LIBRE OPINION d'Alain JUILLET : La France peut-elle vaincre Daech sur le terrain de la guerre de l’information ?

Posté le mercredi 09 décembre 2015
LIBRE OPINION d'Alain JUILLET : La France peut-elle vaincre Daech sur le terrain de  la guerre de l’information ?

Confrontés à l’efficacité de l’utilisation du cyberespace par les salafistes de Daech notre pays semble tétanisé dans une sorte de fascination similaire à celle du lapin face au boa qui veut l’avaler. Loin de faire une analyse froide des méthodes et des moyens utilisés par l’attaquant, on refuse de reconnaître qu’il s’agit d’une nouvelle forme de menace s’exprimant dans l’immatériel : la guerre de l’information.

 

Certes elle a toujours existé comme le rappelait récemment mon ami Bob Maloubier dans son Livre sur Fortitude, à savoir les manipulations faites par Churchill pendant la Seconde Guerre mondiale, mais internet et les réseaux sociaux l’ont fait changer de dimension. Aujourd’hui tout belligérant doit convaincre l’univers entier qu’il livre une guerre juste. Toute prise de contrôle économique doit se justifier par l’incompétence et les turpitudes de celui qui va être absorbé sans jamais faire apparaître les véritables motivations. On fait la guerre pour la liberté des peuples, pas pour le contrôle d’un pipe-line ou de puits de pétrole. On assassine en direct pour montrer jusqu’où on est prêt à aller pour reconstituer la pureté d’un califat originel dont la réalité n’existe que dans les rêves de ses zélateurs. On démantèle une entreprise au nom de la morale anticorruption pour en récupérer les éléments stratégiques.

 

En 2005, partant d’actions déstabilisatrices menées sur le terrain économique, nous avions eu l’occasion pour le compte de l’Etat français de mener une réflexion sur ce sujet puis un rapport attirant l’attention des pouvoirs publics sur la réalité de cette nouvelle approche, ses conséquences et la nécessité de se donner les moyens d’y faire face. Contrairement à d’autres formes conflictuelles, la guerre de l’information qui se conduit dans le cyberespace n’a ni début ni fin. Elle peut être menée de tous les coins du monde avec la même efficacité. Elle donne un avantage d’autant plus fort à l’attaquant que la cible n’a pas prévu ou ne sait pas répondre. De surcroit le fort comme le faible peut l’utiliser utilement sous réserve d’en maitriser les techniques. Il est étonnant de constater que contrairement aux Américains, aux Chinois, aux Russes ou aux Israéliens, nous n’avons toujours pas réagi, en dehors du Ministère de la Défense, et commencé à nous doter d‘éléments de réponse. Peut-être est-ce le résultat de la pression des lobbies anglo-saxons ou altermondialistes, des ONG inféodées à des intérêts spécifiques d’Etats ou d’entreprises, et des journalistes d’investigations. Pour des raisons opposées, ils ne voulaient pas que la France puisse intégrer le club des nations capables de tuer dans l’œuf ou de réduire l’impact des agressions géopolitiques, économiques ou sociales visant à la faire douter d’elle-même.

 

Face aux actions d’influence, il faut savoir le plus rapidement possible démonter les arguments de l’adversaire et lui répondre. Il faut savoir identifier les désinformations qui retournent une opinion publique en lui donnant la conviction qu’elle est du côté de la justice. La manipulation sur l’Ukraine réalisée dans l’intérêt stratégique d’un de nos alliés ou sur la Syrie pour les intérêts économiques régionaux d’un autre, montre que nos citoyens sensibles au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, continuent à être facilement abusés par des professionnels ayant compris leur mécanisme de pensée.

 

 

Dans le rapport d’alerte très approfondi que vous allez lire, Christian Harbulot et son équipe de l’EGE décortiquent la réalité de cette guerre de l’information à travers son histoire et sa mise en œuvre selon les attaquants et les cibles. Maitrisant parfaitement son sujet qui est dans la continuité des travaux et réflexions qu’il a déjà publiés, il démontre à travers de nombreux exemples ce qu’elle implique pour nos démocraties, le rôle des États et les limites de sa pratique.

