LIBRE OPINION : Daech, Boko Haram : une nouvelle guerre de religion

Posté le samedi 14 mars 2015
LIBRE OPINION : Daech, Boko Haram : une nouvelle guerre de religion

- A l'occasion d'une conférence de carême, Mgr Ravel, évêque aux Armées, analyse les nombreux conflits qui embrasent la planète. Il y voit l'émergence d'un «guerre nouvelle à flambée religieuse».

Diplômé de Polytechnique, de l'École nationale supérieure des pétroles et moteurs ainsi que d'une maitrise de philosophie, Monseigneur Ravel est évêque du Diocèse aux Armées Françaises depuis 2009.

Une nouvelle guerre de religion? Quel drôle de titre pour une conférence de carême!

Je ne suis ni sociologue, ni politologue, ni polémologue. Cette conférence participe néanmoins totalement de ma mission d'évêque. Un évêque ne parle pas que de Dieu et de l'Église mais aussi du monde. Le concile Vatican II l'explique très clairement et donne la méthode pour comprendre le monde: «Pour mener à bien cette tâche, l'Église a le devoir, à tout moment, de scruter les signes des temps et de les interpréter à la lumière de l'Évangile, de telle sorte qu'elle puisse répondre, d'une manière adaptée à chaque génération, aux questions éternelles des hommes sur le sens de la vie présente et future et sur leurs relations réciproques.» (Gaudium et Spes, 4)

Observons attentivement le monde pour ne pas nous emballer sur des tigres de papiers ou des sous-évaluations d'événements pourtant considérables. Or, non seulement le monde est compliqué mais on redouble sa complexité par un langage déraisonnablement incorrect. Ainsi on nous retient de parler d' «Islamisme» au motif que nous ferions des amalgames. Le français, jugé incapable de réfléchir par lui-même, ne serait-il plus capable que de faire des distinctions évidentes! C'est irritant pour notre amour-propre. Mais ce qui est outrageant pour la raison, c'est que le discours, dans le même temps, nous explique que la laïcité est menacée. L'homme que je suis s'interroge: pourquoi la laïcité est-elle menacée si aucune religion n'est impliquée dans les attentats?

 

Regardons les faits, examinons-les de près en toute objectivité.

Au cours de ces cinq dernières années, dans le monde s'allument des foyers nouveaux de guerres nouvelles. Les révolutions arabes, la persécution des chrétiens en Inde ou au Sri Lanka, les horreurs de Boko Haram au Nigéria, la guerre sans nom de Daesh en Irak et en Syrie et tant d'autres brasiers de violence et d'horreurs comportent tous une question religieuse à un titre ou à un autre. La religion fait systématiquement son apparition comme cause explicite de ces nouvelles guerres. Subitement des millions de chrétiens découvrent qu'ils ne peuvent pas être indiens s'ils ne sont pas hindous. Des millions de coptes découvrent qu'ils ne sont pas de vrais égyptiens parce qu'ils sont chrétiens etc. La liste est longue: le Vatican connaît aujourd'hui 139 pays où les chrétiens subissent des persécutions! Comme l'écrit Timothy Radcliffe dans Le livre noir de la condition des chrétiens dans le monde: «La religion fait un retour spectaculaire au centre de la scène qu'aucun politicien ne peut plus se permettre d'ignorer.» (p. 809)

