européens – des syriens qui s’étaient institués en secouristes dans les zones de combat, financés par les Occidentaux (l’aide américaine a été suspendue en mai 2018) et accusés par Russes et Syriens d’être « étroitement liés aux terroristes, notamment au Front al Nosra », avatar d’al Caïda. Et c’est l’armée israélienne qui s’est chargée de cette évacuation, tout en assurant par un communiqué : « Il s’agit d’un geste humanitaire. Israël maintient sa politique de non-intervention dans le conflit en Syrie » et en refusant d’accueillir les évacués sur son territoire. Lesquels, en transit en Jordanie, devraient être dirigés ensuite sur les Etats-Unis, le Canada et l’Allemagne (3).

 

C’est dans ce contexte que Serguei Lavrov, accompagné du chef d’état major russe, Valéry Guérassimov, rencontrait lundi 23 juillet à Jérusalem Benjamin Nétanyahou, le ministre de la Défense israélien Avigdor Lieberman, son chef d’état-major Gady Eisenkott, ainsi que d’autres hauts responsables israéliens.

Que proposait Sergei Lavrov ? « La Russie veut repousser les forces iraniennes et les milices chiites pro-iraniennes du Hezbollah à 100km des hauteurs du Golan, a déclaré un officiel israélien après le meeting » du 23 avril à Jérusalem, rapporte (4) le correspondant diplomatique de la chaîne israélienne Channel 10 News, Barak Ravid (voir la carte). Mais si la partie russe ne s’est pas exprimée après la rencontre, les Israéliens l’on fait – en refusant la proposition qui leur était faite. Selon un haut responsable israélien « tout cela est bien, mais au final nous avons besoin d’un départ complet des Iraniens de Syrie. Nétanyahou a dit à Lavrov qu’Israël n’acceptera aucune implantation militaire iranienne – ni près des frontières israéliennes, ni dans le reste de la Syrie » (4). Paroles fermes que le premier ministre israélien appuie sur la fermeté qu’il suppose à Donald Trump – peut-être un peu au-delà des intentions américaines, Moscou et Washington coordonnant prudemment, nous l’avons vu, leurs positions concernant la fin du conflit syrien et la stabilisation de la situation aux abords du Golan. Et ce malgré le vocabulaire très fleuri du président américain à l’encontre de Téhéran qui proteste contre une déclaration de Mike Pompeo promettant un soutien américain à ceux des Iraniens qui se rebelleraient contre le régime (5). Et dans le contexte du rétablissement, le 4 août prochain, des sanctions américaines contre le secteur bancaire iranien – puis contre les exportations de pétrole de l’Iran que Donald Trump voudrait ramener à zéro. 

A quoi répond, ajoute Philippe Gélie pour le Figaro (5), une gesticulation supplémentaire : « Devant cette menace, (le président iranien) Rohani a menacé de perturber le trafic maritime dans le golfe arabo-persique, une suggestion approuvée par l’ayatollah Ali Khamenei. Le spectre d’une guerre du pétrole a fait monter lundi le cours du baril de brut au plus haut depuis trois ans ».

Que demande Israël précisément ? Le correspondant diplomatique de la chaîne israélienne Channel 10 News Barak Ravid, qui rapporte les propos d’un haut responsable anonyme, précise la liste des desiderata communiqués à Serguei Lavrov par Benjamin Nétanyahou :
1) Que l’Iran retire de Syrie toutes ses armes, ainsi que ses missiles.
2) Qu’il cesse de produire des munitions de précision en Syrie.
3) Qu’il retire ses systèmes de défense anti-aérienne de Syrie.
4) Que la frontière entre la Syrie et le Liban soit surveillée afin d’empêcher le trafic d’armes du Hezbollah (libanais) vers la Syrie.
5) Que la frontière entre l’Irak et la Syrie soit surveillée de manière à empêcher l’infiltration de milices chiites en Syrie depuis l’Irak. Et le premier ministre israélien d’ajouter « qu’il maintiendrait librement ses interventions contre les implantations iraniennes dans toute la Syrie et qu’il tiendrait Bachar el Assad pour responsable de toute agression iranienne contre Israël puisque Assad est l’hôte des Iraniens » (4). Pour faire bonne mesure, Israël ne s’interdit pas les raids aériens y compris dans le nord de la Syrie, et vient d’abattre, ce 24 juillet au dessus du plateau du Golan, un avion syrien qui aurait pénétré de deux kilomètres sur la zone tampon démilitarisée depuis 1974 dans le contexte d’une « escalade des combats internes en Syrie, y compris un accroissement des activités de l’aviation syrienne » (6).

Nous avions remarqué ici en avril dernier (7) qu’Israël se risquait à jouer les boutefeux depuis que Donald Trump avait – sans prévenir le Pentagone, annoncé le 29 mars dans l’Ohio qu’il voulait « rentrer à la maison » et retirer ses troupes de Syrie avant les élections de mi-mandat. Mais, ajoutions-nous, pour Israël, le départ américain veut dire expansion iranienne – inadmissible pour Tel Aviv quand Téhéran ne reconnaît pas son existence. D’autre part, le président américain n’en souhaite pas moins régler ses comptes avec l’Iran - sachant qu’il a remplacé le général McMaster, son conseiller à la sécurité nationale, par John Bolton, pousse-au-crime préféré de Georges Bush. Qu’on en juge : tout en nuance, Bolton déclarait en 2015 à propos de l’Iran : « la désagréable vérité est que seule une action militaire (…) peut parvenir au résultat souhaité ». Depuis, Russes et Américains se rencontrent et se concertent, au moins sur la situation syrienne et sur, précisément, la garantie à apporter à Israël sur les abords du Golan. La situation n’en reste pas moins tout à fait incertaine, dans le contexte d’une région hautement instable, on en conviendra.