La mondialisation d’internet, le volume et la circulation de l’information qu’elle autorise, donne à chaque individu une connaissance qu’il tient pour la vérité, l’ayant acquise sans passage par un média officiel. Par ailleurs, cet accès instantané à l’information permet de contourner la pensée plus ou moins unique des pays concernés et d’éviter toute censure, ce qui renforce la conviction intime du récepteur. Le problème est bien évidemment l’absence de contre-arguments face à une opinion construite sans nuances et sans intégration de l’ensemble du problème. Si vous y ajoutez l’impact des mots et des formules, et le poids des photos et autres vidéos orientées pour convaincre ou pour inquiéter, vous vous rendez compte que nos démocraties sont loin de pouvoir répondre à cette problématique. Pourtant, nous n’avons pas le choix, car la guerre de l’information est un élément constitutif majeur des conflits du 21e siècle.

 

Quand les Américains ont compris le bénéfice qu’ils pouvaient tirer de la guerre de l’information dans leur stratégie géopolitique et économique, ils ont su développer un nouveau concept de guerre adapté à la situation : on utilise conjointement des forces spéciales et des services de renseignement avec des campagnes d’information et de désinformation croisées avec des réglementations juridiques extraterritoriales pour attaquer en dégradé la cible, son environnement et le monde du web. On l’a vu au Proche-Orient pour le conflit israélo-palestinien, dans les Balkans avec la promotion de l’Etat kosovar. On l’a également vu dans la prise de contrôle de certaines grandes entreprises soumises à une pression considérable sur leurs dirigeants et leur environnement pour les amener à reddition.

 

Les terroristes d’Al-Qaeda puis de Daech ont également bien compris tout le profit qu’ils pouvaient tirer de cette approche efficace et peu coûteuse. Que ce soit pour donner une image de puissance, faire connaître leur organisation et leurs idées, inciter des jeunes à les rejoindre, ou pour donner leurs instructions aux agents dormants et aux réseaux de soutien, ils utilisent l’internet dans toutes ses possibilités. Dans l’attaque de TV5, au-delà du niveau de capacité technique des agresseurs, il faut voir un test de neutralisation de l’information impactant toutes les autres télévisions. Que se passerait-il si demain toutes nos chaînes arrêtaient de fournir des informations pendant 24h?

 

A ce niveau, Il est intéressant de constater combien la loi française sur le renseignement, qui

vise à donner à nos différents services les moyens de lutter efficacement contre le terrorisme, est décriée par quantité d’acteurs allant du lanceur d’alerte aux magistrats. Avant de s’alarmer d’une loi qui respecte nos valeurs tout en protégeant la République et ses citoyens, ils devraient s’intéresser au Patriot Act américain ou à sa version anglaise dont le moins que l’on puisse dire est qu’elles sont inimaginables chez nous.

Ce qui me paraît par contre inquiétant est que notre loi ne parle que de l’utilisation de certains matériels et méthodes en défensif. Elle n’aborde pas le problème de la guerre de l’information qui est pourtant sous-jacent.

 

Ce rapport d’alerte confirme ce que nous pensions il y a déjà 10 ans : il faut que la France entame une large réflexion sur ce sujet. Au-delà du besoin de veille dans les secteurs géopolitiques et économiques et de l’exigence de mise en place d’une sécurité efficace adaptée aux technologies d’aujourd’hui il faut prendre conscience de la nécessité de préserver nos forces et nos avantages spécifiques face à cette nouvelle menace. Nous devons apprendre à pratiquer de manière autonome une nouvelle forme de renseignement et de nouveaux modes d’action permettant la mise en œuvre d’opérations d’influence et de contre influence offensives et défensives.

 

Pour lire la rapport d'alerte dans son intégralité, cliquez sur la vignette ci-dessous.

DAECH RAPPORT D ALERTE

 

 

 

Alain JUILLET
Président du Club des Directeurs de Sécurité des Entreprises
et de l’Académie d’Intelligence Economique.

Source : Alain JUILLET