LIBRE OPINION : Budget Défense 2014 et Loi de programmation militaire

Posté le mardi 24 juin 2014
LIBRE OPINION : Budget Défense 2014 et Loi de programmation militaire

Extrait de l’analyse du général d’armée (2S) Jean-Marie Faugère président du G2S, groupe de réflexion sur les question de défense

La situation budgétaire reste toujours aussi tendue. La recherche désespérée d’économies de la part de l’Etat à hauteur de 50 milliards €, doit faire l’objet de la prochaine loi de programmation des finances publiques 2015-2017. Les rumeurs qui bruissent sur une participation des armées à ce nouvel effort, suscitées par l’alerte lancée par un responsable politique de l’opposition, ont provoqué, à l’image des appuis qui s’étaient déjà manifestés lors de l’élaboration de la loi de programmation militaire, une levée de boucliers des deux présidents des Commissions de défense, de journalistes experts de nos sujets ou des questions économiques, des présidents des sept grands groupes industriels de la défense (avec une nouvelle lettre adressée à F. Hollande et une demande d’audience). Rumeurs alimentées aussi par les propos sibyllins du Premier ministre (cf. actualités du 11 mai au soir sur TF1) disant que la défense ne sera pas touchée, mais ajoutant dans la foulée que chacun doit faire des efforts…

Depuis, nous avons connu quelques épisodes intenses, comme cette menace de démission collective des quatre chefs d’état-major, la colère du ministre de la défense, la mise au point du Premier ministre semblant parler d’ailleurs pour le compte du Président de la République, en rappelant sa « décision » de sanctuarisation du budget de la défense, alors même que le chef des armées reste singulièrement et étonnamment silencieux, faisant simultanément annoncer une décision d’arbitrage (?) dans les semaines qui viennent…

La confiance envers le chef des armées en jeu
Finalement, à cette heure, nul ne sait si le budget des armées sera concerné par cette nouvelle vague d’économies imposée à l’Etat, alors que Bercy pèse de tout son poids pour qu’il le soit. Le ministre de la défense se bat obstinément pour conserver l’intégralité des crédits prévus dans la loi de programmation militaire (LPM). Il est incontestable que le crédit attaché à la parole du chef des armées est en jeu dans cette affaire. Nous avons entendu et lu des propos définitifs sur un budget « sanctuarisé » en 2013. Il serait ravageur pour l’exécutif comme pour la communauté militaire qu’à peine cinq mois après le début d’exécution de la LPM, le Président de la République, chef des armées, renie sa parole. Tout ceci, indépendamment des sacrifices imposés aux armées depuis 2008 – pour ne remonter qu’à cette époque - en termes d’organisation, de fonctionnement quotidien, de conditions d’entrainement et de soutien des matériels, et alors même que les conditions matérielles d’exécution des opérations militaires se détériorent sous l’effet des restrictions budgétaires acceptées dans la LPM… Au-delà des déclarations plus ou moins lénifiantes ou dilatoires, l’expérience nous a enseigné que rien n’est jamais définitivement acquis en la matière et que les « agents » du ministère des finances et du budget disposent de trésors d’ingéniosité pour manipuler la technique budgétaire conformément à leurs fins, même si, il faut le reconnaitre, les gels et « surgels » sur l’exécution 2013 ainsi que la réserve ont été levés par Bercy en fin d’année dernière.

Tout se joue au dernier trimestre
Indépendamment d’un arbitrage du Président, s’il a lieu, il nous faut attendre, car tout se joue, dans les faits, au dernier trimestre de l’année… ! La vérité impose cependant de rappeler que, concernant le ministère de la défense, l’exécution budgétaire souffre dès son ouverture d’un report de charges de 2013 de près de 3 milliards €, dont 2,4 milliards € pour les seuls investissements de la DGA. Les surcoûts des opérations extérieures pour 2014, tels qu’ils se présentent à ce jour, seront du même ordre de grandeur qu’en 2013, soit au-delà du milliard d’euros, alors que 450 millions € seulement ont été provisionnés sur chaque annuité de la LPM. Le ministère a aussi constitué une « réserve budgétaire » sur ses fonds propres comme la LOLF l’y oblige, à hauteur de 6 % de ses crédits hors rémunérations (titre II), soit environ 1,2 milliard €, crédits bloqués jusqu’à l’autorisation de Bercy de les utiliser. On le voit même si le budget 2014 est respecté au chiffre près, et même si le discours interdira de remettre en cause la LPM, la vérité de l’exécution conduira à l’érosion habituelle au fil des mois, camouflée sous un report de charges croissant en fin d’année.

Les armées n’ont plus aucune marge de manoeuvre
D’un autre côté, la rigidité des dépenses ne laisse aucune marge de manœuvre sur le poste des rémunérations et autres charges sociales, déjà insuffisamment doté en construction budgétaire, comme sur celui des dépenses de fonctionnement (activités courantes et opérationnelles, entretien des matériels et du personnel), mis à mal depuis des années (bien avant le Livre blanc de 2008) et qui conduit aujourd’hui à la paupérisation visible de nos formations et unités. Ne restent que les investissements (infrastructure, programmes d’armement, etc.) comme… d’habitude ! Avec leurs lots habituels de recul, de retard, d’étirement, de procrastination décisionnelle : atermoiements, temporisation, complément d’étude, etc. La seule marge opératoire, à l’écoute des auditions des chefs d’état-major devant les commissions de défense - et on les croit volontiers - demeure l’arrêt ou l’abandon de programmes et donc, la perte des capacités opérationnelles associées et toutes leurs conséquences pour notre défense et nos ambitions de politique étrangère.

Source : Général d’armée (2S) Jean-Marie FAUGERE