C'est une guerre parce que ses buts sont politiques: si les motivations sont religieuses et si les moyens sont terroristes, les buts sont politiques. Que nous le voulions ou pas, c'est bien une guerre car ce qui est visé n'est peut être pas immédiatement l'occupation d'une terre mais certainement la déstabilisation ou la réorganisation de la Cité. Il ne s'agit pas d'un terrorisme de gang aux visées financières mais d'un terrorisme à buts politiques: certains hommes, groupes ou États veulent s'assurer que leur religion dicte intégralement la forme de la société, la forme de vie personnelle ou sociale, vestimentaire ou sociétale, économique et politique. C'est le caractère totalitaire d'une religion qui investit aujourd'hui le champ de la guerre à titre de source première et de but ultime. Par totalitaire, j'entends un mouvement, au final politique, s'imposant contre la responsabilité humaine. Il veut l'attaquer puis la submerger par l'infantilisation, par la force ou par la séduction.
Nous prêchons, nous chrétiens, une religion «totalisante», ce n'est pas du tout la même chose: dans le respect et dans le salut de la liberté responsable de chacun, elle investit tout l'homme par des vertus qui ne se juxtaposent pas aux autres vertus humaines mais qui les soulèvent et les complètent: la foi, l'espérance et la charité. Nous gagnerions à nommer cette guerre «guerre globalisée», de ce nom qui fait froid dans le dos, «la globalisation».


La globalisation, c'est à dire la marche triomphale, accélérée par le numérique (Internet), d'une économie à taille terrestre, d'une promotion scientifique et technologique à l'échelle mondiale, mais surtout d'une uniformisation de la pensée par la diffusion universelle des mêmes codes mentaux. Cette globalisation me paraît être le terrain propice pour cette guerre naissante. Il ne s'agit pas ici de thèse altermondialiste ou écologique encore moins nationaliste. Il s'agit de prendre conscience de cet effritement des frontières, politiques ou mentales qui autorise toutes les circulations: des biens, des maux et des idées. Cette lutte est surtout nouvelle par l'implication explicite de la religion qui la fait naître et qui l'achève.

La religion, qu'on le veuille ou non, est mêlée à cette violence armée parce qu'elle est nommément la motivation de ces guerres. Là réside la vraie nouveauté de ce qui nous advient. Et la méconnaissance volontaire de la vie religieuse par nos élites rend sa perception difficile. Et il va de soi que l'on combat mal l'ennemi qu'on a mal identifié. On a parlé de «choc de civilisations»: avec raison, beaucoup s'opposent à cette expression. En réalité, les civilisations ne sont pas impliquées comme telles: la preuve en est que cette «guerre de religion» s'étend sans merci à des hommes de même civilisation, de même race ou de même langue (arabe par exemple ou indienne). La destruction d'œuvres d'art de civilisations disparues en Afghanistan ou en Irak montre clairement que la lutte est avant tout idéologiquement religieuse et religieusement idéologique.

Ce n'est donc pas un choc de civilisations mais une nouvelle guerre de religion. Ce qui a pu laisser croire à un «choc des civilisations» tient à ce qu'il y a un choc idéologique inouï, nous l'analyserons dans la deuxième partie, un affrontement non pas entre l'Occident et l'Islam mais entre deux idéologies, l'une islamiste, religieusement dévoyée et l'autre laïciste, occidentalement détournée. Il se fait que la première est née en Islam et que la seconde provient de l'Occident.
La guerre de religion que nous nommons ne se revendique pas comme visant d'autres religions en tant que telles. Il ne s'agit pas d'un affrontement de dogmes. En ce sens, ce n'est pas une guerre des religions entre elles comme si l'une s'opposait symétriquement à l'autre. Ici, des croyants d'autres religions ou des croyants de la même religion sont visés non à cause de leur dogme mais à cause de leur existence même. Leur existence de citoyen contredit la religion des agresseurs. Ces nationalismes religieux d'un genre nouveau trient la population en fonction de leur religion, gardent ceux qui en sont dignes et éliminent les autres: derrière la prétendue sauvegarde d'une culture, se met en œuvre des racismes religieux. Ces racismes s'exercent aussi entre croyants: l'islamisme a fait plus de victimes musulmanes qu'occidentales (par exemple en Afghanistan). Dans tous ces cas, il y a une constante: la juste relation entre le politique et le religieux est attaquée. Sur ce point nous sommes d'accord avec les discours ambiants: la laïcité est en péril dans cette guerre nouvelle à flambée religieuse.

Auteur : Mgr Luc RAVEL

Source: Le Figaro

Source : Le Figaro