« La situation est volatile de tous côtés », concluait le GEAB. Elle l’est autour des risques de conflits « chauds », dont celui que nous évoquons ici, elle l’est dans les rapports entre les grands acteurs du monde, elle n’est pas assurée dans les domaines économiques et financiers. L’été est-il propice à de mauvaises surprises ? Mais « l’actualité est pleine du pire comme du meilleur », autant de raisons « d’espérer et de désespérer ». En effet. Si les menaces en restent à la rhétorique guerrière, cet été sera aussi celui des vacances.

Espérons-le.

 

Hélène NOUAILLE
La lettre de Léosthène du 25 juillet 2018

 

 

Carte : Pour la télecharger, cliquez ICI

 

Milices autour du Golan au 16 juillet 2018-07-23 (Source : Etana)

https://pbs.twimg.com/media/Dizn0xnXsAAPaS8.jpg

 

La proposition russe :

https://pbs.twimg.com/media/DiznCKEWsAABiC9.jpg

 

 

Notes :

 

(1) Voir Léosthène n° 1245/2017, le 15 novembre 2017, Trump Poutine : accord sur le Golan, sans Israël

L’évolution de la situation en Syrie a donné lieu à une déclaration conjointe de Donald Trump et Vladimir Poutine en marge de la réunion de l’APEC (Coopération économique pour l’Asie Pacifique) le 10 novembre dernier à Danang, au Vietnam. « Ils ont passé en revue les progrès du cessez-le-feu dans le sud-ouest de la Syrie » - entendez les hauteurs du Golan – « tel qu’il avait été finalisé lors de leur dernière rencontre à Hambourg, Allemagne, le 7 juillet 2017 ». L’affaire est d’importance, parce que le plateau du Golan surplombe Israël, qui l’a conquis lors de la guerre des Six jours en 1967 puis annexé en 1981. Israël est un très petit territoire (une fois et demie l’Ile de France). Ses forces de défense n’ont donc aucune profondeur pour reculer en cas d’attaque. Il leur faut en conséquence combattre hors de leurs frontières, ce que le pays a compris dès 1967 (Guerre des Six jours) en occupant le Sinaï égyptien au sud (restitué depuis), la rive ouest avec la bande de Gaza (évacuée en 2005 par Ariel Sharon) et en prenant le contrôle des hauteurs du Golan au nord. L’accord entre Trump et Poutine entérine un mémorandum conclu à Aman, Jordanie, le 8 novembre 2017 entre le souverain hachémite du royaume de Jordanie, la Fédération de Russie et les Etats-Unis d’Amérique. « Une zone profonde de 20 km dans la région de Quneitra sur le Golan (face à la frontière israélienne) syrien servira de « zone de désescalade (…). Cette zone sera surveillée par les troupes russes avec certaines forces syriennes encore disponibles à cet usage » écrit Debka. Une seconde zone fait face à la frontière jordanienne, dans la région de Deraa. On peut discuter de l’arrangement : l’étonnant est l’absence d’Israël dans ces négociations.

 

(2) Ministère des Affaires étrangères russe, le 18 juillet 2018, Conférence de presse de Maria Zakharova, porte-parole du ministre russe des Affaires étrangères

http://www.mid.ru/fr/foreign_policy/news/-/asset_publisher/cKNonkJE02Bw/content/id/3299553

 

(3) Le Figaro, le 23 juillet 2018, Marc Henry, Israël évacue des Casques Blancs syriens vers la Jordanie

http://www.lefigaro.fr/international/2018/07/22/01003-20180722ARTFIG00102-israel-evacue-des-casques-blancs-syriens-vers-la-jordanie.php

 

(4) Axios, le 23 juillet 2018, Barak Ravid, Russia wants to push Iran 65 miles from Israel’s border in Syria

https://www.axios.com/russia-wants-to-push-iran-from-israel-syria-border-3f95d8f0-5293-494e-84b0-ef62993aad72.html

 

(5) Le Figaro, le 24 juillet 2018, Philippe Gélie, Le ton monte dangereusement entre Trump et l’Iran

http://www.lefigaro.fr/international/2018/07/23/01003-20180723ARTFIG00258-donald-trump-menace-l-iran-d-apocalypse.php

(6) Ouest-France/agences, le 24 juillet 2018, Israël. L’armée abat un avion syrien qui a pénétré dans son espace aérien

https://www.ouest-france.fr/monde/israel/israel-l-armee-abat-un-avion-syrien-qui-penetre-dans-son-espace-aerien-5894155

 

(7) Voir Léosthène n° 1283/2018 du 11 avril 2018, Syrie : Israël jouerait-il les boutefeux ?

 

Rediffusé sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr

Source : www.asafrance.fr