LIBRE OPINION d'Eugénie BASTIE : Ces anciens militaires partent combattre Daech pour «laver l'honneur de la France».

Posté le mercredi 09 décembre 2015
LIBRE OPINION d'Eugénie BASTIE : Ces anciens militaires partent combattre Daech pour «laver l'honneur de la France».

RÉCIT - Philippe a créé cette brigade pour aller aider les chrétiens d'Orient. D'ici la fin de l'année, il aura envoyé 70 hommes sur le terrain. Une goutte d'eau, dit-il, pour « laver l'honneur de la France ».

 « Assyriens et Français athées et chrétiens pour la protection des chrétiens d'Orient et la lutte contre l'EIIL. Parce que nous ne pouvons fermer les yeux, nous ne pardonnons pas et nous ne cautionnons pas, nous agissons»: c'est ainsi que la Légion franco-assyrienne (Assyrian French Légion-AFL) définit son projet sur sa page Facebook. Leur but premier: « Créer une armée chrétienne pour lutter contre la barbarie islamique, protéger les chrétiens d'Orient et toutes les populations opprimées par celle-ci. »

Ces combattants ont été repérés par Daech. Dans un des numéros de Dar al-Islam, le magazine de l'État islamique en français, dans la rubrique « Dans les mots de l'ennemi », on peut lire: « Des anciens soldats français, américains, viennent en Syrie pour jouer le rôle manqué de l'Occident, poussé par un désespoir des plus totals (sic). Certains se réunissent maintenant sous une bannière nommée Dwekh Nashwa ».

Philippe est un ancien militaire de 58 ans. C'est lui qui a créé l'AFL. Il refuse de donner davantage de détails sur son parcours. Dès 2014, il a cherché à prendre contact avec des ONG pour aller aider les chrétiens d'Orient. Il part avec un groupe d'anciens en Irak pour aller reconstruire une église. C'est là qu'il rencontre Dwekh Nashwa (Dwekh Nawsha signifie « prêts au sacrifice » en dialecte araméen), une milice chrétienne reliée au parti assyrien, qui l'alerte sur la nécessité de protéger les Chrétiens et les Yazidis persécutés par Daech. Il décide alors, avec un groupe de jeunes retraités ayant 10 ou 15 ans de service dans l‘armée, de partir combattre. Au début de l'année prochaine, il aura envoyé 70 personnes sur le terrain. Il a trois groupes répartis sur trois fronts: à Sinjar à la frontière syrienne, dans le Nord de l'Irak et sur la plaine de Ninive.

« Un mélange de 14-18 et de guerre moderne »

« On a deux groupes qui se battent avec les Peshmergas, ils en prennent vraiment plein la gueule. L'autre jour, ils se sont même pris des bombes par des Rafale français, parce qu'ils ont trop avancé sur la ligne de front, rigole-t-il. Les combattants sont de purs volontaires. Ils déboursent entre 3 000 et 3 500 euros d'équipement. Un billet d'avion aller pour Erbil (le retour n'est pas prévu). Ensuite, sur place, ils choisissent leur armement». Ils doivent obtenir une carte de résident permanent et un permis de port d'armes. Pour cela, ils passent systématiquement par le parti politique chrétien Atranaya (Assyrian patriotic Party), qui, grâce à ses députés, peut obtenir des papiers aux soldats.

Philippe raconte le quotidien de la guerre. « Du côté de l'Irak où on se bat, ce sont des grandes plaines et des monts. Ce n'est pas vraiment de la guérilla, qui se trouve plutôt dans les villes. Ici, c'est un mélange de 14-18 et de guerre moderne. Dès qu'une position est prise, on construit des tranchées avec des bulldozers. Du côté de Daech, c'est moins poétique que leurs histoires de martyrs. L'autre jour, mes gars, incorporés dans une unité de Peshmergas, ont à 25, fait 9 morts et 70 prisonniers. Loin de mourir en martyrs, les djihadistes se rendaient. Ils y en avaient deux qui parlaient français. Ils croyaient que ça allait les aider, je peux vous dire qu'ils ont été mal reçus! », raconte-t-il, tout en étant sceptique sur l'efficacité des bombardements: « Ça fait un an que la France est censée bombarder Daech, mais nous on a vu que cinq bombardements, un tous les deux mois ».

«  Ce n’est pas du tourisme de guerre, tout le monde ne peut pas y aller, il faut avoir une solide expérience et du sang froid, parce qu'on risque quand même de terminer en tenue orange. »

Philippe, chef de la brigade AFL

Le profil type de ses gars? «80 % sont issus de la Légion étrangère, des régiments d'élite ou des forces spéciales». La moyenne d'âge doit être de 35 ans. Le plus jeune, un aide de camp, a 23 ans. Le plus vieux, Martin, dont nous avions recueilli le témoignage, a 60 ans. La sélection est rude, et Philippe ne laisse pas partir n'importe qui. « Ce n’est pas du tourisme de guerre, tout le monde ne peut pas y aller, il faut avoir une solide expérience et du sang froid, parce qu'on risque quand même de terminer en tenue orange », détaille Philippe. « Après les premiers attentats de Charlie hebdo, on a eu 120 demandes, seuls 8 sont effectivement partis.  On élimine tous les nazillons, tous ceux qui veulent casser du musulman. Là-bas, on se bat avec des musulmans, les Peshmergas!  On recale aussi les cadres supérieurs qui nous proposent six mois de congés sabbatiques», dit-il en riant.

« Laver l'honneur de la France »

Après les dernières attaques de Paris, le 13 novembre, les prises de contacts ont explosé: 20 à 30 demandes par jour, selon Philippe. « Il nous manque qu'une chose: le pognon », raconte-t-il. Il peste contre la «Task force Lafayette», un groupe de jeunes combattants extrêmement médiatisés qui n'a, selon lui, envoyé personne sur le terrain. « Pendant qu'ils se pavanaient sur Canal +, nous, on était déjà sur le front ». Des «escrocs» selon lui, qui ont profité de leur médiatisation pour récolter des dons, abusant parfois de la crédulité de sympathisants « Nous, on avait fait une cagnotte Leetchi de 4 000 euros, mais on nous l'a supprimé ».

Lorsqu'on lui demande s'il a l'impression d'être utile, Philippe raconte cette anecdote sordide. Un jour, deux de ses gars ont libéré un village. Il y avait trois femmes Yazidis, qui avaient été réduites en esclavage sexuel par les djihadistes de Daech. « Lorsqu'elles ont entendu parler français, elles ont été prises de panique et se sont cachées. Les pires sévices qu'elles avaient subi, c'étaient des djihadistes français qui les leur avaient infligés.» Avant d'ajouter: « C'est pour ça qu'on est là, pour racheter l'honneur des Français. Pour montrer qu'on n'est pas tous des enfoirés de djihadistes venus couper des têtes. On n'est pas là pour mourir pour notre iPhone, mais pour l'honneur et pour la France », dit-il. 

 

Eugénie BASTIE

Source : lefigaro.fr