LIBRE OPINION de Alain Ruello : François Hollande réunit mercredi 29 un Conseil de défense décisif

L'armée estime qu'il faut sauver 18 500 postes pour remplir ses missions, et notamment « Sentinelle », dans la durée. Bercy et la Défense s'opposent, une nouvelle fois, sur les crédits militaires.
Moins d'un an et demi après le vote de la loi de programmation militaire 2014-2019, François Hollande s'apprête à rendre des arbitrages majeurs pour la sécurité nationale. Le chef de l'Etat réunit mercredi un Conseil de défense, l'un des plus importants de son mandat, puisqu'il va lui falloir ancrer dans le dur les conséquences des attentats de « Charlie Hebdo », et pour cela trancher entre deux de ses ministres aux positions antagonistes : Jean-Yves Le Drian pour la Défense, et Michel Sapin pour les Finances. Le gardien du temple militaire d'un côté, celui des équilibres budgétaires du pays de l'autre, dans une énième version du combat séculaire que se livrent l'hôtel de Brienne et Bercy.
« Ce sera difficile, mais lourd de conséquences », anticipe un proche du dossier.
Difficile ? C'est peu dire, car ce sont quelques milliards d'euros qu'il va falloir trouver.
Depuis les attentats, l'armée est mobilisée comme jamais. Avec près de 10.000 soldats en opération extérieure, elle est au maximum de ses capacités de projection. A cet engagement est venu s'ajouter l'opération « Sentinelle » pour laquelle près de 10.000 soldats ont été déployés quasiment du jour au lendemain pour protéger les lieux sensibles sur le territoire national. Ce niveau était bien prévu par le dernier Livre blanc de la défense, mais aucune durée n'avait été fixée, un peu comme si le sujet avait été mis sous le tapis…
Tirant un premier enseignement des événements de janvier, François Hollande a décidé d'alléger le plan social de l'armée en sauvant 7 500 des 34 000 postes dont la suppression était inscrite dans la loi de programmation militaire (« Les Echos » du 22 janvier). Ce faisant, l'armée a obtenu un ballon d'oxygène pour poursuivre « Sentinelle » pendant un mois. Un mois qui s'est prolongé depuis car la menace n'a pas diminué, comme viennent de le confirmer les projets d'attentat déjoués contre des églises. Mi-mars, le chef de l'Etat a alors assigné un nouveau contrat aux militaires : pouvoir mobiliser 7 000 hommes dans le cadre de Vigipirate, mais sans limitation de durée cette fois-ci !
La loi de programmation militaire a donc besoin d'un sérieux lifting, et c'est tout l'enjeu du Conseil de défense de mercredi d'en arrêter le nouvel équilibre général, à partir des différents scénarios - eux-mêmes truffés de variantes - qui vont être mis sur la table de l'Elysée.
Le point le plus crucial, évidemment, portera sur les effectifs. Pour un soldat déployé, un autre - celui qui l'a précédé - retrouve l'entraînement normal, tandis qu'un troisième se prépare à prendre la relève. L'Etat-major a donc fait ses calculs : il faut « sauver » 18 500 postes pour arriver à faire tout ce qu'on lui demande, dont « Sentinelle » dans la durée. C'est 11 000 de plus que ceux que François Hollande a déjà « graciés ». La manœuvre est compliquée car sauver des postes ne signifie pas arrêter d'en supprimer : l'armée a besoin de troupes opérationnelles, mais doit continuer à délester ailleurs. François Hollande ira-t-il jusque-là ? Le ministère de l'Intérieur pourrait-il prendre le relais de « Sentinelle », en tout ou partie, comme certains l'imaginent ?
Effectifs et matériel.
A l'arbitrage sur les effectifs, s'ajoute celui sur les charges additionnelles liées à l'usure du matériel. Les turbines d'hélicoptère, par exemple, paient un lourd tribu au sable abrasif du Sahara.
Troisième arbitrage enfin de l'actualisation de la loi de programmation, le renforcement ou non de certains moyens dont le contexte sécuritaire a renforcé le besoin : hélicoptères, cyberdéfense, avions de transport, drones…
Evidemment, tout cela aura un coût. Entre 5 et 10 milliards d'euros, selon les différents schémas de la Défense, à trouver d'ici à 2019. Comment ? Pour Bercy, pas question d'ouvrir en grand les vannes des crédits budgétaires, car sinon cela reviendrait à mettre plus de pression sur les autres ministères compte tenu des impératifs de réduction des déficits publics. Mieux, toute dépense supplémentaire pourra être financée par les gains de pouvoir d'achat liés à l'inflation plus faible que prévu et à la baisse du carburant.
L'armée estimant au contraire que cela ne suffira pas, une mission a été confiée à l'Inspection générale des finances et au Contrôle général des armées pour y voir clair.
Bien des réunions vont donc encore avoir lieu d'ici à mercredi si le gouvernement veut tenir son objectif de présenter mi-juillet une LPM revisitée en Conseil des ministres
Auteurs: Alain RUELLO ET Fréderic SCHAEFFER
Source: Les Echos